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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Paola Cortellesi
C’è Ancora Domani (Il Reste Encore Demain)
Sortie du film le 20 mars 2024
Article mis en ligne le 26 mars 2024

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 118’

Acteurs : Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano, Emanuela Fanelli, Giorgio Colangeli, Vinicio Marchioni, Yonv Joseph...

Synopsis :
Mariée à Ivano, Delia, mère de trois enfants, vit à Rome dans la seconde moitié des années 40. La ville est alors partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever. Face à son mari autoritaire et violent, Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa avec qui elle partage des moments de légèreté et des confidences intimes. Leur routine morose prend fin au printemps, lorsque toute la famille en émoi s’apprête à célébrer les fiançailles imminentes de leur fille aînée, Marcella. Mais l’arrivée d’une lettre mystérieuse va tout bouleverser et pousser Delia à trouver le courage d’imaginer un avenir meilleur, et pas seulement pour elle-même.

La critique de Julien

Neuvième film le plus rentable en Italie et cinquième parmi les films produits au niveau national (avec près de 5,5 millions de billets vendus), « C’è Ancora Domani - Il Reste Encore Demain » est le phénomène cinématographique dont tout le monde parle, lequel est réalisé, écrit et joué par Paola Cortellesi, pour qui il s’agit là de la première réalisation. Tourné en noir et blanc, que ça soit en hommage aux films néoréalistes italiens d’après-Seconde Guerre mondiale ou pour refléter naturellement le souvenir des histoires racontées par sa propre grand-mère et son arrière-grand-mère, et dont elles s’inspirent ici, ce drame dresse ses décors dans la ville de Rome en mai 1946, alors divisée entre la pauvreté et les ravages tragiques de la Seconde Guerre mondiale, tandis que les unités militaires alliées errent dans les rues. « Vive la république, à bas la monarchie ! », peut le lire sur les murs de la ville. Dans une Italie où règne alors la culture patriarcale, Delia (Paola Cortellesi), une « bonne ménagère » occupée par divers emplois peu rémunérés, et s’occupant en parallèle de ses trois enfants, est alors mariée à Ivano (Valerio Mastandrea), un geôlier dont elle subit les coups, le harcèlement et les humiliations constantes, tandis que le père de ce dernier (Giorgio Colangeli) vit également chez eux (enseignant d’ailleurs à son fils comment s’y prendre avec sa femme afin de « la remettre à sa place », et le blâmant de ne pas s’être marié avec sa cousine, ce qui lui aurait rapporté « moins d’ennuis » !). Méprisée par sa fille aînée Marcella (Romana Maggiora Vergano) pour la passivité avec laquelle elle accuse les abus conjugaux, Delia, entre deux courses, retrouve pourtant quotidiennement - et en cachette - le mécanicien et ancien partisan Nino (Vinicio Marchioni), Ivano ayant « volée » Delia à lui quelques années plus tôt, lesquels rêvent alors d’une vie meilleure, en Lombardie... Mais Delia, motivée par le désir de changement, pourrait bien prendre son courage à deux mains, et ainsi passer outre la peur qui l’envahit face à son mari, et la honte du regard qu’on porterait sur elle si elle venait à fuir. C’est ainsi l’histoire d’une femme tiraillée par la mainmise écrasante de l’homme sur sa condition, alors alimentée par l’imminence du référendum institutionnel et de l’élection de l’Assemblée constituante les 2 et 3 juin 1946, accordant pour la première fois de l’histoire en Italie le droit de vote aux femmes, et cela dans le but de déterminer le gouvernement d’après-Seconde Guerre mondiale, lequel mettra ainsi un terme à la période de dictature fasciste des vingt dernières années...

Alors que plusieurs établissements scolaires de toute l’Italie ont mené des campagnes de sensibilisation sur le thème de la violence de genre et du féminicide, encourageant ainsi leurs classes à assister à la projection du film dans les cinémas locaux, « C’è Ancora Domani - Il Reste Encore Demain » s’avère être un film progressiste et féministe d’importance publique et sociale, et de surcroît lumineux, malgré ses couleurs ternes. C’est un film pertinent, d’autant plus quand on sait que bon nombre de parlementaires et de ministres à la chambre, ainsi que le Premier ministre italien, Giorgia Meloni, n’ont pas dénié assister à la projection du film dans la salle du Sénat de la République à Rome, et cela à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (25 novembre). Paola Cortellesi s’est dès lors adressée à eux via un message envoyé au Sénat (à découvrir ici : [1]), dans un élan d’appel à l’éducation des nouvelles générations au respect des femmes, et à leurs droits, et cela dès le plus jeune âge.

Sans misérabilisme, parfois avec touche d’humour effronté dans son classicisme d’époque, Paola Cortellesi fait de son film une ode à l’émancipation féminine, face à la violence et aux inégalités de genre, lesquels sévissent encore aujourd’hui (au regard, par simple exemple, des salaires moyens entre les sexes). Cependant, son film n’évite pas l’écueil de quelques clichés, tandis que la reconstitution brille moins que celles d’œuvre dont elle s’est inspirée. La cinéaste nous raconte alors une histoire vécue de l’intérieur, elle que l’on sent habitée par le projet, et les idées qu’elle y porte. Mais elle le fait toujours en regardant de l’avant, détournant même la violence de l’homme envers la femme, quelque part à l’avantage de celle-ci, notamment lorsque les époux se mettent à danser au rythme des coups, avant que le mari ne s’excuse honteusement, au nom de l’amour. Sauf qu’amour n’est guère synonyme de possession (« Tu es à moi », peut-on l’entendre dire ici à sa femme), ni une excuse à la violence.

Paola Cortellesi et le compositeur Lele Marchitelli appuient ici également leur volonté de culpabilité inversée et de transgression du genre « film d’époque » avec des morceaux plus modernes, à l’égard des titres « Calvin » (1998) du groupe américain Jon Spencer Blues Explosion et de « B.O.B. (Bombes Over Bagdad) » (2020) d’OutKast. C’est également par l’écriture de ses personnages féminins, dont celui de la fille aînée, risquant d’être à son tour confrontée à un mariage similaire à celui de sa mère, que le film illustre la force de ses messages. Les dialogues entre mère et fille sont dès lors des plus évocateurs, et les jeux de regards qu’elles s’échangent en disent long, au-delà des silences qui règlent entre elles, lorsque le patriarche s’apprête à frapper. Ici, quelqu’un se doit donc d’agir pour bouger les lignes, ce qui ne laissera d’autres choix à Delia que de le faire, que ça soit certes pour elle, mais aussi pour sa fille, pour toutes les femmes, et surtout pour les hommes, lesquels doivent se ranger pour la lutte du féminisme. Or, celle-ci, même 78 ans après les faits racontés, n’a jamais été aussi d’actualité. Aussi, rien d’étonnant au fait que le film ait rencontré une vague de chaleur et de triomphe sans précédent en Italie, frappée de plein fouet par le meurtre le 11 novembre dernier par féminicide (le 106e de l’année en Italie !) d’une étudiante par son ex-petit ami, ce qui notamment généré de larges manifestations publiques, critiquant la culture machiste du pays, pointant donc du doigt l’État, n’en protégeant pas ses femmes. Mais dans ce combat de tous les jours, ici au travers des péripéties imprévues et des choix courageux que Delia prendra, « C’è Ancora Domani - Il Reste Encore Demain » nous dit qu’il reste toujours un espoir, même si la chance peut passer, lequel réside en ce que l’on fait au quotidien pour améliorer demain, ici représenté par le geste fort du vote, et donc le principe de faire attendre sa voix, pour espérer, un jour, faire, à son tour, trembler l’homme...



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