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Rémi Bezançon
Un Coup de Maître
Sortie du film le 16 août 2023
Article mis en ligne le 16 août 2023

par Julien Brnl

Genre : Comédie

Durée : 91’

Acteurs : Bouli Lanners, Vincent Macaigne, Bastien Ughetto, Anaïde Rozam, Aure Atika...

Synopsis :
Propriétaire d’une galerie d’art, Arthur Forestier représente Renzo Nervi, un peintre en pleine crise existentielle. Les deux hommes sont amis depuis toujours et, même si tout les oppose, l’amour de l’art les réunit. En panne d’inspiration depuis plusieurs années, Renzo sombre peu à peu dans une radicalité qui le rend ingérable. Pour le sauver, Arthur élabore un plan audacieux qui finira par les dépasser... Jusqu’où peut-on aller par amitié ?

La critique de Julien

Quatre ans après « Le Mystère Henri Pick », Rémi Bezançon revient au cinéma avec « Un Coup de Maître », dans lequel notre Bouli Lanners (inter)national et Vincent Macaigne se donnent la réplique, et cela dans une drôle de comédie en son genre, tandis que du cinéaste parisien, nous n’avons toujours pas oublié son second métrage, la fresque familiale tragi-comique « Le Premier Jour du Reste de ta Vie » (2008), qui nous avait littéralement bouleversés, lequel fait partie intégrante des films gravés dans notre cœur. Si on ne peut pas en dire autant de son nouveau film, celui-ci n’en demeure pas moins une proposition de comédie rafraîchissante, à la fois touchante, cocasse et déconcertante, tout en flirtant avec la tragi-comédie, si caractéristique du cinéma de Rémi Bezançon, bien que son film soit librement ici inspiré du film argentin « Mi Obra Maestra » (2018) de Gastón Duprat.

« Un Coup de Maître » s’ouvre alors sur l’œuvre d’un certain Renzo Nervi (Bouli Lanners), commentée par son meilleur ami, Arthur Forestier (Vincent Macaigne), où ce dernier nous parle d’observation et de perception de l’art : « L’art n’est pas juste une représentation de la réalité. L’art peut créer sa propre réalité. N’essayez pas de comprendre, il n’y a rien à comprendre. Il s’agit simplement de saisir l’expérience que l’œuvre offre à vos sens. » Puis nous voilà embarqués dans les présentations avec son auteur, dans « sa vie faite de hauts, et surtout beaucoup de bas ». On y découvre alors une amitié hors du commun, presque irrationnelle, entre les deux hommes, marquée au fer rouge, l’un étant galeriste, et l’autre peintre à la dérive. Ce dernier sombre alors et entraîne avec lui son grand camarade, étant donné notamment qu’il n’est même pas venu au vernissage de sa propre exposition [1], laquelle lui a demandé dix ans de travail, tandis qu’elle a été vivement critiquée par la presse. Heureusement pour lui, Renzo la boude (il ne la lit même pas), sous prétexte que cela ne sert à rien, et qu’il n’y a plus que l’argent qui compte aujourd’hui, lui qui traverse également une période de dépression, marquée (sans doute) par la disparition - survenue bien avant - de sa femme, Esther, qu’on ne voit jamais, mais dont on parle ici au travers d’un portrait dessiné par un autre artiste. À vrai dire, le cinéma de Bezançon est souvent traversé de fantômes, de la mort, et la présence de ce personnage, qui rôde, en est le parfait exemple...

Par le biais d’une relation d’amour et de respect (bien que chaotique) et d’intérêt commun pour la création qui lie ces deux hommes ne pouvant vivre l’un sans l’autre, « Un Coup de Maître » égratigne alors le monde de l’art contemporain, confrontant l’idéalisme artistique et la réalité du marché, quant à lui corrompu, snob, alors que l’art s’est mondialisé. Puriste, Renzo ne peut alors plus se résoudre à participer à cette mascarade, Arthur faisant pourtant tout pour permettre à son ami de remonter la pente, de refaire vivre son art, lui qui l’avait tant touché, lequel l’admire depuis, et ne cesse de croire en lui. Mais rien n’y fait ici, puisque l’artiste est ici obstiné, et ne parvient plus à créer librement face à la machine commerciale qu’est devenu l’art, lequel s’appuie sur de nouvelles technologies. Le film nous parle alors de la complexité du processus de création (Quand est-ce qu’une œuvre est terminée ?), à un moment donné où, pour Renzo, la seule raison de vendre ne lui permet plus de créer. Dans sa première partie, « Un Coup de Maître » parvient même à bouleverser par l’ampleur de la perte du goût de vivre de cet homme, joué par un Bouli Lanners pittoresque, viscéral et tourmenté à l’extrême, sans que son ami, interprété quant à lui par un Vincent Macaigne attentif, cérébral et réaliste, ne parvienne à le raisonner ni à raviver sa flamme. L’issue ne peut alors être ici que fataliste, et celle-ci se ressent, notamment par l’utilisation de la musique palpitante de Laurent Perez del Mar, marquant sa 3e collaboration avec le metteur en scène. La dépression de l’artiste, en panne d’inspiration, est dès lors de mise dans ce premier acte, faisant certes état d’une solide et belle union, mais laquelle ne parvient pourtant pas à sauver la décrépitude, la solitude existentielle de l’individu, soit de ce peintre qui s’est laissé engloutir par sa condition. Et c’est en cela que « Un Coup de Maître » nous a profondément émus, Rémi Bezançon étant lui-même un génie de l’émotion, capable même de la faire monter à partir de la comédie, elle qui reprend pourtant ici du galon, et cela sans crier gare (pour autant qu’on n’ait ni lu le synopsis du film ni regardé sa bande-annonce, ce qui était notre cas)...

En effet, alors que son film aurait pu être une parabole à la fois décalée et troublante de la maladie mentale, Rémi Bezançon fait rebasculer son film adapté dans une volte-face incongrue, à l’image des nombreuses situations dans lesquelles le peintre entraînera son ami galeriste. Car le personnage de Vincent Macaigne connaît mieux que quiconque son ami (qui souhaite, lui, « disparaître »), et a plus d’un tour dans son sac pour le sortir d’affaire. Car bien que le spectateur ne soit pas dupe, et que l’histoire et l’écriture des personnages fassent en sorte qu’il ne le soit pas, « Un Coup de Maître » contourne ici le système, tout en offrant une seconde vie à ce duo, malgré, une fois de plus, l’idée de la mort. Dans un sens, cette comédie vient d’un seul coup détruire ce qu’elle avait réussi préalablement à installer, bien qu’elle permette de renforcer, encore plus, la relation établie entre les deux hommes, eux qui souhaitent retrouver leur liberté d’avant. Sans rien révéler de cette chute rocambolesque et mortelle (!), celle-ci est déstabilisante, et risque peut-être d’en décevoir plus d’un, tel, finalement, un coup de maître ! Cependant, elle permet de pointer du doigt l’hypocrisie du monde de l’art, où, par exemple, la côte d’un artiste peut augmenter après sa mort, laissant derrière lui, des œuvres au travers desquelles il a partagé son âme, peu importe qu’il fût apprécié ou non de son vivant, ou qu’il vendait ou non. Or, Renzo Nervi, lui, n’était ni apprécié ni ne vendait, ce qui tombe à pique... Dans l’ensemble, cette seconde partie, une fois de plus également inspirée de celle d’un film, s’avère donc être une fausse bonne idée, prenant à contre-pied certains de ses fondements premiers, pour s’engager finalement sur des terrains beaucoup plus légers (et beaucoup moins réalistes), au regard du contraste entre Renzo et le monde mercantile qui entoure celui de son ami, source de sympathiques quiproquos, dans lesquels le personnage secondaire de Bastien Ughetto, en tant que stagiaire de Renzo, tient également la chandelle.

Tandis qu’il est question aussi ici de la contemplation de l’art, permettant notamment de sortir de soi pour se laisser emporter par la vision d’un autre, « Un Coup de Maître » se devait d’évoluer cinématographiquement dans un univers pictural assez marqué, étant donné que la peinture est quand même ici au cœur du récit. C’est ainsi que le film affiche ici une vive colorimétrie RVB (Rouge-Vert-Bleu), présente dans les toiles de Renzo, et dans les décors intérieurs et extérieurs qui entourent les personnages. Certains plans sont d’ailleurs très artistiques, et dignes d’un tableau, dont notamment celui d’ouverture, et de fin de film. Cependant, on reste peu convaincu ici par les œuvres peintes par Renzo (pour le peu qu’on voit faire), lesquelles, même sans être mal accrochées, ressemblent plus à des croûtes qu’à autre chose. Mais ce n’est définitivement pas le cas du film de Rémi Bezançon, dessinant sa trajectoire, à contre-courant, de la comédie conventionnelle, loin de toute escroquerie...



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