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Martin Scorsese
Killers of the Flower Moon
Sortie du film le 18 octobre 2023
Article mis en ligne le 11 novembre 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame, thriller

Durée : 226’

Acteurs : Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Jesse Plemons, Lily Gladstone, Tantoo Cardinal, Sturgill Simpson...

Synopsis :
Au début du XXe siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre...

La critique de Julien

La sortie d’un Scorsese est toujours un événement, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une sixième collaboration avec Leonardo DiCaprio, et d’une dixième avec Robert De Niro. Présenté en avant-première à Cannes, « Killers of the Flower Moon » l’est davantage encore, puisqu’il s’agit de l’adaptation du roman non fictionnel du même nom de David Grann, paru en 2017, lequel retrace l’assassinat dans les années 20 de plusieurs membres de la tribu des Osage, dans le comté d’Osage, en Oklahoma, laquelle était surnommée « Flower Moon », en raison de la floraison des fleurs dans toute l’Amérique du Nord, signe d’abondance et de l’arrivée du printemps, après un hiver froid et rigoureux. En effet, riches propriétaires de leurs terres sous lesquelles coulait « l’or noir », les Osage avaient réussi à obtenir le droit d’exploitation exclusif des réserves de leur sol, qui ne pouvaient donc être ni cédées ni vendues, mais seulement héritées, bien que la loi raciste exigeait que des tuteurs blancs soient nommés pour gérer l’argent des membres de sang-mêlé, les considérant comme « incompétents ». Cette autre abondance avait dès lors attisé les convoitises des prospecteurs blancs. Alors que le livre de David Grann enquêtait sur cette série de meurtres et détaillait l’enquête tardive du FBI (anciennement le « Bureau of Investigation »), ainsi que le procès et la condamnation de William King Hale (De Niro) en tant que cerveau derrière le complot, Scorsese retrace l’avènement conspirationniste envers les Indiens Osage, au travers notamment d’une romance complexe, alors qu’il n’était pas rare d’en trouver un, mort, chez lui ou au bord d’un chemin, aucune enquête n’étant réalisée par le shérif et les juges locaux, tous corrompus, aboutissant tous ainsi aux mêmes conclusions...

Après une introduction rituelle, et la découverte du pétrole jaillissant du sol des Osage, « Killers of the Flower Moon » plante son intrigue en 1919, alors qu’Ernest Burkhart (DiCaprio), crédule vétéran blessé de la Première Guerre mondiale, rejoint son frère Byron (Scott Shepherd) dans le grand ranch de la réserve de son leur oncle, William King Hale, lequel se présente alors comme un bienfaiteur amical des Osage, parlant leur langue, et leur offrant des cadeaux. Ce dernier, avec pour ambition d’hériter de leurs terres, suggéra à son neveu de courtiser Mollie Kyle (Lily Gladstone), une Osage dont la famille possède des droits de pétrole. Or, c’est via son travail de chauffeur qu’il la rencontrera, lesquels tomberont mutuellement amoureux, se marieront, et auront des enfants. Sauf que son oncle, à qui il doit sa nouvelle vie, tire les ficelles, et compte bien profiter abondamment du caractère docile et de la personnalité naïve d’Ernest pour arriver à ses fins. Mais c’est seulement à partir de la vision des images du massacre terroriste suprémaciste blanc de Tulsa de 1921 que les soupçons grandiront chez les Osage, dont chez Mollie, malade de diabète, et soignée par son mari, à l’aide « d’insuline », prescrite par des médecins, sous ordre d’Hale, elle qui se rendra malgré tout à Washington, avec une délégation des membres de la tribu, afin de demander de l’aide au président Calvin Coolidge.

Il nous a fallu le temps de placer ce film dans notre agenda plutôt serré. Il faut bien dire que ce film-fleuve s’étale sur près de trois heures et trente minutes, même si on ne les voit pas passer. Car la mise en scène de Scorsese, à 80 ans, est d’une fluidité remarquable, lequel nous offre ici, avec son équipe technique, une reconstitution minutieuse, son film ayant été tourné sur les terres du comté d’Osage, soit où ces événements ont eu lieu, il y a un siècle, dont à Fairfax. À l’image justifiée de sa durée, « Killers of the Flower Moon » développe ainsi son emprise sur le spectateur, comme l’on fait les Blancs avec les Osage, eux de manière insidieuse et perfide, et Scorsese de façon fascinante et quasi horrifique, lequel rend très perceptible la mainmise du capitalisme sur l’humain, ne reculant devant rien. On assiste alors à la lente et douloureuse déchéance du peuple Osage, par cupidité macabre de l’homme blanc, prêt à tout pour asseoir son pouvoir, face à des victimes qui, sans connaître le sentiment de méchanceté, étaient dès lors incapables de s’en méfier. Le réalisateur, après avoir passé sa carrière à dépeindre une Amérique ayant construit son histoire par la violence, dresse dès lors ici un portrait réaliste de la manipulation méthodique, de l’anéantissement criminel dont a été, et est encore tristement capable l’Homme. On en ressort estomaqués, hantés par des visions dont nos très lointains ascendants sont responsables. Difficile, en effet, de croire que l’être humain est capable de telles abominations, sans éprouver le moindre scrupule, et - très souvent - sous prétexte de croyances, persuadé de faire le bien, ou d’un salut pour son propre peuple...

Fidèles à eux-mêmes, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro en imposent, le premier dans le rôle d’une marionnette aux prises d’un homme machiavélique, qui souhaite mélanger sa famille avec celles des Osage, afin que « l’argent du pétrole coule dans la bonne direction ». Mais c’est bien l’actrice amérindienne Lily Gladstone qui leur damne le pion, elle qui, sans trop parler, reflète par son interprétation silencieuse, mais résistante, la condition dupée des Osage en leur temps. L’histoire d’amour entre les personnages de DiCaprio et Gladstone prend également beaucoup de place, et confère une lecture d’autant plus tragique à ce drame, et de ladite machination existentielle orchestrée envers les autochtones, que la musique du regretté Robbie Robertson (décédé en août dernier), fidèle collaborateur de Scorsese, vient nuancer par ses percussions et inspirations divinement amérindiennes.

S’il est un divertissement épique, « Killers of the Flower Moon » est également un film politique d’une grande nécessité, nous confrontant à notre histoire, afin de la reconnaître, et que l’on se souvienne, ainsi qu’à ses heures les plus sombres, pour ne plus les reconduire. Car à l’échelle de son cadre spatio-temporel, cette intrigue est bien universelle, ce qui en fait également toute sa force, et son poids. Car Martin Scorsese a réussi là un film monumental, comme on n’en fait plus, à hauteur de son budget de production faramineux (200 millions de dollars), loin d’être ainsi gaspillé, comme c’est si souvent le cas pour les films qui, généralement, en profitent...



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