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Arthur Harari
Onoda - 10000 Nuits dans la Jungle
Sortie du film le 11 août 2021
Article mis en ligne le 13 août 2021

par Julien Brnl

Genre : Drame, film historique, guerre

Durée : 165’

Acteurs : Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yuya Matsuura...

Synopsis :
Fin 1944. Le Japon est en train de perdre la guerre. Sur ordre du mystérieux Major Taniguchi, le jeune Hiroo Onoda est envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain. La poignée de soldats qu’il entraîne dans la jungle découvre bientôt la doctrine inconnue qui va les lier à cet homme : la Guerre Secrète. Pour l’Empire, la guerre est sur le point de finir. Pour Onoda, elle s’achèvera 10 000 nuits plus tard.

La critique de Julien

Présenté en ouverture dans la section « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 2021, « Onoda - 10000 Nuits dans la Jungle » est le second film du réalisateur, scénariste et acteur français Arthur Harari, après deux courts, deux moyens métrages et « Diamant Noir » (2015), film de hold-up et de vengeance familiale dans le milieu des diamantaires anversois, mettant en scène Niels Schneider et August Diehl. Pour son second essai, le cinéaste a vu grand, et filme ici une incroyable fresque immersive en temps de guerre du Pacifique, sur l’île de Lubang, aux Philippines, sur une période de trente années, où un soldat a été oublié. Biopic sans en être un, drame historique, film de guerre, « Onoda » est d’autant plus surprenant qu’il s’inspire d’une histoire effroyablement vraie. Pari risqué puisque tourné en langue japonaise, la production du film a dû se tourner vers plusieurs pays, dont la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et, forcément, le Japon, afin d’atteindre le financement nécessaire à sa réalisation. Et la liste des soutiens que le métrage a reçue témoigne de l’ambition du projet, que l’on croirait tout droit sorti de l’œil d’un cinéaste japonais, alors qu’il n’en est rien...

Après une introduction hypnotisante, entre passé et présent, « Onoda » nous plonge dans l’histoire de ce jeune Japonais né le 19 mars 1922 dans le village de Kamekawa, et qui, au contraire de ses compatriotes, ne souhaitait pas mourir pour la patrie. Repéré pour ce trait de caractère, il fut alors recruté dans une section secrète de l’armée pour y être formé à la guérilla avant d’être envoyé, fin 1944, sur une île des Philippines, en territoire américain, mais toujours occupé par le Japon. Son supérieur, le major Yoshimi Taniguchi, lui donna alors l’ordre de retarder coûte que coûte le débarquement des Américains en ce lieu. Sauf que, peu de temps après cette affectation, la guerre s’est terminée, avec la reddition du Japon. Mais pour le sous-lieutenant Onoda, replié dans le centre de l’île avec une poignée d’hommes (le caporal Shimada, et les soldats de première classe Kozuka et Akatsu), impossible de croire aux signes de défaite, croyant à des ruses des Américains, et restant dès lors sur ses positions, durant près de trente ans dans la jungle, dans l’attente des ordres de son supérieur afin de rendre les armes, ce qui n’arriva que vingt-neuf ans plus tard... Considéré comme le plus connu des nombreux « soldats japonais restants », et déclaré comme légalement mort au Japon en 1959, Onoda fut alors gracié par le président philippin Ferdinand le 11 mars 1974, bien qu’il eût tué une trentaine d’innocents, ainsi qu’échangé plusieurs coups de feu avec la police.

Alors qu’il souhaitait parler d’aventures, lui qui dévorait Conrad et Stevenson, Arthur Harari a alors découvert l’histoire de Hirō Onoda par le biais de son père, sous la forme d’une boutade. Impressionné, curieux, Harari s’est alors empressé de se documenter sur son cas, et de rencontrer, au Japon, l’un des auteurs du livre « Onoda, Seul en Guerre dans la Jungle » (publié en 2020 aux Éditions Arthaud). C’est seulement une fois le scénario terminé, et prêt à débuter le tournage, qu’il a pris connaissance des mémoires du soldat, « No Surrender : My Thirty-Year War », ce qui lui a cependant permis de filmer sa « propre » vision qu’il avait du personnage, d’où le fait que le film est inspiré par son histoire...

Expérience subjective de cinéma à l’image de l’objectivité de celle vécut dans la jungle, « Onoda - 10000 Nuits dans la Jungle » est une immersion cyclique de près de deux heures et quarante-cinq minutes dans l’humidité de la jungle, dans l’isolement absolu, la paranoïa, l’endoctrinement militaire, et l’obéissance sacrificielle. Arthur Harari parvient à filmer une œuvre dantesque qui ravira les amateurs de cinéma introspectif, spirituel, et duel aussi, étant donné la figure paradoxale du père qu’il illustre ici dans la relation hiérarchique qu’entretiennent Onoda (Yūya Endō et Kanji Tsuda) et le major Taniguchi (Issei Ogata). Il est aussi question ici d’héroïsme paradoxal, quand on sait tout ce qu’a fait ce personnage, mais aussi tout ce qu’il a vécu sur cette île, alors que son film nous montre en quoi la guerre peut marquer durablement (!) ceux qui la connaissent, et l’ont connue. Pourtant, dans le cas de ce soldat, « Onoda - 10000 Nuits dans la Jungle » nous parle aussi d’une quête intérieure, d’intégrité et de sérénité trouvée au bout d’une trentaine d’années passée dans la forêt.

Il y a tant à dire sur ce second film, à la mise en scène plutôt classique, mais sans once d’aspérités. Tout est ici d’une beauté consternante, d’une dangerosité sauvage, d’une morosité glaçante et envoûtante, d’une maîtrise formelle assez incroyable pour la souligner, alors que l’ensemble paraît être né des mains d’un grand cinéaste, ce qui n’est pas (encore) le cas, et relève en soi quasiment du miracle, ou tout simplement de l’accomplissement. Techniquement aussi, « Onoda - 10000 Nuits dans la Jungle » est d’une précision déroutante, au service d’une intrigue qui s’installe sur la longueur, et donc dans le temps, qui échappe ici à ses soldats, dévoués, oubliés...



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