Synopsis : Dieu existe. Il habite à Bruxelles. Il est odieux avec sa femme et sa fille. On a beaucoup parlé de son fils, mais très peu de sa fille. Sa fille s’appelle Ea. Pour se venger elle balance par SMS les dates de décès de tout le monde…
Acteurs : Benoît Poelvoorde, Catherine Deneuve, Yolande Moreau, François Damiens
J’ai ri...
Un ami m’a dit le lendemain de la projection presse du dernier Jaco Van Dormael qu’il m’avait entendu rire très souvent. Et, je l’avoue, le film prête souvent à rire : pas à sourire, mais un comique de situation, de gags, de bons mots parfois. Certes, il y a bien un sérieux dérapage "animal" que même l’humour n’aide pas à avaler et cela n’a rien à voir avec "dieu". C’est qu’il est question de "cela" ("dieu" donc que j’hésite à majusculer ici) dans le film et que plusieurs de mes amis aimeraient me lire ici et m’entendre en radio sur ce film comme prêtre et comme critique cinéma.
Comme "critique", le film m’a fait rire, mais ce n’est pas pour autant un grand film. En effet, j’ai plus eu l’impression d’une succession de sketches, de capsules avec un même film conducteur entre un prologue et un épilogue.
Un conte de dieux ?
Commençons par le début. Le réalisateur pense son film comme un conte dans le registre du fantastique : "Thomas Gunzig, mon coscénariste, et moi, sommes partis de l’idée : Dieu existe, il habite à Bruxelles. Et si Dieu était un salaud ? Et si, en plus d’un fils, il avait également eu une fille dont personne n’aurait jamais parlé ? Et si celle-ci avait dix ans et que Dieu, son père, se montre si odieux qu’elle se venge en balançant par SMS sur internet le secret le mieux gardé de son père : les dates de décès de chacun des habitants de la planète ? Dès lors, les références aux religions se transformaient en un conte surréaliste. Je ne suis pas croyant mais j’ai reçu une éducation catholique. Je m’intéresse aux religions comme je m’intéresse aux belles histoires".
Une belle histoire, une histoire dans le registre du merveilleux avec un grand nombre d’acteurs belges auxquels s’ajoute Catherine Deneuve. Mais l’acteur principal, essentiel du film, c’est Bruxelles ! Bruxelles ma belle, qui donne des pincements au coeur et des picotements aux doigts aux habitants de notre capitale. Une ville où rien ne semble fonctionner ce qui sied à merveille à l’intrigue quand tout commence à aller de travers, quand les femmes commencent à faire de la résistance, quand la fille et la femme de "dieu" commencent à se rebeller (celle-ci dans la dernière partie du film).
Des idées de génie ! sauf...
Avec Thomas Gunzig au scénario il ne pouvait en être autrement quand on connait la finesse et la qualité de ses interventions sur la RTBF où, avec beaucoup d’humour, il arrive à toucher quelques points sensibles. C’est le rythme de tels sketches que j’ai retrouvé dans le film qui est donc pour moi plus la succession de gags avec un fil conducteur basé sur le thème de dieu qui réside à Bruxelles avec sa famille. Mais ce qui est vraiment fascinant, c’est le thème de la révélation de la date de mort des humains. Je me plais à penser à toutes les variations possibles sur ce thème qui n’est abordé ici que sur le mode de l’humour, voire du "non-sens" (ainsi les diverses tentatives de Kevin - joué par Gaspard Pauwels - pour jouer avec la mort ou la vie, lui qui a encore soixante-quatre années de vie devant lui).
En revanche, j’ai trouvé très lourd le gag de la relation amoureuse de Martine (Catherine Deneuve) avec le gorille (en image de synthèse, je suppose ?). Je ne vois pas trop ce que cela apporte à l’histoire. Ce n’est pas tant d’être choqué que l’incongruité de la chose si triviale qui me met mal à l’aise (alors que je ne suis pas gêné par Ted dans le film homonyme !).
Et dieu dans tout ça ?
Rien d’antireligieux, d’anti-catholique dans ce film. Les références au christianisme et même au catholicisme sont présentes, indéniablement, mais comme la sédimentation d’un arrière-fond culturel (et même pas cultuel !). Ce sont des images et des imaginaires religieux qui présupposent une ancienne culture, une carrière dans laquelle on puise les derniers reliquats exploitables. Cet imaginaire n’est pas fondamentalement différent de ce qui reste dans la tête de catholiques que je rencontre et qui n’ont plus que des mots qui ne font quasiment plus sens pour exprimer ce qu’ils ont reçu et entendu dans un catéchisme de l’enfance.
Et bien entendu, on a droit au blasphème (je n’engage que moi ici, mais notre ou plutôt "ma" religion n’est pas "opposable aux tiers" pas plus que ce pourrait l’être pour celle des adorateurs de la "licorne rose invisible"). Cependant, point de blasphème donc. J’ajouterais encore que je suis a-thée de ce dieu-là qui m’importe bien peu. Il n’empêche que les/ces représentations de "dieu" sont très intéressantes, passionnantes et j’aimerais m’y attarder. Le cinéphile peut donc ici abandonner la lecture et laisser place aux curieux... ou aux philosophes pour le dernier paragraphe !
Les impensés religieux !
Qu’en est-il de nous les humains quand nous imaginons le religieux ? Je ne vise pas ici le réalisateur et ses collaborateurs, mais invite à découvrir ce qu’il y a en dessous de certaines choses, les images (voire les caricatures - on me suit ?) du religieux.
En effet, c’est probablement l’aspect le plus fascinant du film : ses impensés ! Affleurent ici des images de "dieu", du divin, même à travers l’humour, la farce et la satire ! C’est que "dieu" s’y donne à connaître, non seulement comme un emmerdeur de première (ce qui est finalement très secondaire), mais comme celui qui peut intervenir dans le cours des affaires humaines pour "foutre le bordel" (sorry !). Qu’il soit présenté ayant une fille et une épouse ne va que dans la logique qui lui pose un fils ! Pourquoi pas ? Qu’il soit très humain : c’est somme toute le revers de l’homme créé à l’image de "Dieu". Il est normal d’affirmer, d’une certaine façon qu’il est "lui", à l’image de l’homme ! Qu’il intervienne sur la terre (mais pas comme au ciel !) c’était déjà le cas dans la Grèce antique (par exemple) où les dieux et déesses foulaient le sol de notre planète. Et "dieu" ici, n’est pas fondamentalement différent de certaines nouvelles de science-fiction qui présentaient "dieu" comme un extra-terrestre plus intelligent que les humains (et/ou avec un meilleur ordinateur). Que l’on présente "dieu" (où ici sa fille Ea) comme faiseur de miracles (multiplication des sandwiches et marche sur l’eau) n’est que la monnaie de notre pièce où nous avons présenté les récits de miracles non sur le mode du "symbolique", mais comme "preuve" de la divinité (notamment de Jésus) ou signe de "sainteté".
En revanche, ce qu’il y a ici, c’est l’idée que "dieu" (et donc "Dieu") peut intervenir dans le cours de la destinée humaine, pour la changer en lui donnant de petites ou grandes misères (en somme "qu’est-ce que j’ai fait au ’bon dieu’ pour mériter cela ?"). Par ailleurs, sa façon de nous "tenir par les couilles", c’est la mainmise sur la connaissance de la date de notre décès. Et c’est ici très intéressant que sa fille balance ces informations. C’est traité sur le mode de l’humour et c’est le genre du film, mais l’idée est tout simplement géniale. En effet, c’est la seule certitude que nous avons en naissant au monde et pourtant c’est la seule chose que nous posons au-delà de l’horizon de nos prévisions. On peut prévoir l’évolution de sa famille, de sa carrière, penser sa pension... mais pour notre mort, nous là plaçons, oserais-je écrire dans un "au-delà" ! Je rêve donc d’un film qui exploiterait ce thème et qui serait réalisé par un épigone de Bergman, par exemple !
Enfin, l’impensé le plus fondamental du film (et de beaucoup d’humains probablement) consiste à imaginer que le "divin" (ici la divine - ou la déesse !) peut faire en sorte que le monde aille bien. Mais si aller bien c’est nous proposer un ciel en broderie, je dois avouer que je préfère encore l’autre dieu, le mari, à sa déesse de femme (Yolande Moreau, excellente dans ce rôle mais qui contrairement à toutes les apparences du film est le plus flippant !). Parce qu’un monde tout en rose, en broderie, tout miel, même avec un reset de certains éléments (on comprendra en voyant le film), franchement, cela me fait peur !
En conclusion, allez voir le film : vous rirez ! Mais si en plus cela donne l’occasion à quelques-uns de mes auditeurs et lecteurs de réfléchir sur la condition de "dieu dans le monde" (littéralement) ce sera une très bonne chose qui fera passer la pilule du gorille !