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Tina Satter
Reality
Sortie du film le 16 août 2023
Article mis en ligne le 18 août 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 82’

Acteurs : Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis...

Synopsis :
Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile. Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux. Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?

La critique de Julien

Le 3 juin 2017, Reality Winner, une jeune femme d’une vingtaine d’années était interrogée chez elle, après avoir été aux courses, et cela par le FBI, lequel avait un mandat de perquisition pour la fouiller elle, sa voiture, et sa maison. En effet, alors salariée militaire de la société Pluribus International Corporation, la demoiselle avait mis la main sur des documents classifiés de l’Agence Nationale de Sécurité (NSA), prouvant l’ingérence russe dans les élections américaines de 2016, qui aurait alors attaqué un fournisseur américain de logiciel de vote électronique, favorisant ainsi l’élection de Donald Trump. Or, ces documents auraient été envoyés anonymement par ses soins vers le magazine en ligne d’investigation The Intercept... Premier film de la dramaturge Tina Satter, « Reality » est adapté de sa propre pièce de théâtre textuelle « Is This a Room : Reality Winner Verbatim Transcription » (2019), elle-même mise en scène mot à mot sur base dudit interrogatoire enregistré par plusieurs agents du FBI qui inspectaient la maison de Winner, dont par les agents Justin C. Garrick et R. Wallace Taylor. Drame intimiste et d’espionnage qui fait froid dans le dos, voilà un film alarmiste qui brille par la tension exercée par sa mise en scène, totalement immersive, implacable, et documentée.

Jugée à une peine de 5 ans et 3 mois de prison, et libérée depuis sous surveillance, Reality Winner a elle-même été impliquée dans le film, tout en le soutenant. Linguiste cryptologue, vétérane de l’US Air Force, instructrice de yoga, formatrice CrossFit, et amoureuse folle de ses animaux de compagnie, tout en partageant ses voyages et ses opinions anti-Trump avec ses followers sur les médias sociaux, la demoiselle travaillait alors comme traductrice, en espérant par la suite être déployée sur place, en Afghanistan, afin que sa maîtrise du pachto puisse être mieux utilisée, avec des réfugiés. Mais c’est sans compter sur la chaîne d’info conservatrice Fox News mise contre son grès en permanence dans les oreilles au travail, et sa volonté de montrer à ses compatriotes qu’ils avaient été intentionnellement induits en erreur que Reality a divulgué ces documents à The Intercept, lequel a, par inadvertance, aidé le FBI à l’identifier, tandis que des soupçons accablants reposaient sur ses épaules...

« Reality » est donc le fruit des dialogues tirés de la transcription originale du FBI, lequel nous immisce alors durant ces longues minutes de terreur pour la principale intéressée, d’abord devant sa maison, puis dans une pièce désaffectée de celle-ci, où elle sera alors victime de la machination des agents experts sur FBI, qui savent comme s’y prendre pour tirer les vers du nez. Winner est jouée ici par Sydney Sweeney (vue dans la série « Euphoria » et la première saison de « The White Lotus »), laquelle offre un jeu tétanisant, dans le sens où l’on sent la pression monter en son personnage à mesure que l’étau se ressert, sans retour en arrière possible, elle qui sait évidemment plus qu’elle n’en dit, au même titre que le FBI. La démarche alors entreprise par Tina Satter fait en sorte que le spectateur soit comme le témoin de l’interrogatoire en question, comme s’il était dans la pièce, où l’espace, de plus en plus étouffant, donne l’impression de se rétracter. La musique anxiogène de Nathan Michay participe aussi à cet effet, tandis que le caractère réaliste du film dépasse ici toute fiction.

Le film, diffusé sur HBO aux États-Unis, sans passer par les cinémas, débute donc dans les bureaux de Pluribus, le 9 mai 2017, alors que Reality Winner subit la couverture de Fox News sur le limogeage de James Comey par le président Donald Trump, puis vingt-cinq jours plus tard, après avoir été faire des courses, avant de rentrer chez elle, où l’attendent les deux agents (Josh Hamilton et Marchant Davis). Les premières phrases des échanges, enregistrés dès 15h30 (jusqu’à, « disons », 17h17), commencent pertinemment sur bande sonore, avant de passer rapidement sur un son en temps (pratiquement) réel. Tina Satter fait alors le choix ici de nous montrer par moments les dialogues du film, extraits donc de la transcription au moment où ils sont prononcés, tandis que lorsque des informations sensibles sont censées être citées, celles-ci sont remplacées par des grésillements (question de droits, notamment), alors que les personnages disparaissent de l’écran, avant de réapparaître quelques millièmes de seconde plus tard. Pendant ce laps de temps, l’image laisse alors la place à des plans froids, où l’humain s’est volatilisé, nourris par la couleur jaunâtre de la pièce d’interrogatoire, qui ressemble quant à elle à tout espace impersonnel d’interrogatoire, sans que rien d’extérieur ne puisse interférer, si ce n’est - ici - un autre agent se demandant s’il s’agit là d’une chambre. Ainsi, « Reality » reflète, à la virgule près, et à l’intonation près, cette conversation, laquelle donne à vivre ici une expérience de cinéma assez authentique, inédite, étouffante, tandis qu’elle se termine sur un épilogue faisant état des conséquences du geste fort de Reality Winner, jugée par l’Espionage Act, alors que les documents qu’elle a divulgués ont finalement été utilisés au Sénat comme preuve de l’ingérence russe...



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