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Emmanuelle Nicot
Dalva
Sortie du film le 22 mars 2023
Article mis en ligne le 22 mars 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 83’

Acteurs : Zelda Samson, Alexis Manenti, Fanta Guirassy, Marie Denarnaud, Sandrine Blancke, Jean-Louis Coulloc’h...

Synopsis :
Dalva a 12 ans mais s’habille, se maquille et se vit comme une femme. Un soir, elle est brusquement retirée du domicile paternel. D’abord révoltée et dans l’incompréhension totale, elle va faire la connaissance de Jayden, un éducateur, et de Samia, une adolescente au fort caractère. Une nouvelle vie semble alors s’offrir à Dalva, celle d’une jeune fille de son âge.

La critique de Julien

Après deux courts-métrages, « Dalva » est le premier long de la réalisatrice française Emmanuelle Nicot, lequel fut récompensé à Cannes du prix FIPRESCI de la Semaine de la critique, tandis qu’il a également reçu le prix découverte du Festival International du Film Francophone de Namur, ainsi que celui de la meilleure interprétation féminine pour Fanta Guirassy, et du jury junior. Dans ce drame brut et intense vécu au travers du regard d’un enfant, sa réalisatrice parle d’inceste, et de la lente reconstitution de ses victimes, en la personne ici de Dalva (Zelda Samson), douze ans, laquelle va être brusquement arrachée des bras de son père (Jean-Louis Coulloch’h), par la police. Et pour cause, la jeune demoiselle isolée, a été, sans s’en rendre compte, abusée par celui-ci, croyant alors qu’il ne s’agissait-là que d’amour, alors qu’il n’était pourtant question que d’emprise. Alors qu’elle se maquille, se coiffe et s’habille comme une femme, Dalva, hyper-sensualisée dans un jeu involontaire de séduction vis-à-vis de son père, va devoir apprendre, d’une part, à sortir du déni et, d’autre part, à vivre comme une petite fille de son âge. Cela se fera au sein d’un foyer pour enfants placés, où elle fera la rencontre de Samia (Fanta Guirassy), une adolescente au fort caractère, et de Jayden (Alexis Manenti), son éducateur, lesquels ne pourront cependant pas lui apporter l’amour dont elle a besoin, au contraire de sa maman (Sandrine Blancke), avec laquelle elle va devoir construire une relation de confiance et de possibilités, loin de toute rivalité, alors que Dalva avait été façonnée par son bourreau à l’image d’une épouse...

Découvert en octobre dernier à Namur, « Dalva » y avait forte impression, étant donné le portrait de cette demoiselle à qui l’enfance a été volée, alors que s’ouvre devant elle les portes de l’adolescence, elle qui va interpréter, dans un premier temps, le travail de la justice à l’égard de son cas comme une injustice. Mélangeant évidemment tout à l’amour, Dalva n’a ainsi jamais eu besoin de remettre en question sa place ni son apparence, faute de lucidité et de libre arbitre, étant donné l’emprise dont elle était victime, faisant de ses émotions une normalité. Thème personnel à sa réalisatrice Emmanuelle Nicot, celle-ci s’est ici, entre autres, nourrie de son dernier court-métrage « À l’Arraché » (2016), pour lequel elle avait été en immersion dans un centre d’accueil d’urgence pour adolescents, ainsi que du métier d’éducateur, alors qu’une de ses amies avait un père éducateur, chargé d’extraire de leur domicile des enfants suspectés de subir des maltraitances. « Dalva » témoigne alors du long processus psychologique et du travail de l’enfant vers la reconstruction, face à l’impossible (vraie) réalité à entendre, lequel doit ici comprendre que ce qui lui est arrivé est mal, et croire ainsi les bonnes personnes, c’est-à-dire celles qui lui veulent véritablement du bien. La révélation Zelda Samson porte alors en sa posture, son regard, son phrasé, ou encore en son apparence les marques indélébiles d’une fillette mature qui doit finalement tout réapprendre à la vie, tout en ayant désormais peur d’être seule, et ne plus être importante pour quelqu’un, elle qui ne connaissait ici que l’amour (incestueux) d’un père...

Filmé au format 4/3 et majoritairement en caméra à l’épaule afin de capter chaque souffle et vibration humaine de son héroïne, « Dalva » va rapidement la confronter aux regards des enfants de son âge, placés tout comme elle, elle qui parviendra (difficilement) à se lier d’amitié avec l’une d’elles. Mais c’est véritablement sa relation avec son éducateur Jayden qui va lui faire prendre conscience de sa condition d’enfant mal-aimé, et de l’avenir qui s’offre désormais à elle. L’acteur - et meilleur espoir masculin aux César 2020 pour son rôle dans « Les Misérables » de Ladj Li - est époustouflant de retenue dans son rôle complexe, dont la tâche est délicate et sensible, au même titre que le film lui-même. À la fois sanguin et empreint de douceur et de retenue, son personnage tiendra tête ici à une jeune fille qui ne connaît pas les limites, laquelle va le - et les - tester, alors qu’elle ne désire que de la tendresse et de l’amour, ce qu’il ne peut fondamentalement lui apporter comme elle l’entend, au contraire de l’éveil, de la bienveillance, tout en gardant ainsi la distance. Aussi, le comédien Jean-Louis Coulloch’h interprète le rôle extrêmement difficile dudit père. En témoigne une scène en prison, alors que Dalva retirera sa veste pour afficher un chemisier dentelé au dos nu qu’elle avait caché, et cela à l’arrivée de son père en salle d’interrogatoire, comme si elle se devait encore de se comporter comme une femme. Celui-ci aura alors la lourde tâche d’assumer ses actes, et faire comprendre à sa fille qu’il n’a pas été un bon père pour elle, ce qu’elle refusera d’entendre dans un premier temps, avant de ne plus avoir la force de le regarder, mais plutôt de donner la main à sa mère, notamment lors d’une scène finale mémorable, signe d’une avancée majeure dans la prise de conscience de cet enfant, face au prédateur, loin pourtant d’être absolu. On comprend en tout cas pourquoi beaucoup d’acteurs ont refusé de passer le casting.

« Dalva » est un film qui prend aux tripes, qui ne s’oublie pas et qui ne laissera pas indifférent, voire qui pourrait déranger, et cela autour d’un sujet tabou et très dur. Cependant, Emmanuelle Nicot a choisi ici la lumière, et la quête de l’innocence en passe d’être retrouvée, à mesure que sa jeune interprète - d’une incroyable justesse et force de jeu - se démaquillera face caméra, même si rien ne pourra effacer son passé. Ou peut-être bien le soutien, et l’amour raisonnable, que tout le monde pourra, cette fois-ci, comprendre...



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