Bandeau
CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Valérie Donzelli
L’Amour et les Forêts
Sortie du film le 07 juin 2023
Article mis en ligne le 9 juin 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 105’

Acteurs : Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Romane Bohringer, Virginie Ledoyen...

Synopsis :
Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux.

La critique de Julien

Après nous avoir emporté par sa tendre comédie lyrique et décalée « Notre Dame » (2019), la réalisatrice, scénariste et (même) actrice Valérie Donzelli revient au drame, psychologique dans son cas, elle qui adapte ici le roman « L’Amour et les Forêts » d’Éric Reinhardt (Gallimard, 2014), relatant l’histoire d’une emprise. Présenté en compétition officielle dans la catégorie « Cannes Premières » au dernier Festival de Cannes, ce film met en scène l’inarrêtable Virginie Efira dans la peau de Blanche, une mère de famille et professeure de français, laquelle retrace ici l’histoire de son couple à une avocate, elle qui avait commencée comme la plus parfaite des idylles, avec Grégoire (joué par Melvil Poupaud), avant de virer au drame, ce qui l’a amené chez cette dernière. Pourtant, rien ne prédestinait Grégoire à ce qu’il domine la vie de son épouse, la poussant à bout...

Aidé à l’écriture par Audrey Diwan, à qui l’on doit l’intense drame « L’Evènement », ce sont ici deux univers qui se côtoient au sein de ce drame, lequel possède indéniablement une étonnante et désarmante signature dans sa mise en scène, laquelle colle parfaitement à ses deux conteuses. Car « L’Amour et les Forêts » est un drame raconté avec une douce et dangereuse légèreté, ne desservant cependant aucunement ses propos ; bien au contraire. Le montage laisse alors place à des plans psychédéliques et hors du temps lors de - bref - moments suspendus et oxygénant, ou de fortes émotions, et cela en favorisant un jeu de lumière appuyé, alors que la caméra, elle, y tourne autour de ses interprètes. La réalisatrice a également filmé son métrage en pellicule Super 16 pour sa première partie, faisant état du caractère insouciant et romanesque de ce début de relation, avant de repasser au numérique pour la partie plus sombre, où l’isolement, au sens strict, se fait ressentir. Hitchcock, vous avez dit ? La signature musicale de Donzelli se retrouve également dans ce film, alors que Blanche et Grégoire tombent amoureux, et chantent leur nouveau départ, ce dernier ayant dû être muté pour son travail (de banquier) à Metz, à proximité des forêts. Après être rapidement tombée enceinte, puis mariée, Blanche n’aura d’autres choix que de quitter sa Normandie natale pour la Lorraine, s’éloignant ainsi de sa famille, dont de sa sœur jumelle, Rose, jouée par Efira elle-même. À cet égard (technique), la cinéaste parvient à jouer astucieusement de la double identité de son actrice principale dans ce film, elle qui se parle... à elle même, dans un champ-contrechamp des plus classiques. Sauf que les jumelles se retrouvent souvent ici dans un même plan. Ainsi, par découpages, enregistrements sonores minutieux, dissimulations et plans filmés de dos, la réalisatrice réussit à donner chair et vie à cette gémellité, à laquelle on croît, bien que volontairement mise à mal ici par Grégoire, lequel a, en réalité, menti à Blanche, étant donné que c’est lui qui a demandé sa mutation. C’est à partir de cette révélation, pour le moins troublante, que Blanche va commencer à émettre des soupçons sur le comportement de son mari, lesquels s’étaient pourtant promis de tout se dire, eux qui se demandaient réciproquement, et à répétition, « Vérité ou vérité ? », avant de répondre « Vérité »...

« L’Amour et les Forêts » est un film profondément troublant, qui nous montre comment la manipulation psychologie insidieuse peut s’introduire dans une relation amoureuse sans qu’on ne puisse s’en défaire, tout en lui laissant gagner du terrain. Par amour et par son rôle de mère, Blanche va fermer les yeux sur la possessivité de son mari, répondant, sans s’en rendre compte tout de suite, à ses moindres exigences, lui qui ne souhaite la garder que pour elle. Acceptant difficilement qu’elle retrouve du boulot, Grégoire va littéralement contrôler la vie de sa femme, quitte à l’étouffer (...). Coups de téléphone au travail, espionnage, contrôle des comptes, tout donne à croire à Blanche que son mari est toujours derrière elle, tout comme la mise en scène nous le laisse entendre. En effet, lorsque Grégoire sonne à son épouse (et lui demande de s’éloigner pour ne pas que les gens qui l’entourent entendent leur discussion), sa voix porte comme s’il était à côté d’elle, tandis que son souffle et sa respiration s’entendent même lorsque Blanche est toute seule, comme s’il rôdait dans les parages, ou lisait ce qu’elle écrivait par-dessus son épaule. L’éloignement familial amplifiera la sensation d’exclusivité envers son mari, et d’exclusion envers autrui que ressentira, à petit feu, Blanche, subissant d’autant plus les propos culpabilisants, désobligeant, et accusateurs de cet homme ramenant sans cesse tout à lui, lequel, malgré ses maigres passages de remise en question, parviendra, à chaque fois, à se victimer.

C’est donc l’histoire d’une femme dans l’impasse, elle qui, devant son mari qui se comporte en père modèle, ramenant ses enfants à sa cause, tente d’en sortir, laquelle devra d’abord prendre conscience qu’elle peut s’en extraire, bien qu’elle semble indirectement consciente de ce qu’elle subit, elle qui fait tout de même lire « Le Misanthrope » (1666) de Molière à ses élèves. En perpétuel doute, dilemme, et sous-tension, cette femme, qu’interprète avec densité Virginie Efira, une fois de plus épatante, entreprendra un long travail de reconstruction, d’abord dans le dos de son exigeant époux, lequel s’en rendra compte, et lui fera vivre l’enfer... Melvil Poupaud est d’ailleurs parfait dans la peau d’un homme froid, égocentrique et calculateur, bien que son personnage manque de profondeur, et de contextualisation (on ne sait, ni ne voit grand-chose de lui). On reste d’ailleurs perplexe par quelques-unes des attaques nocturnes surjouées qu’il fait endurer ici à sa femme, cherchant la moindre réponse à ses interrogations, elle qui, si elle s’absente trop longtemps, en subit les foudres et les remords, jusqu’à l’épuisement, et l’effacement de soi...

Spirale infernale, résonnant particulièrement à l’époque actuelle, et dont notamment par le mouvement #MeToo et la prise de parole, « L’Amour et les Forêts » reste cependant prévisible dans sa construction narrative, lui qui use, à de trop nombreuses reprises, d’ellipses, franchissant ainsi de grandes étapes dans cette idylle toxique, laquelle se transforme, devant nos yeux, en cauchemar. Mais les interprétations suffissent ici à combler certains vides, tandis que la part de rêve, avec laquelle est racontée cette histoire et quelques-uns de ses épisodes, donnent des allures de contes contemporains à ce drame psychologique, aussi libérateur que suffocant.



Espace privé RSS

2014-2024 © CINECURE - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 5.0.11