Synopsis : Jacques Arnault, président de l’ONG "Move for Kids", prépare une action humanitaire coup de poing dans un pays d’Afrique : l’évacuation de 300 orphelins en bas âge, victimes de la guerre civile. Un avion spécialement affrété les emmènera en France, où les attendent les parents candidats à l’adoption qui ont financé l’opération. Entouré d’une équipe de volontaires - médecins, pompiers, infirmières - ainsi que de Laura sa compagne, et de Françoise, la journaliste qui doit couvrir l’expédition, Jacques va lancer son ONG dans une aventure extrême. Alors que rien ne se passe comme prévu, dans la région aussi bien qu’au sein de "Move for Kids", les tensions montent…
Acteurs : Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Reda Kateb, Valérie Donzelli, Bintou Rimtobaye, Yannick Renier, Stéphane Bissot, Philippe Rebbot, Catherine Salée.
D’emblée, il faut préciser que cette critique, positive et assumée, est en porte-à-faux par rapport à celles de nombreux confrères. N’hésitez donc pas à les lire pour pondérer celle-ci au besoin !
Si l’Arche m’était "comptée" !
Le dernier film de Jachim Lafosse donnera à beaucoup une sensation de "déjà vu" et c’est légitime, car les liens sont évidents avec l’ONG française "L’Arche de Zoé" qui a mené une opération au Tchad en 2007. C’est en octobre que tous les participants furent arrêtés alors qu’ils se préparaient à embarquer 103 enfants dans un avion à destination de l’Europe. Outre une aide humanitaire, l’organisation voulait (ou prétendait) venir en aide aux orphelins.
Joachim Lafosse s’appuie sur cette affaire pour réaliser son film, caisse de résonance de nos comportements (néo)-colonialistes ! Les chevaliers blancs, ce n’est pas à proprement parler l’affaire de 2007, ce n’est pas l’histoire d’Eric Breteau, pompier volontaire à Argenteuil, ce n’est pas un biopic ni un "cinéma du réel". On ne peut nier l’appui sur la "réalité" puisqu’il s’agit de l’adaptation du livre Nicolas Sarkozy dans l’avion ? Les zozos de la Françafrique. Tout comme dans son film précédent A perdre la raison, Joachim Lafosse dépasse le cadre d’une simple restitution historique pour obliger à nous regarder dans un miroir et nous faire découvrir nos travers, nos impensés. Il appuie là où cela fait mal.
Un blanc très séducteur !
Son point de vue est notre regard occidental. Entendons par là que nous découvrons l’Afrique et ici le Tchad avec un regard occidental, avec nos présupposés, nos acquis. En particulier, nous sommes dans le bon, nous avons raison d’intervenir, notre vie est bien meilleure que celle de ces Africains, de ces Tchadiens. Nous sommes comme ces preux chevaliers du Moyen-âge qui viennent combattre pour leur belle, mais également des "blancs" au double sens de l’expression ! Blancs comme la pureté, comme les marches du même nom, comme le drapeau de la paix... mais aussi "blancs" comme la couleur de la race qui se veut et se croit dominante et dont les valeurs censées être universelles peuvent être imposables aux tiers.
Ce sont celles-ci que vient imposer Jacques Arnault (Vincent Lindon, excellent dans ce rôle), absolument sûr de son bon droit, de la légitimité de son action, mais qui, dès le début, fait savoir que les cartes sont truquées ! Entre ce qui est annoncé aux autochtones (créer un orphelinat) et ce que l’on fera (enlever des enfants) il y a distorsion de la réalité. Bien plus, il y a arnaque et mensonge. Dès le départ, les dés sont pipés. Et l’arme pour tromper et contraindre sera le langage, la parole. Les mots que l’ont dit sont "mots-dits" pour abuser du pouvoir blanc sur ceux-là que l’on peut amadouer en promettant un avenir meilleur à ce qui leur est le plus cher, la chair de leur chair ! Jacques Arnault est ici séducteur au sens le plus pernicieux du terme. Il utilise ce qui fait notre humanité, qui nous distingue de l’animal, le langage, pour nuire. Le plus dramatique et c’est le côté sulfureux de la séduction, c’est que tout cela porte les atours de bons sentiments. Et à ce stade, personne dans l’équipe ne doute de la légitimité de l’action. La fin, le bien des enfants, est primordiale et justifie les moyens déshonnêtes utilisés.
Un héraut sûr de lui !
Bien plus, le "héros" lui-même est "honnête" et sûr de son bon droit ! Il est le héraut des temps modernes, porte-parole d’un Occident conquérant un monde grâce à ses valeurs. Celles-ci sont telles qu’elles doivent transcender toutes les autres. Ainsi s’il faut utiliser un avion, le réquisitionner en quelque sorte, alors qu’il est en stand by pour des opérations de sécurité, on leur fera, qui à mésuser des mots sur Xavier Libert (Reda Kateb). Il en sera de même par rapport aux chefs de village auxquels on donne de l’argent pour les services rendus et non pas pour les enfants qui ne sont bien sûr pas "achetés"... même si c’est ce que comprennent (à juste titre ?) les Tchadiens ! Il faudra mentir aussi aux militaires puisqu’il y a maintien de l’ordre nécessaire dans ce pays au bord de la guerre civile (notamment à cause du président qui veut se faire réélire à vie).
Un regard pervers !
Le regard qui est porté est celui de l’Occident colonisateur. Les Africains y sont là sans personnalité, renvoyés à l’arrière-plan. Nous sommes dans la peau de ces blancs, toujours en conquête et à un moment, nous nous rendons compte que les (nos) actions menées posent question. Le doute s’instille dans l’équipe (chez nous). Une journaliste (se) pose des questions. Elle est témoin des faits, mais aussi témoin de la position du journaliste aujourd’hui lorsqu’il voit des drames se jouer sous ses yeux. Les familles d’accueil également. Des membres de l’équipe doutent, se remettent en question. L’un d’eux (Chris Laurent, joué par Yannick Renier) partira, perçu par les autres comme un traître ! A la fin, dans un pâle et timide sursaut d’honnêteté, Jacques dira la vérité à une Tchadienne. Les enfants seront envoyés en France, ils ne reviendront pas. L’opération avortera, comme dans la vraie vie. Nous restons là, à la fin du film, les yeux grands ouverts sur cette affreuse certitude que nous, nous sommes les "bons blancs" au secours de l’humain. Et soudain nous reviennent en mémoire les mots de la chanson du début Ce n’est rien, de Julien Clerc ! Pour les "adoptants", 2200 euros, ce n’est rien ! C’est pour financer l’opération n’est-ce pas ! On n’achète pas les enfants ! Ce n’est rien ! Ce n’est que l’Afrique, encore nulle part. C’est nous les blancs, les preux chevaliers blancs !