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CINECURE
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Audrey Estrougo
La taularde
Sortie le 14 septembre 2016
Article mis en ligne le 1er septembre 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Pour sauver l’homme qu’elle aime de la prison, Mathilde prend sa place en lui permettant de s’évader. Alors que sa survie en milieu carcéral ne dépend que de lui, Mathilde n’en reçoit plus aucune nouvelle. Isolée, soutenue uniquement par son fils, elle répond désormais au numéro d’écrou 383205-B. Mathilde deviendra-t-elle une taularde comme une autre ?

Acteurs : Sophie Marceau, Julie Gayet, Suzanne Clément, Pauline Burlet

 Des femmes en prison

Il y a peu de bons films de prisons en huis clos, encore moins de tels films de prisons pour femmes. Et sur ce thème de prisons pour femmes (sans même la restriction du huis clos), il y a surtout des films, disons de genre, à consulter ainsi la liste d’une centaine de films de ce type établie par un internaute sur Sens Critique. Nous gardons un excellent souvenir de Starred Up (Les poings contre les murs), réalisé par David Mackenzie en 2014. En revanche, c’est un très très mauvais souvenir pour Eperdument, réalisé par Pierre Godeau (2016). Il revendiquait un enracinement dans le vrai alors que le film manquait cruellement de crédibilité/vraisemblance. Et pour ces deux-là, tout comme pour Un prophète, l’on sortait des murs de la prison. Ici, la caméra y est et y reste et notre enthousiasme était intense en sortie de La taularde. La vérité oblige à préciser qu’il n’était pas partagé par certains confrères qui reprochaient au film d’être constitué de clichés, d’une part et à Sophie Marceau de mal jouer, d’en faire de trop, ’des tonnes’ en quelque sorte.

Nous n’avons pas d’expérience des prisons pour femmes et la seule que nous ayons pour celles réservées aux hommes, est de l’autre côté de la barrière, lorsque nous étions Officier de police judiciaire. Il nous arrivait donc de conduire des hommes en prison par le résultat de nos enquêtes, voire quelques heures en garde à vue ou encore l’une ou l’autre visite en prison pour interroger quelqu’un qui était incarcéré. Notre regard et notre expérience ne porte donc que sur quelques prisons pour hommes et encore ce n’est jamais que l’affaire de quelques heures. Elles sont assez nombreuses cependant pour nous être rendu compte de l’inhumanité des lieux. Nous partageons en cela le témoignage de notre confrère (ici prêtre et non journaliste), Guy Gilbert qui disait (et ce sera le titre d’un de ses livres) que « des jeunes y entrent ; des fauves en sortent ». Des prisons pour femmes nous n’avons aucune expérience, outre le fait que nous n’étions pas habilités pour y entrer. Impossible donc de faire état d’une expérience qui confirmerait le côté cliché relevé par des confrères. Nous supposons que derrière le terme cliché, il y a la densité, le nombre et l’importance de situations trop border line durant les moins de deux heures du film. Certes, mais celui-ci nous brosse plusieurs mois de vie carcérale. On ne peut rapprocher cela au film pas plus qu’à une série policière d’avoir un meurtre (au moins) chaque semaine.

 (S’en) sortira-t-elle un jour ?

Venons-en à ce film que nous estimons remarquable. Nous sommes dès le début dans la prison avec Mathilde, professeure de Lettres, et nous n’en sortirons pas. Sortira-t-elle un jour ? Probablement, mais nous retenons de ce film une phrase tout à fois terrifiante et bouleversante d’une gardienne : « même si tu ne sors que dans dix ans, tu sortiras avant moi ! ». Nous ne pouvons manquer de mettre cela en relation avec la grève des gardiens de prison en Belgique qui a duré plusieurs semaines. Nous nous insurgions à l’époque sur le fait que les gardiens ne se souciaient pas des prisonniers alors même que s’il s’agissait de refuges pour animaux ou de zoos ils se seraient arrangés pour que les pensionnaires aient des conditions de vie « humaines », enfin, « animales ». Si notre révolte est toujours présente sur ce thème, le film d’Audrey Estrougo nous a fait prendre conscience de cela : que dans une prison, il y a les prisonniers, mais aussi les gardiens et surveillants. Certes ceux-ci en sortent tous les jours, mais il n’empêche qu’ils/elles y vivent et sont confrontés au sordide de la vie enfermée dans un espace restreint, avec son lot de promiscuité, de manque d’hygiène. Sur ce point, s’il y a une scène où Adrien (Benjamin Siksou), le fils de Mathilde en à plein le cul (désolé pour l’expression) de jouer pour sa mère le rôle que celle-ci a joué pour son mari, il en est une autre où l’on se trouve en manque de « papier Q » à la fois pour des raisons de (mauvaise ?) gestion et des contraintes financières qui permet de prendre mieux conscience de ce que les prisons ne sont pas des hôtels, même une étoile.
En ce sens, le fait d’avoir tourné dans une vraie prison (de Rennes, désaffectée depuis deux ans) permet de voir la réalité sordide de ces lieux d’enfermement.Les décors naturels, liés aux nombreuses heures d’ateliers de préparation avec d’anciennes détenues et gardiennes et les longues journées de tournages dans des lieux réels, y compris les cellules de neuf mètres carrés ont ajouté à la crédibilité du film et au jeu des actrices.

 L’absente-présence des hommes

Notons ici que le casting est essentiellement féminin et qu’il y a des « gueules » (comme on dirait pour les hommes dans un film tel The Dirty Dozen de Robert Aldrich - Les douze salopards, 1967) et des personnages typés. Il n’y a que trois rôles masculins : Adrien déjà cité, le greffier ? Lionel Monier et Marcus, le coach sportif (« notre » acteur belge, Nicolas Gob qui vient essentiellement du monde des séries, e.a., Un village français et quasiment pour débuter Les bleus : premiers pas dans la police !). Il y a bien sûr d’autres hommes dans le film, mais réduits à de la « figuration », essentiellement dans le parloir (où il y aura même une tentative de relation sexuelle d’une détenue avec « son homme »), mais aussi des CRS, masqués et donc anonymes. Les hommes sont donc absents de ce film et pourtant, ils « sont » de tous les instants. Ce sont eux, mari, amants qui ont conduit ces femmes où elles sont. Parfois même la demande ne fut pas explicite, mais que simplement elles ont investi le vis-à-vis et modèle masculin ! Cela ira jusqu’à copier, singer, imiter simplement le « mâle » ou d’en « jouer » dans les insultes. Des expressions corporelles seront autant de (pâles ?) copie d’autres qu’ont les hommes, souvent fantasmés ! Elles qui sont en manque d’homme(s) vont surexprimer leurs façons d’être, jusqu’à surjouer pour se donner un pouvoir dans la prison. Ces femmes sont donc en représentation, en « jeu de rôle masculin » dans lequel elle se perde en une vaine théâtralisation. Cette absence/présence des hommes marquera tout le film, jusqu’à plus soif, sans même une possible libération (nous jouons sur les mots) pour notre professeure de Lettres.

 L’horreur au quotidien

La réalisatrice nous fait découvrir l’horreur du quotidien de ces femmes, la promiscuité, l’homosexualité parfois imposée, les trafics en tout genre : depuis des minutes téléphoniques jusqu’aux médicaments, la violence des détenues entre-t-elles. Les vengeances et exactions (comme chez les hommes, voir ainsi Son of a Gun, de Julius Avery, en 2014, dans un tout autre style de prison). Mais tout n’est pas en noir et blanc. Des amitiés (pas nécessairement singulières !) se nouent entre détenues et parfois avec des gardiennes. C’est que celles-ci sont également en prison comme nous en faisions état ci-dessus. Et ce job, elles peuvent l’avoir pris par défaut, condamnées elles aussi à cette horreur-là, à accompagner la déshumanisation dans des bâtiments et des situations que les autorités ne voient pas, ne veulent pas voir, parce que, de toute façon, le sujet n’est politiquement pas porteur. Il arrive que des situations soient involontairement comiques, ainsi le bain de siège de deux codétenues !, alors que d’autres nous montrent des bains... de violence. Une autre violence, moins physique, plus psychologique, traverse également le film, vis-à-vis de celle qui est « intello », détonne dans ce milieu. Au milieu de l’horreur, de l’empathie aussi : des gardiennes quasiment maternelles, qui demandent des nouvelles, s’inquiètent, viennent dire un « bonsoir ». Et le sort des surveillantes n’est pas en reste. Elles n’ont pas de nom, moins peut-être encore que les détenues qui ont encore droit à une identité, celle de leur numéro d’écrou, car on s’adresse à elles par « surveillante » !

La taularde ne devrait pas laisser indifférent. Toutes ces situations évoquées, condensées dans un récit aux aspérités assumées, sont jouées par des actrices très différentes qui mettent leurs talents au service d’un film certes, mais surtout qui interpellent sur le rôle et la place de la prison dans nos sociétés. Sont-elles la réponse adéquate ? Des hommes doivent-ils s’y trouver ? Des femmes ?

Un ami cinéphile et blogueur, Eric Van Curtsem dont nous apprécions les jugements souvent nuancés ne partage pas notre enthousiasme. Aussi pour pondérer celui-ci, nous vous invitons à lire la sienne.

 Bande-annonce :

La Taularde Bande-annonce VF
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