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Frauke Finsterwalder
Sisi & Ich
Sortie du film le 02 août 2023
Article mis en ligne le 7 août 2023

par Julien Brnl

Genre : Film historique, drame

Durée : 132’

Acteurs : Susanne Wolff, Sandra Hüller, Stefan Kurt, Georg Friedrich, Maresi Riegner, Johanna Wokalek, Sibylle Canonica...

Synopsis :
À la fin du XIXe siècle, l’impératrice Élisabeth d’Autriche-Hongrie - plus connue sous le nom de Sissi - vit dans une commune aristocratique de femmes en Grèce. La comtesse Irma est envoyée auprès de Sissi en tant que compagne et devient immédiatement fascinée par cette recluse excentrique et extravagante. Mais le monde extérieur tente de briser Sissi. Malgré la résistance acharnée d’Irma et de Sissi, il ne reste finalement qu’une voie fatale qui liera les deux femmes à jamais.

La critique de Julien

125 ans après sa mort, l’impératrice Élisabeth d’Autriche, également connue sous le nom de « Sissi », continue d’inspirer les arts et de bousculer les foules, son histoire étant sans cesse racontée dans les livres, les émissions télévisées, les documentaires, les séries, et bien évidemment dans les films. L’année dernière est d’ailleurs sorti sur nos écrans le film « Corsage » de Marie Kreutzer, avec Vicky Krieps dans le rôle de Sissi, lequel lui a valu le prix de la meilleure interprétation féminine dans la section Un certain regard du Festival de Cannes. Dix ans après son premier film « Finsterworld », c’est au tour de la réalisatrice d’origine hambourgeoise Frauke Finsterwalder de s’inspirer de la vie de cette figure emblématique du XIXe siècle pour son nouveau métrage, lequel raconte les dernières années de Sissi, mais pour la première fois du point de vue de la comtesse Irma Sztáray de Sztára et Nagymihály, laquelle fut sa dernière dame d’honneur, présente lors de son assassinat le 10 septembre 1898, à Genève, par un anarchiste. Or, c’est d’après les mémoires « Aus den letzten Jahren der Kaiserin Élisabeth » (1909) de la comtesse hongroise que Finsterwalder a co-écrit ce scénario fictif dans les petites lignes, surprenant et radical, et cela avec son mari, l’auteur suisse à succès Christian Kracht. Dépoussiérant le mythe qui entoure encore aujourd’hui la vie de l’Impératrice, la cinéaste retrouve ici l’actrice Sandra Hüller (vue dans « Toni Erdmann » (2016) de Maren Ade), très populaire en ce moment étant donné qu’on la verra dans les films « Anatomie d’une Chute » de Justine Trier et « The Zone of Interest » de Jonathan Glazer (respectivement la Palme d’Or et le Grand Prix à Cannes), tandis qu’elle offre le rôle de Sissi à Susanne Wolff, laquelle est ici toute aussi impériale qu’elle l’était dans le drame « Styx » (2019) de Wolfgang Fischer. « Sisi & Ich » réécrit alors l’Histoire de cette femme née un siècle trop tôt, durant les dernières années de sa vie, lorsqu’elle vivait - malgré la présence de ses assistantes personnelles, favorites et confidentes - fondamentalement isolée et malheureuse, loin de la monarchie, qui étouffait en elle sa soif de modernité et de liberté...

« Entrer. Sortir. Lumière allumée. Lumière éteinte ». « Sisi & Ich » nous emmène alors 1894, alors que la mère méprisante et autoritaire d’Irma Sztáray dit à sa fille d’âge moyen que ses choix ne se résument qu’au mariage, au monastère, ou à « ça », c’est-à-dire devenir la servante de l’impératrice Élisabeth d’Autriche, séparée quant à elle non officiellement de son mari François-Joseph Ier d’Autriche depuis de nombreuses années, elle qui vit désormais loin de la Cour impériale, à Corfou, où un palais réservé aux femmes, l’Achilleion, lui fut construit par l’architecte italien Raffaele Caritto, elle qui était passionnée de culture hellénique. Ayant rejeté ses deux premiers choix, dégoûtée par les hommes (qu’elle juge trop « poilus ») ou par toute autre chose de significative dans la vie, Irma sera rapidement envoyée auprès de Sissi, après un humiliant entretien d’embauche par sa prédécesseuse. Or, la voilà à peine arrivée qu’elle sera testée par Sissi, elle qui devra notamment mettre de côté son gros appétit, étant donné que l’Impératrice est obsédée par son tour de corps et son poids, elle qui est en proie à un vide existentiel, vivant recluse, et malade. Malgré son incertitude première et ses difficultés d’adaptation, Irma tombera cependant follement amoureuse de Sissi, l’accompagnant dans ses nombreux voyages, tout en lui étant fidèle, malgré ses innombrables changements de comportement, son extravagance et ses caprices, elles qui développeront un lien de co-dépendance aussi proche que Sissi le permettra, suivant ainsi ses humeurs, qui mettront à rude épreuve Irma...

C’est avec beaucoup de liberté, de féminisme et d’insolence que Frauke Finsterwalder donne un sacré coup de pied au morne destin de Sissi (ici avec un seul « S »), en se concentrant ainsi sur la vision qu’en avait sa dame de compagnie, ses ressentis et sentiments à son égard, tandis que la cinéaste étrille au passage les vices, la suffisance et faux-semblants de la noblesse, transcendant ainsi l’Histoire par des nouveaux mythes, des parti-pris purement imaginés, dans le but d’offrir une autre fin à l’Impératrice, sans pour autant en modifier les grandes lignes. Parsemé de propos tristement très actuels, comme le culte de la beauté et de la maigreur, ou le viol, « Sisi & Sich » est un film libertin, lequel ne lésine pas non plus sur la prise de substances par Sissi et ses consœurs, tout comme il offre une place à l’homosexualité, ici assumée par l’archiduc Ludwig Viktor Joseph Anton d’Autriche (Georg Friedrich), le frère cadet rejeté de François-Joseph Ier, mari de Sissi. C’est aussi dans le ton de mise en scène, dans ses costumes anachroniques, dans ses dialogues mordants (voire tranchants) et à double sens, mais également par ses choix musicaux (100% féminins, et rock) à contre-emploi [1] que ce film sort des sentiers battus du film historique habituel, porté ici dans deux actrices absolument fabuleuses. C’est si peu dire qu’elles absorbent toute notre attention, jouant avec beaucoup de nuances et de profondeurs leurs personnages. En effet, Sandra Hüller y rayonne à la fois par le bonheur qu’elle trouvera en la compagnie de l’Impératrice, mais également par la tristesse qu’elle lui fera subir, à l’ignorer, ou à la rejeter ici pour un oui, pour un non, pour un garçon, tandis que Susanne Wolff campe une Sissi dépossédée, malgré quelques regains d’avidité pour la vie, grâce ici à la présence d’Irma, qu’elle ne respectera cependant pas. Outre donc l’aura que dégage le personnage de Sissi, Frauke Finsterwalder parvient profondément ici à nous imprégner de la relation complexe, toxique, d’utilité vitale que les femmes entretiennent ici, tandis qu’elle se permet, jusqu’au dernier moment, de nous questionner aussi sur la disparition tragique de l’Impératrice...

« Sich & Ich » se veut donc une vision contemporaine, audacieuse et fascinante d’une histoire que nous connaissons tous, bien loin cependant du portrait romancé que le cinéaste Ernst Marischka a offert à Romy Schneider de 1955 à 1957, dans ses trois films. C’est une (re)lecture osée, de l’Histoire, qui ne fera qu’un peu plus grossir le mythe qui entoure la beauté et les tragédies d’une femme plongée bien trop tôt dans une douleur et mélancolie indescriptibles, envers qui la cinéaste Frauke Finsterwalder offre une réincarnation aussi fragile et forte que l’était Sissi, déracinée, et sans-patrie, à l’image d’une mouette, volant, au grès du vent, au-dessus d’une falaise, elle qui se surnommait « la mouette des mers »...



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