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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Audrey Diwan
L’Événement
Sortie du film le 02 février 2022
Article mis en ligne le 2 février 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 100’

Acteurs : Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luàna Bajrami, Louise Orry-Diquéro, Louise Chevillotte, Sandrine Bonnaire, Pio Marmaï, Anna Mouglalis...

Synopsis :
L’histoire d’Anne, très jeune femme qui décide d’avorter afin de finir ses études et d’échapper au destin social de sa famille prolétaire. L’histoire de la France en 1963, d’une société qui condamne le désir des femmes, et le sexe en général. Une histoire simple et dure retraçant le chemin de qui décide d’agir contre la loi. Anne a peu de temps devant elle, les examens approchent, son ventre s’arrondit...

La critique de Julien

Un événement peut-être défini vaguement comme « tout ce qui se produit, arrive ou apparaît », ou encore comme un « fait d’une importance toute particulière », telle qu’une rencontre. Pour Anne (Anamaria Vartolomei), tout sera justement fait ici pour ne pas que sa rencontre avec son enfant ait lieu, bien décidée à prendre sa vie en main, et ainsi ne pas se retrouver mère au foyer. Adaptation du roman éponyme et auto-socio-biographique d’Annie Ernaux, paru en 2000 aux Editions Gallimard, « L’Événement » est un film choc, urgent, qui se vit d’ailleurs dans l’urgence, lequel est reparti de la Mostra de Venise 2021 avec le Lion d’or et le prix FIPRESCI, lui qui a reçu tout récemment le prix Lumières 2022 du meilleur film et de la meilleure actrice, tandis qu’il devrait faire fureur aux prochains César du cinéma.

Alors que l’intrigue se situe en 1963, c’est-à-dire quatre années avant la légalisation de la pilule contraceptive et douze ans avant la Loi Veil, permettant l’interruption volontaire de grossesse et encadrant une dépénalisation de l’avortement en France, « L’Événement » met en scène le corps d’une jeune étudiante en littérature, jugée trop libre, faisant choix d’une sexualité, encore tabou à l’époque, et dès lors face aux regards méprisants, aux préjugés de classe sociale. La demoiselle sera alors confrontée à une grossesse non désirée, et fera le choix d’aller jusqu’au bout de l’avortement, peu en importe le prix, et l’illégalité...

Le premier septembre dernier, l’état du Texas aux Etats-Unis a adopté une loi interdisant d’avorter, même en cas de viol ou d’inceste, et cela dès six semaines de grossesse, c’est-à-dire lorsque la plupart des femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes. Beaucoup plus près de chez nous, c’est la Pologne qui a proscrit, en octobre 2020, l’interruption volontaire de grossesse en cas de malformation grave du fœtus, ajoutant ainsi une restriction supplémentaire à l’accès d’IVG, l’autorisant uniquement en cas de viol ou d’inceste, ou lorsque la vie de la mère est en danger. Autant dire que le second film d’Audrey Diwan (après l’inédit chez nous « Mais vous Êtes Fou » 2019) arrive à point nommé, à un moment où certains pays durcissent encore l’accès à l’avortement ou font machine arrière, lui qui est toujours très restrictif, voire illégal en Afrique. Nécessairement dur, afin de bousculer les consciences, son film nous plonge dans l’enfer intime d’un corps dans le rejet d’un autre, ce dernier grandissant « clandestinement » en lui, sentiment que ressent son (anti-)héroïne Anne, jouée par la révélation Anamaria Vartolomei, avec son jeu très minimaliste, duquel se dégage tout, sans en faire beaucoup.

La caméra nous embarque alors au plus près du visage de la jeune demoiselle, tandis qu’une tension grandi à mesure des semaines (une timeline apparaît à l’écran) vis-à-vis de sa grossesse. Le format d’image joue également un rôle important à ce titre, les personnages secondaires apparaissant sans prévenir, ce qui appuie ici notamment la peur du regard des autres, mais aussi la ligne de fuite de son personnage principal. Or, le temps est compté pour elle si elle souhaite avorter, tout en réussissant à faire passer cela pour une fausse-couche, au risque donc d’être jugée et emprisonnée le cas échéant, elle qui n’aura dès lors d’autre choix que de se faire aider, comme beaucoup l’on fait, et d’autres le font encore dans de nombreux pays du monde, à leurs risques et périls, mais aussi pour ceux qui réalisent des avortement illicites.

Témoignage historique et social de la condition de la femme d’hier et (tristement) d’aujourd’hui, mais également de la peur silencieuse face à l’interdit, « L’Événement » confronte le spectateur à l’horreur vécue par l’interdiction d’avorter, la loi faisant dès lors fi des volontés de celle qui porte l’événement en question. Alors que son film ne prétend pas vouloir questionner sur le bien et/ou le mal d’un tel choix, Audrey Diwan, qui a elle-même avorté, sait de quoi elle parle. Pourtant, le récit d’Annie Ernaux, qu’elle a découvert après, lui a fait prendre conscience « d’un parcours dont elle ne savait rien ». C’est ainsi pour cela qu’elle ne s’interdit ici rien, comme elle n’oblige non plus à rien, pour encore plus d’authenticité, de pertinence de propos, malgré l’aspect cru de certaines images. Mais c’est pourtant bien ici ce que continue à (ne pas) vivre la femme aujourd’hui avec son corps qui est cruel, dans le cas d’une interdiction à l’avortement, et pas que...



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