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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Eric Toledano et Olivier Nakache
Une Année Difficile
Sortie du film le 18 octobre 2023
Article mis en ligne le 23 octobre 2023

par Julien Brnl

Genre : Comédie dramatique

Durée : 118’

Acteurs : Pio Marmaï, Jonathan Cohen, Noémie Merlant, Mathieu Amalric, Grégoire Leprince-Ringuet, Luàna Bajrami...

Synopsis :
Albert et Bruno sont surendettés et en bout de course, c’est dans le chemin associatif qu’ils empruntent ensemble qu’ils croisent des jeunes militants écolos. Plus attirés par la bière et les chips gratuites que par leurs arguments, ils vont peu à peu intégrer le mouvement sans conviction...

La critique de Julien

Après leur série « En thérapie » (deux saisons diffusées sur Arte), et quatre ans après « Hors Normes », Éric Toledano et Olivier Nakache reviennent aux affaires avec « Une Année Difficile », situé dans la même veine que leurs précédents métrages à succès qu’étaient notamment « Intouchables » (2011), « Samba » (2014) ou « Le Sens de la Fête » (2017). Le duo nous partage ainsi un nouveau métrage, né d’une photographie de l’époque dans laquelle nous vivons, où deux visions s’affrontent, par le biais ici d’une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, où l’on pouvait y voir des jeunes militants révoltés, alarmistes sur le climat, épris de justice sociale et d’écoresponsabilité, qui tentaient d’empêcher une masse de clients d’entrer dans un grand magasin le jour du célèbre Black Friday. Entre ceux qui voulaient entrer et ceux qui faisaient barrage, Toledano et Nakache ont dès lors enquêté, et rencontré. C’est donc en deux mouvements, telle une valse (« La valse à mille temps » de Jacques Brel y revient quelquefois ici en fond musical), que leur film nous parle de consumérisme, avec pour conséquence ici le surendettement, et d’écologie, soit deux sujets qui, en apparence, n’ont pas grand-chose à partager. Pourtant, les cinéastes, en passant par la dérision, l’humanité et l’humour (qui caractérisent leur cinéma), parviennent ici conjuguer ces deux sujets, et à relier ces deux rives, au sein d’une comédie sociale en mouvement...

Alors qu’il débute sur une rétrospective de vœux télévisés de présidents de la République française, faisant état de « l’année difficile » passée ou à venir (illustrant ainsi son titre), le film nous emmène à la rencontre de deux paumés consommateurs surendettés. Albert (Pio Marmaï), sans domicile fixe, tente ainsi d’acheter une télévision le matin dudit Black Friday, face à des activistes et des clients survoltés, prêts ainsi si se marcher dessus pour profiter des prix bradés. Alors qu’il se livre à de multiples trafics pour tenter de rembourser ses dettes, dont à l’aéroport de Roissy où il travaille comme bagagiste, Albert se rendra ensuite chez Bruno (Jonathan Cohen, remplaçant initialement Alban Ivanov), afin de lui vendre sa télé, suite à une annonce en ligne. Sauf qu’en arrivant sur place, c’est à un huissier de justice qu’il aura affaire, organisant la vente aux enchères des meubles de Bruno, tout aussi surendetté que lui, et assommé par les comprimés qu’il est en train d’avaler par poignées. Or, c’est par cette rencontre et le concours de circonstances qui s’ensuivra qu’Albert rencontrera Henri (Mathieu Amalric), un bénévole d’une association de lutte contre le surendettement, où Bruno se rend régulièrement. Henri lui expliquera alors qu’il est possible, sous certaines conditions, d’obtenir l’effacement de ses dettes par la Banque de France... Se retrouvant dans cette association, où un cours de priorités budgétaires leur est donné afin de les conscientiser face à des achats (« Est-ce que j’en ai besoin ? Vraiment besoin ? Vraiment besoin maintenant ? »), ces deux bras cassés se retrouveront ensuite, à la sortie des lieux, à un apéritif, organisé par les mêmes activistes ayant barré le chemin d’Albert quelques jours plus tôt. Bien plus attirés par la bière et les chips gratuits que par leurs arguments, notamment autour de la « sixième extinction de masse » qui a commencée, Albert et Bruno y feront tous les râteliers, tout en y faisant la connaissance de Valentine (Noémie Merlant), souffrant quant à elle d’éco-anxiété, se sentant à la fois victime et coupable de cette société de consommation. Tout en ayant des idées derrière la tête, Albert et Bruno, rebaptisés respectivement « Poussin » et « Lexo », intégreront alors le mouvement, sans conviction première...

Fidèles à leur cinéma, Eric Toledano et Olivier Nakache nous offrent une comédie dans l’air du temps, qui se regarde comme un « gros câlin », nous confrontant alors aux oppositions et paradoxes de notre époque, où des êtres tentent de survivre, à leur manière, dès lors en agissant, ou en subissant. Porté par un généreux trio d’acteurs, que sont Pio Marmaï, Jonathan Cohen et Noémie Merlant, ainsi que par un irrésistible Mathieu Amalric dans un rôle secondaire de joueur compulsif, « Une Année Difficile » mène aussi la danse, en témoigne sa bande-originale, qui bouge (« Le Freak, c’est Chic » !), autant finalement que ses personnages, main dans la main, mais pas nécessairement - au départ - pour les mêmes raisons. D’un abattoir à la Fashion Week, en passant par les marches du Trocadéro ou dans un blocage de rue, les actions s’enchaînent dès lors ici, et cela même jusqu’à la Banque de France, où les membres du groupe seront cependant bien plus reçus comme « irrecevables » que « recevables ». Le film, avec ses dialogues souriants, et beaucoup d’humour noir, mais de respect et d’empathie, nous touche alors par le chemin parcouru par ces cabossés de la vie, qui n’ont rien d’autre à se reprocher finalement que d’être des victimes d’un monde en croissance permanente, qui avance trop vite, et face auquel ils ne sont préparés. Mais il y a bien une lueur d’espoir au bout du tunnel, encouragée par la simplicité volontaire, et la transition écologique, à l’image de la séquence finale, quelque peu utopiste, se déroulant au printemps 2020, alors que les rues de Paris étaient désertées, avant que ne résonnent les applaudissements de vingt heures. Car « Une Année Difficile » est sans aucun doute un film marqué par le réveil contradictoire du monde après cette période de confinements, lequel n’a, semble-t-il, pas encore compris de ses erreurs.

Bien qu’un peu trop écrit, car laissant rapidement deviner ses aboutissants, et desservi par quelques facilités d’écriture et une empreinte écologique balayée, « Une Année Difficile » distille la crainte par l’humour, et pose un regard intéressé et intéressant sur des symptômes de notre société. Certes, ce ne sera pas le film le plus radical, pertinent et indispensable d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache, étant donné sa démarche photographique, reliant par un pont deux opposés qui, ici, s’attirent, et donc moins dans le réalisme que le romanesque. Mais il demeure une franche comédie enlevée, visant la collectivité et la réflexion, et qui fait du bien. On en ressort dès lors avec la banane et de l’optimisme, mais, qu’on se le dise, jamais bouleversés, ce à quoi nous avait pourtant habitué, d’une manière ou d’une autre, le cinéma de ses auteurs.



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