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Emerald Fennell
Saltburn
Sortie du film le 22 décembre sur Amazon Prime Video
Article mis en ligne le 24 décembre 2023

par Julien Brnl

Genre : Thriller, drame psychologique

Durée : 127’

Acteurs : Barry Keoghan, Jacob Elordi, Rosamund Pike, Richard E. Grant, Alison Oliver, Archie Madekwe, Carey Mulligan...

Synopsis :
L’étudiant Oliver Quick, qui peine à trouver sa place à l’université d’Oxford, se retrouve entraîné dans le monde du charmant et aristocratique Felix Catton, qui l’invite à Saltburn, le vaste domaine de sa famille excentrique, pour un été qu’il n’oubliera pas de sitôt.

La critique de Julien

C’était sans doute LE film de cette fin d’année que nous attendions le plus. Bien qu’il ne soit pas visible dans nos salles, mais directement sur la plateforme de streaming Amazon Prime Video, « Saltburn » est bien ce sulfureux film malaisant qui nous avait mis l’eau à la bouche dès l’annonce de son casting, puis par la force de ses visuels, sans compter sur son pedigree. En effet, ce thriller homoérotique et psychologique, bercé d’humour noir, est le second film réalisé par la cinéaste Emerald Fennell, laquelle avait remporté l’Oscar du meilleur scénario original en 2021 pour son premier film, « Promising Young Woman », porté par Carey Mulligan. Aussi satirique que féministe, somptueux, provocateur que dérangeant, ce féroce film de « rape and revenge » avait marqué les esprits, et forcément inscrit son auteure parmi les réalisatrices et scénaristes à surveiller. La revoici donc deux ans plus tard avec « Saltburn », entraînant avec elle dans sa toile d’araignée un casting de haut vol, comprenant notamment l’irlandais et énigmatique Barry Keoghan (vu cette année dans « Les Banshees d’Inisherin » de Martin McDonagh), la star de la série HBO « Euphoria » Jacob Elordi, bientôt en Elvis chez Sofia Coppola, ou encore Rosamund Pike, dont le nom suffit à lui seul pour justifier la vision de ce film excessivement macabre, et tordu...

2006. Oliver Quick (Keoghan), étudiant boursier qui « se fringue dans des boutiques de charité », fréquente alors l’Université d’Oxford, tout en ayant du mal à s’intégrer en raison de son inexpérience en matière de classe supérieure, et considéré avec indifférence par ses pairs, si ce n’est de « looser solitaire ». Très vite attiré par le regard de Felix Catton (Elordi), un séduisant étudiant aisé et populaire, Oliver sympathisera avec ce dernier, quitte à lui « lécher les bottes ». Les deux jeunes hommes se livreront alors mutuellement, Oliver lui racontant les problèmes de santé mentale de ses parents, et son refus de retourner chez eux durant les prochaines vacances. De fil en aiguille, leur amitié grandira progressivement, et Félix invitera Oliver à passer l’été dans le vaste domaine familial, Saltburn...

« Murder on the Dancefloor » ! Après une première partie levant - de prime abord - le voile sur son personnage principal difficilement cernable, et mettant en scène une alchimie, une attirance unilatérale entre deux hommes, Emerald Fennell nous plonge dans l’univers présomptueux d’une richissime famille d’aristocrates, immergeant sa caméra dans les couloirs, pièces et extérieurs de la sublime demeure médiévale Drayton House, dans le Northamptonshire, en Angleterre, ayant servi de décor au film, éclairé ici par la superbe photographie contrastée de Linus Sandgren (« La La Land » et « Babylon » de Damien Chazelle). Olivier découvrira alors les manières de la famille de Félix, dont celles de Lady Elspeth (Pikel), la matriarche, ayant réponse et commentant tout, laquelle héberge déjà avec (ran-)cœur sous leur toit une certaine Pamela (Carey Mulligan), fuyant son époux et millionnaire russe en se terrant ainsi à Saltburn, depuis des mois, et donc entretenue par les Catton. Devant le regard jaloux du cousin américain de Felix, Farleigh (Madekwe), Olivier sera à son tour l’invité des lieux, lequel y déploiera ses ailes, tel un papillon. À moins que ça ne soit une mite, attirée par les choses qui brillent, ou encore un vampire, suçant avec obsession tout ce qu’il peut jusqu’à la dernière goutte ?

Tourné en format d’image 1,33:1, « Saltburn » est une œuvre baroque incroyablement sexy et politiquement incorrecte, laquelle dérange et égratigne avec une autodérision l’hypocrisie de la classe supérieure, manipulée ici dans un rapport de force sinueux et pervers en la personne du personnage de Barry Keoghan, pourtant présenté comme « silencieux et inoffensif », lequel supporte mal de se regarder dans le miroir. En effet, alors que la tournure de la relation qu’il entretient avec Félix n’est pas des plus saines, ce dernier semble de plus en plus différent à mesure qu’il trouve ses marques à Saltburn, se délectant, comme une sangsue, de ce qu’il peut lui apporter, tout en y assoyant sa domination, son appartenance... Le film ne fait dès lors pas dans la dentelle, et provoque l’inconfort, la gêne, voire le dégoût, en témoigne de nombreuses scènes glauques et graveleuses (le cunnilingus, la baignoire, le cimetière), où le sang, la sueur, le vomi ou le sperme font tache dans ce monde de noblesse. Emerald Fennell prend alors un malin plaisir à le détricoter, et à le faire imploser de l’intérieur, en le trouant de partout. Psychopathe et tape-à-l’œil, le film l’est tout autant finalement que l’univers qu’elle y dépeint férocement, et la soif de ceux qui n’y appartiennent pas d’y faire leur nid. Pourtant, on reste quelque peu sur notre faim, faute de maladresses dans ses intentions, finalement creuses...

Ainsi, dans sa démarche trompeuse, la cinéaste orchestre un thriller ostentatoire, frénétique et particulièrement complexe, mais qui lui échappe cependant quelque peu, étant donné le caractère trop obscur et en kaleidoscope de son personnage principal, et l’exécution de son scénario, qui manque tout de même de dosage dans sa dramaturgie manipulatoire. En effet, c’est lors de l’épilogue final démonstratif du film que la scénariste dévoile toutes ses motivations. Mais le jeu de dupes et son déballage ne sont pas suffisamment fins que pour nous épargner un sentiment d’excès mal digéré. En d’autres termes, c’est trop gros que pour y croire. Finalement, tout ce qu’elle avait jusque-là mis en place n’était ainsi que la partie immergée de l’iceberg. Mais le peu de place réservée ici à sa partie submergée en empêche l’efficacité et la tenue harmonieuse de l’ensemble.

N’en déplaise, on apprécie la subversivité et le style (jusqu’à la typographie de ses génériques) avec lesquels Emerald Fennell imprègne le cinéma actuel, tandis que ses acteurs, magnétiques, mettent aussi leur pierre à l’édifice. Mais surtout, c’est le caractère totalement saugrenu et ambigu du personnage de Barry Keoghan qui fascine, intrigue et déstabilise, bien qu’il ne livre que tardivement ses secrets, tout aussi étranges que lui-même. Et puis, que dire de cette effroyable et pourtant irrésistible scène finale, à poil, et en musique, qui referme cette histoire machiavélique, en offrant une toute autre vision - inimaginable et pourtant euphorisante - d’une même scène vue plutôt ? On ne ressort définitivement pas indemne de « Saltburn » !



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