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Jawad Rhalib
Amal
Sortie du film le 07 février 2024
Article mis en ligne le 7 février 2024

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 111’

Acteurs : Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Johan Heldenbergh, Babetida Sadjo...

Synopsis :
Professeure de français dans une école laïque bruxelloise, Amal encourage ses élèves à cultiver la passion de la lecture, revendiquer la liberté d’expression et prôner l’acceptation de l’autre. Mais son franc-parler dérange la communauté musulmane, qui s’oppose à ses méthodes pédagogiques avec virulence. Pourtant, Amal résiste et ne se laisse pas envahir par la peur. Surtout lorsqu’elle doit venir en aide à l’une de ses étudiantes, la discrète Monia, qui, soupçonnée d’être homosexuelle, est agressée, harcelée et menacée.

La critique de Julien

Abordant les thèmes des droits de l’homme ou du réalisme social dans ses documentaires et films, le cinéaste belgo-marocain Jawad Rhalib a étudié au Maroc lorsqu’il était adolescent les écrits du poète arabo-musulman Abu Nawas (VIIIe siècle), lequel était profondément religieux, tout en appréciant le vin et... les hommes. Si son orientation n’était guère discutée à l’époque étant donné la popularité des paroles et de la poésie homoérotiques parmi les mystiques musulmans, ses écrits ne sont aujourd’hui plus enseignés, lesquels incarnent le concept de « Din wa dounia », soit « la religion et la vie » ; notions incompatibles pour les islamistes et de nombreux musulmans. Dans « Amal », une enseignante musulmane (Lubna Azabal) d’une école laïque bruxelloise ressortira alors ses poèmes afin, d’une part, d’inviter ses élèves à se poser des questions, à développer leur esprit critique, le tout pour être libres et, d’autre part, en réponse à l’agression d’une de ses élèves musulmanes par ses camarades de classe, sous prétexte qu’elle serait homosexuelle. Sauf que ses méthodes pédagogiques déplairont fortement à sa communauté, laquelle subira aussitôt le poids de la menace...

« Amal » est un film bouleversant, saisissant, et d’utilité à la fois publique et pédagogique. On y ressent ainsi une vraie pression, un suspense grandissant. On est, en effet, rapidement happé par l’urgence qui se dégage de ce puissant drame réalisé par Jawad Rhalib, lequel s’est énormément documenté sur son sujet et immergé dans le monde de l’enseignement, tout en rencontrant de nombreux jeunes, notamment par les différentes projections scolaires de ses documentaires, ainsi que leurs professeurs. Il y est alors question de liberté d’expression, de liberté d’enseigner librement, sans avoir sans cesse peur de l’intégrisme, de devoir se justifier, ou, dans ce cas-ci, de l’islamisme radical, lequel utilise alors toute forme de mensonges pour faire croire qu’il détient la vérité. Par le biais de son personnage principal, joué par Lubna Azabal, le cinéaste traite alors du métier d’enseignant menacé par la communauté musulmane au sein des écoles, mais sans jamais porter atteinte à l’islam dans sa démarche, qui est (on le rappelle) sa propre religion. Qu’il mette ainsi ou non le feu aux poudres par son geste fort, le réalisateur témoigne ici d’une complexe réalité, qu’il est courageux de mettre en scène, si pas risqué. Mais plus globalement, Jawad Rhalib nous parle de vivre ensemble, d’acceptation, de tolérance et du thème plus que d’actualité du harcèlement, et cela sous toutes ses formes, allant ainsi de coups aux insultes, de menaces sur les réseaux sociaux, jusqu’à l’intimidation et l’isolement. Mais il est aussi question d’un système scolaire craintif (Catherine Salée est impeccable en directrice dépassée qui se cache derrière les excuses) qui manque alors de moyens pour subvenir aux besoins des élèves harcelés. À cet égard, Jawad Rhalib se montre cependant trop fataliste quant aux aides qui existent, comme si ses personnages n’avaient finalement aucune issue de secours...

Oui, c’est un film qui rappelle indubitablement le cruel sort réservé à Samuel Paty, assassiné par arme blanche et décapité peu après être sorti de son collège de Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre 2020, quelques jours après avoir montré deux caricatures de Mahomet lors d’un cours d’enseignement moral et civique sur la liberté d’expression à ses élèves de quatrième. Ici, c’est Lubna Azabal qui défend corps et âme l’importance de ne pas se laisser gangréner par le radicalisme religieux, ici dans l’enceinte murs d’une école (d’autant plus laïque), et d’apprendre ainsi aux jeunes le respect, l’ouverture. L’actrice, très investie, se révèle alors particulièrement intense dans son rôle aux abois, qui donne d’ailleurs à voir de vraies confrontations entre les jeunes à qui elle enseigne et la professeure qu’elle joue. Ici, l’authenticité est de mise, au même titre que le jeu de Lubna Azabal, elle qui touche en plein cœur dans la peau de cette professeure et femme de conviction qui force l’admiration par son combat contre la peur, pour l’importance de l’éducation, de la transmission au-delà des limites de la religion, ou encore de l’écoute. Mais les seconds rôles - très durs - ne sont pas en reste, avec notamment Fabrizio Rongione en collègue et professeur de religion sournois radicalisé, tout comme l’est le personnage de la jeune Ethelle Gonzalez-Lardued, en élève intégriste fanatique, laquelle sera à l’origine du mal-être de celui de Kenza Benbouchta, la vraie première victime de cette histoire fictive, bien que très actuelle...

« Amal » est un film qui ne laisse donc pas indifférent, et qui invite à la discussion. Nul doute que le film subira la censure et le débat par ce qu’il montre d’insidieux dans les méthodes des extrémistes. Et c’est d’autant plus pour cela qu’il faut le voir, et en parler, parce qu’il dérange, ou risque d’être mal interprété. Jawad Rhalib nous y rappelle que l’éducation n’est aucunement une question de religion, mais bien de chances offrant aux jeunes des bases communes, un apprentissage dans le respect mutuel, et un avenir responsable. Ne reste plus aux politiciens que d’armer l’enseignement pour cela...



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