Synopsis : Tiré du bestseller de David Ebershoff, "Danish Girl" retrace la remarquable histoire d’amour de Gerda Wegener et Lili Elbe, née Einar Wegener, l’artiste danoise connue comme la première personne à avoir subi une chirurgie de réattribution sexuelle en 1930. Le mariage et le travail de Lili et Gerda évoluent alors qu’ils s’embarquent sur les territoires encore inconnus du transgenre.
Acteurs : Eddie Redmayne, Alicia Vikander, Amber Heard, Matthias Schoenaerts, Ben Whishaw.
Il est des acteurs qui transcendent à ce point leurs rôles qu’ils s’effacent pour leur donner un corps. Tout l’inverse donc des conseils de la réalisatrice Margherita (Margherita Buy) dans Mia Madre de Nanni Moretti, quand elle laisse entendre à ses acteurs qu’ils ne doivent pas s’effacer devant leur rôle, mais qu’en revanche, ils doivent être présents... tout en s’effaçant ! Bien sûr, il s’agit là d’une mise en abime, d’un jeu au sein même du film, mais qui fait écho au cinéma et aux jeux d’acteurs. C’est ainsi que Omar Sy est trop présent dans son interprétation de Chocolat dans le film homonyme de Roschdy Zem. À son corps défendant, probablement, il écrase le personnage dont il doit rendre compte à l’écran. C’est tout le contraire ici où Eddie Redmayne donne corps à Lili en lui cédant sa place.
Il faut ici "avouer" que je n’avais pas eu l’occasion de voir Une merveilleuse histoire du temps (Theory of Everything) de James Marsh (2014) et que j’étais "indemne" de l’interprétation par Eddie Redmayne de Stephen Hawking. Bien plus, je n’avais pas relevé sa présence dans plusieurs autres films où il avait joué ! Enfin, je partais avec des pieds de plomb à la vision presse, sans avoir vu la bande-annonce, sinon, sur l’une d’entre elles, une première image (voir ci-contre) qui m’a fait penser que le rôle transgenre était interprété par une femme ! Je n’ai pas été plus loin.
C’est donc sans autre a priori que celui-là que j’ai découvert un très beau film et des acteurs au service d’une oeuvre de très grande qualité. Oublié ici le dispensable Les misérables et Tom Hooper flirte avec les sommets dans une oeuvre fascinante et de toute beauté, presque trop belle pour être vraie tant les images, le cadre, la lumière font penser à des oeuvres picturales. Et c’est somme toute normal puisque l’un et l’autre protagoniste ou plutôt l’une et l’autre sont peintres. Et ici Alicia Vikander est extraordinaire dans son interprétation de Gerda Wegener. Elle va libérer son mari du corps dans lequel il est et se sent emprisonné à une époque où il n’y avait pas de place pour penser et dire la "chose", innommable donc, et qui ne pouvait donc être qu’enfermée dans un asile, hors et à l’abri du corps social.
C’est avec pudeur, tendresse et émotion que Eddie Redmayne laisse toute la place à Lili, la laisse advenir au monde, à la société. C’est d’autant plus troublant que l’androgynie de l’acteur est ici accentuée à un point tel que l’on puisse douter de son genre, jusqu’à ce qu’une image furtive, un dixième de seconde, fasse découvrir au spectateur qu’il s’agit bien d’un corps d’homme, à l’extérieur, et qu’il faudra travailler, charcuter pour ouvrir les portes de la prison.
Cette histoire vraie, tirée du bestseller de David Ebershoff est probablement romancée. Peu importe si c’est le cas, notamment pour les rôles interprétés par Matthias Schoenaerts (Hans Axgil) et Ben Whishaw (Henrik). Tous deux arrivent à mettre en lumière leurs personnages. Le premier, hétérosexuel, assume une tendresse adolescente pour celle qui était déjà Lili sans le savoir tandis que le deuxième, homosexuel, se sent troublé par Einar/Lili, par cette féminité/masculinité pas encore totalement définie dans un sens ou l’autre. Mais ce que veux Lili, c’est être vue comme femme par un homme, alors que Henrik lui, homosexuel, cherche l’homme et pas la femme. Mais ne trouvant pas celui qu’il cherche, il sera complice de celle-là qui doit sortir de son carcan pour être elle-même. De la suite, des péripéties, des avatars (au sens propre du terme) de Einar/Lili, nous ne dirons pas plus. C’est à découvrir à l’écran, même si pour certains il faudra dépasser un éventuel malaise causé par la confusion des genres et des sens.