Synopsis : Jack, 5 ans, vit seul avec sa mère, Ma. Elle lui apprend à jouer, à rire et à comprendre le monde qui l’entoure. Un monde qui commence et s’arrête aux murs de leur chambre, où ils sont retenus prisonniers, le seul endroit que Jack ait jamais connu. L’amour de Ma pour Jack la pousse à tout risquer pour offrir à son fils une chance de s’échapper et de découvrir l’extérieur, une aventure à laquelle il n’était pas préparé.
Acteurs : Brie Larson, Jacob Tremblay, Sean Bridgers, Wendy Crewson, Joan Allen, William H. Macy
Conseil : ne regardez pas la bande-annonce (eu tout cas pas avant d’avoir vu Room !)
Quand Emma rencontre Lenny !
Le film Room, c’est la rencontre de deux irlandais. Lenny Abrahamson, le réalisateur de What Richard Did (2012) et des excellents Adam & Paul (2004), Garage (2007) et Frank (2014), plus connus par les cinéphiles et en milieu anglo-saxon et une écrivaine, Emma Donoghue, qui a publié le roman Room en 2010. Elle adapte celui-ci pour le cinéma et en écrit le scénario. Elle est également une auteure réputée comme ayant contribué à l’essor et au développement de la littérature LGBT.
Du réel au roman et au film
Le souhait d’écrire son roman - qui n’est pas une "histoire vraie" - lui est venu en découvrant celle de d’Elisabeth Fritzl. Elle s’est également inspirée de l’affaire Jaycee Lee Dugard et de Natascha Kampusch. La romancière développe son roman en proposant de découvrir le regard d’un enfant qui nait dans un tel cadre et a toujours été enfermé. Que se passe-t-il alors lorsque l’on quitte le cube (soit la pièce, chambre, "room") dans lequel on a été enfermés de longues années et que l’on découvre le monde extérieur ? Comment rendre cela et en particulier le passage du roman à l’écran ?
Réalisateur et scénariste réussissent ici un tour de force qui nous a séduit ainsi que beaucoup de confrères critiques. Nous n’avons pas lu le roman, mais son actualisation pour le grand écran est fascinante, s’agissant en particulier d’"habiter" une si petite pièce. Des guillemets ici pour habiter, car il s’agit d’une habitation au sens le plus littéral, mais aussi d’occuper un lieu, à la fois pour les protagonistes et l’antagoniste, mais également pour la caméra.
Room In !
Elle (maman) et Lui (Jack), un gamin de 5 à 6 ans aux cheveux si longs, jamais coupés qui donnent l’impression qu’il s’agit d’une petite fille, sont dans une pièce étroite d’une petite dizaine de mètres carrés [1]. Aucune ouverture sur le monde, sauf deux peut-être : une lucarne qui ne montre que le ciel, l’espace et, une autre, une petite télévision. Ce qu’elle montre — l’on pourrait ici faire des liens avec le mythe de la Caverne de Platon — sera de l’ordre de l’incertain, du fantasme, du faux, de ce qui n’est pas la "chambre" (room, donc). Ses quatre murs, le sol et le plafond (dont nous voyons les matériaux d’isolation) limitent l’espace de Jack qui y est né et de sa mère "Maman" qui y est enfermée depuis sept ans. Jack a 5 ans, il y est donc né. Son réel, ses certitudes et son assurance sont là. En dehors, c’est le vide, l’irréel, voire le dangereux où l’on ne peut vivre, comme ce serait le cas d’un astronaute qui ne pourrait sortir hors de sa capsule sans équipement de survie !
Le monde de Jack n’a de consistance que par la nomination des choses. Tout comme "Dieu", symboliquement, donne "pouvoir" sur le monde au premier-né sur la Terre, de nommer les animaux, ici Jack, le premier-né de cette chambre, donne un nom et une âme aux choses : "madame lampe, madame plante, madame lucarne, monsieur lit, monsieur placard...". A défaut d’animaux, il n’y a ici que les choses qui peuvent prendre vie, jusqu’à monsieur serpent (ai-je tort de faire une référence aux récits de la Genèse ?) dont la taille s’accroit grâce aux coquilles d’oeufs qui servent à le fabriquer.
La particularité de cet espace fermé est que sa clôture est différente selon qui l’occupe. Pour Jack, elle est son seul univers, sa seule certitude, sa seule protection. Elle n’est donc pas fermeture puisque l’au-delà est inconcevable et elle est son tout. C’est en quelque sorte la matrice chaude et protectrice dans laquelle il peut se lover. Se "lover" (je joue sur le mot !) et se blottir auprès et tout contre "maman". Sauf lorsque "Old Nick" entre dans la pièce pour apporter les vivres sans lesquels il serait impossible de survivre dans cet endroit clos. Il vient aussi pour une relation sexuelle imposée à maman. A ces moments-là, ces heures-là (ces nuits ?), Jack verra son espace se restreindre encore à un placard, matrice dans la matrice, dont la seule vision du réel, sordide, se fera à travers l’espace ajouré des lattes de ce lieu de confinement. Malgré tout cela, Jack vit cette sixième année qui débute dans le bonheur de l’amour qu’il vit et partage avec maman !
Pendant une heure, la caméra arrivera à nous faire prendre conscience de la vision spéciale de l’une et de l’un, confinée pour la première, étendue quasi à une sorte d’infini pour le deuxième. L’espace de Jack étant découvert en "réalité augmentée" grâce à sa voix off [2]. Cela serait presque magique s’il n’y avait la réalité sordide de cet enfermement. Tout le génie sera d’en sortir (pour les protagonistes, le film... et les spectateurs) !
Room Out !
Hormis quelques faiblesses (la scène de sortie déjà signalée ainsi que l’usage de la musique dans d’autres de la deuxième partie qui insiste parfois aux limites du pathos, mais sans en franchir les frontières), il faut relever en premier lieu le jeu des acteurs et en particulier le tout jeune Jacob Tremblay, 7 ans, dont c’est le premier rôle et qui est bluffant dans celui-ci. Il est en symbiose parfaite avec Brie Larson qui est ici en mode "Actor’s studio" [3] et joue de façon très juste. Tous deux apportent une très grande densité au film. Enfin, il faut remarquer la performance technique qui a consisté à filmer dans un endroit aussi exigu. Certes il y a l’utilisation de caméras très peu encombrantes, mais il y a surtout le savoir-faire qui permet de diversifier les images et points de vue de telle sorte que l’on ne se lasse pas d’être enfermé durant une heure dans cette "room".