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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Adil El Arbi et Bilall Fallah
Rebel
Sortie du film le 05 octobre 2022
Article mis en ligne le 14 novembre 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame, thriller

Durée : 135’

Acteurs : Aboubakr Bensaihi, Lubna Azabal, Amir El Arbi, Younes Bouab, Tara Abboud, Fouad Hajji...

Synopsis :
Kamal décide de se rendre en Syrie afin de venir en aide aux victimes de la guerre. Mais à son arrivée, il est forcé de rejoindre un groupe armé et se retrouve bloqué à Raqqa. Son jeune frère Nassim, qui rêve de le rejoindre, devient une proie facile pour les recruteurs du djihad. Leïla, leur mère, tente alors de protéger son plus jeune fils.

La critique de Julien

C’est sur le tard que nous avons découvert « Rebel », le dernier-né du duo de réalisateurs belges composé d’Adil El Arbi et de Bilall Fallah, lesquels ne se sont pas tournés les pouces ces derniers temps entre la série du MCU « Ms. Marvel » sur Disney+ (ils ont signé deux de ses épisodes) et le film « Batgirl » pour le DCU, lequel s’est malheureusement vu annuler à la suite de projections tests par Warner Bros. Discovery. Sans compter qu’ils sortent du récent succès de « Bad Boys for Life » avec Will Smith et Martin Lawrence, sorti fin janvier 2020, soit quelques semaines avant le premier confinement, le temps de bien rentabiliser son budget de production à travers le monde. Autant dire qu’après trois projets consécutifs à Hollywood, on ne pensait pas retrouver de sitôt les deux réalisateurs, et d’autant plus en Belgique ! Pourtant, les voici qu’ils mettent en scène, avec beaucoup d’originalité, l’histoire fictive de la radicalisation d’un jeune Belge d’origine marocaine de Molenbeek...

Présenté en séance de minuit au festival de Cannes 2022, « Rebel » leur permet de rediriger Aboubakr Bensaihi, lequel était l’un des deux jeunes acteurs principaux de leur second long métrage « Black » (2016), lui qui a vu partir pour la Syrie - au même titre que les cinéastes - des connaissances faire le djihad pour servir l’État islamique. Mais il y a une nuance scénaristique à apporter ici à ce fléau. En effet, ici, Kamal Wasaki est un jeune rappeur et petite frappe de Molenbeek qui, après un problème de drogue avec la police, va décider de partir en Syrie, en espérant se racheter une conduite aux yeux de sa mère (Lubna Azabal), en « faisant quelque chose de bien », soit aider les populations locales, à Raqqa. Sauf que ce dernier va se retrouver, de force, et donc contre son gré, enrôler par les terroristes de Daesh. Kamal va, dans un premier temps, devoir les aider à leur propagande aux yeux du monde, en plus d’être marié à Noor (Tara Abboud), une jeune esclave syrienne. Nassim (Amir El Arbi, le petit frère d’Adil), le petit frère de Kamal, resté en Belgique, sera alors témoin d’une vidéo montrant son frère dans une fausse position, ne montrant dès lors pas la vérité. Nassim, en plus d’être très influencé par ce dernier, sera approché, comme proie facile, par un recruteur de l’État islamique ; la tentation du petit étant ici comparée de manière onirique à celle de l’île aux plaisirs de « Pinocchio »... Leïla, leur mère, va alors tout tenter pour sauver son jeune fils, et faire en sorte qu’il ne lui arrive pas la même chose qu’à son aîné...

« Rebel » n’est donc pas le premier film francophone à mettre en scène la radicalisation ; on repense au « Ciel Attendra » (2016) de Marie-Castille Mention-Schaar ou au « Jeune Ahmed » (2019) des frères Dardenne. Il fallait donc au duo apporter un contrepoint à ce lourd sujet, très délicat, lequel peut s’avérer très démonstratif. Or, à ce niveau-là, Adil El Arbi et Bilall Fallah ne loupent pas le coche, puisqu’ils filment ici une tragédie, mais musicale. En effet, la musique, la danse et le chant féminin allant à l’encontre des convictions de l’État islamique et leur Prophète, ces derniers ont souhaité « faire une autre version du conte des mille et une nuits, d’un conte arabe […] très séquencé [...] ». C’est ainsi qu’on découvre ici une femme toute vêtue de rouge, aperçue à différents moments bien spécifiques, en arrière-plan, elle qui symbolise Scheherazade, la narratrice des chapitres du film. Ainsi, en parallèle de la violence - inouïe - des propos (tortures physiques et mentales), « Rebel » se voit parsemer de puissantes scènes musicales immersives et audacieuses, où le personnage d’Aboubakr Bensaihi rappe en français, que ça soit dans un établissement de döner kebab (à la vue des terribles images venues de Syrie) ou dans les plaines désertiques syriennes, tandis que celui de Tara Abboud a également droit à son échappatoire musicale, en arabe. Parfaitement chorégraphiés par le danseur anversois Sidi Larbi Cherkaoui, ces moments aussi surprenants que désarçonnants contrebalancent avec l’horreur du djihad, et apportent leur pierre à l’édifice de la dénonciation de la radicalisation extrémiste, vécue au travers du regard de ses trois protagonistes principaux, dont la mère des deux garçons, elle qui représente la figure parentale confrontée au départ d’un enfant (et même ici de deux). Joué par l’intense Lubna Azabal, son personnage partira d’ailleurs, seul, ici, en croisade contre Daesh, au cours d’un dernier acte peu réaliste, bien que dévoué.

Si l’on ne peut pas reprocher à « Rebel » d’aller jusqu’au bout des choses, on peut par contre lui reprocher la manière d’y arriver, Adil El Arbi et Bilall Fallah s’obstinant à montrer toute l’horreur perverse de l’enrôlement, sans trop se poser de question sur ce qu’ils nous montrent, ni ouvrir au débat, et cela jusqu’au final, inhumain, nihiliste, et dès lors très percutant, qui ne laissera pas indifférent, au risque de déplaire. Mais « Rebel » éclabousse - outre que par du sang - d’espoir par ses notes musicales et la hargne qui s’en dégage, ses cinéastes et leur mise en scène étant au service de leur histoire, en plus de leurs acteurs. Bref, un film percutant, et de surcroît belge !



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