Genre : Drame
Durée : 107’
Acteurs : Nadia Melliti, Park Ji-min, Louis Memmi, Mélissa Guers, Nemo Schiffman...
Synopsis :
Fatima, 17 ans, est la petite dernière. Elle vit en banlieue avec ses sœurs, dans une famille joyeuse et aimante. Bonne élève, elle intègre une fac de philosophie à Paris et découvre un tout nouveau monde. Alors que débute sa vie de jeune femme, elle s’émancipe de sa famille et ses traditions. Fatima se met alors à questionner son identité. Comment concilier sa foi avec ses désirs naissants ?
La critique de Julien
Adaptation du roman autofictionnel et homonyme de Fatima Daas, publié en 2020, "La Petite Dernière" est le troisième long-métrage de la réalisatrice et actrice Hafsia Herzi, révélée au cinéma dans "La Graine et le Mulet" (2007) d’Abdellatif Kechiche ; rôle qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin. Récemment vue au cinéma dans les films "Le Ravissement" (2023) d’Iris Kaltenbäck et "La Prisonnière de Bordeaux" (2024) de Patricia Mazuy, Hafsia Herzi s’est laissée convaincre par la productrice Julie Billy d’adapter le roman de Daas ; une œuvre qu’elle ne connaissait pas, mais dont la lecture fut un véritable coup de cœur. Malgré la crainte de ne pas être à la hauteur du défi d’adaptation et des attentes du public, Hafsia Herzi s’est alors immergée dans le quotidien, l’intimité et la foi intérieure de Fatima, une jeune femme de 17 ans, d’origine maghrébine, musulmane pratiquante, vivant en banlieue et attirée par les femmes. Récompensé au Festival de Cannes 2025 par le prix d’interprétation féminine pour son actrice principale, Nadia Melliti, "La Petite Dernière" s’impose comme un inspirant récit d’émancipation et d’affirmation de soi, à la fois singulier et universel.
Entre foi, désir et quête d’identité
Portrait d’une jeunesse en mal intérieur, tiraillée entre tradition et modernité, "La Petite Dernière" est un film qui se vit au plus près de son héroïne, à la fois résiliente et digne, malgré la culpabilité ressentie vis-à-vis de son rapport à la religion, à sa famille, et surtout à elle-même, elle qui se sait attirée par les filles alors qu’elle a pourtant un tendre et bienveillant petit copain. Caméra à l’épaule, gros plans sur les visages, lumière naturelle : Hafsia Herzi n’hésite pas à capter le regard et les silences de Fatima, cachée sous sa casquette, au rythme des quatre saisons. Racontée par tranches de vie, laissant place à l’ellipse comme espace de liberté et de projection pour l’interprétation du spectateur, son histoire se vit en parallèle de son évolution. Or, bien que Fatima soit une femme, on parvient pourtant à s’y identifier, tant son histoire dépasse ses frontières sociales et culturelles. C’est précisément une demoiselle pudique et en plein questionnement, mais ouverte à sa réalité, tout en en ayant honte, et donc en la cachant de ses proches, de son entourage. D’ailleurs, le mot "lesbienne" déclenche en elle une agressivité qui ne va pas de pair avec sa personnalité, signe qu’elle n’est pas encore prête à l’entendre, et encore moins à l’assumer. Or, l’usage du mot est ici de mise par Hafsia Herzi, réalisant une libre adaptation du roman de Daas, laquelle a été consultée lors de l’écriture.
"1, 2, 3... vive les lesbiennes !"
La cinéaste nous en livre donc ici sa vision, son propre ressenti, rejouant certaines scènes du récit éponyme, tout en en créant d’autres de toutes pièces, justement inspirées d’un mot ou d’une phrase du livre. Elle s’est d’ailleurs libérée ici de toute forme d’intolérance vis-à-vis de l’homosexualité de son héroïne. À cet égard, le patriarcat n’a pas grand-chose à dire au sein de la cellule familiale, marquée par la féminité, entre fusion et tensions. Progressiste et intime dans sa démarche, Hafsia Herzi n’est donc pas là pour confronter l’homosexualité à ses détracteurs, mais bien à la personne qui la vit, face à ses propres souffrances, qui l’empêchent encore de (la) vivre pleinement. Et force est de constater qu’elle parvient à restituer avec justesse la lutte intérieure et les dilemmes de Fatima, sans enfermer son film dans un cadre thématique ou social restreint. Ainsi, à travers ce portrait d’une jeune femme en quête de sens, d’acceptation de soi, d’équilibre et d’amour, la réalisatrice explore avec empathie et finesse la complexité et la richesse des émotions humaines.
Le souffle d’une révélation et d’une lumière intérieure
Si "La Petite Dernière" frappe tant par sa justesse et son intériorité, c’est également grâce à l’interprétation de son actrice, Nadia Melliti. Repérée au sein d’un double casting étalé sur plus d’une année, l’actrice nous offre, pour son premier rôle, un jeu d’une maîtrise formelle, face aux non-dits que son protagoniste garde en elle. La jeune actrice est magnétique et dégage une force, un courage à la hauteur de son personnage, lesquels sont parfaitement dirigés par la réalisatrice, au même titre que les autres acteurs, dont Park Ji-min ou Louis Memmi. Or, si l’ensemble du casting paraît aussi naturel, ce n’est pas grâce à de l’improvisation, mais bien aux nombreuses répétitions, aux scènes très travaillées, très écrites. Ainsi, à force de répéter, les acteurs ont gagné en confiance et en naturel, dégageant une cohésion, une unité au service du parcours de Fatima, et finalement de toutes celles et ceux qui éprouvent un regard négatif sur eux-mêmes et leur orientation sexuelle, alors qu’il n’y a pourtant pas de raison de souffrir de sa différence, et non pas d’une "tendance", d’une "déviance". D’ailleurs, le film ouvre la voie vers l’apprentissage de celle-ci, par le prisme du savoir, de la lecture, de l’instruction et de la connaissance du monde. Une manière, quelque part, de traduire l’indicible et d’accepter ces vérités intérieures, qui finissent par trouver la lumière.
