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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Paul Thomas Anderson
Une Bataille après L’Autre
Sortie du film le 24 septembre 2025
Article mis en ligne le 6 octobre 2025

par Julien Brnl

Genre : Action, drame, thriller

Durée : 170’

Acteurs : Leonardo DiCaprio, Benicio del Toro, Teyana Taylor, Sean Penn, Regina Hall, Alana Haim, Wood Harris, Chase Infiniti...

Synopsis :
Ancien révolutionnaire désabusé et paranoïaque, Bob vit en marge de la société, avec sa fille Willa, indépendante et pleine de ressources. Quand son ennemi juré refait surface après 16 ans et que Willa disparaît, Bob remue ciel et terre pour la retrouver, affrontant pour la première fois les conséquences de son passé…

La critique de Julien

L’indomptable Paul Thomas Anderson est de retour avec son dixième long-métrage : le tant attendu "One Battle After Another". Et autant dire qu’il s’agit d’un pari risqué pour son studio de production Warner Bros. Pictures, dont le budget est estimé entre 130 et 175 millions de dollars, soit le film le plus coûteux de son cinéaste. Or, quand on sait que son film le plus rentable – "There Will Be Blood" (2007) – n’a rapporté "que" 76 millions de dollars de recettes à travers le monde, le studio a de quoi se ronger les ongles. Warner, pourtant, surfe sur une série historique de six week-ends d’ouverture consécutifs à plus de 40 millions de dollars de recettes aux États-Unis (le dernier en date étant celui de "Évanouis (Weapons)" de Zach Cregger). Ce qui a clairement convaincu le studio d’investir autant est la présence au casting de Leonardo DiCaprio (dont le cachet atteint 20 millions de dollars). Fidèle à sa quête de collaborations prestigieuses, l’acteur multiplie les projets ambitieux. Il vient d’ailleurs de relancer la production de "Heat 2", suite du classique de Michael Mann, adaptée du roman coécrit avec Meg Gardiner. Le voilà donc, avant cela - et pour la première fois - devant la caméra de Paul Thomas Anderson, dans un thriller d’action vaguement inspiré du roman "Vineland" (1990) de Thomas Pynchon, déjà à l’origine "d’Inherent Vice" (2014). En effet, son film est né de la fusion de plusieurs histoires personnelles du cinéaste avec des éléments du livre (dont la relation père-fille), faisant ainsi suite au charmant et enivrant "Licorice Pizza" (2022) et au sublimement déraisonné "Phantom Thread" (2018). Œuvre résolument politique, paranoïaque, furieuse et dans l’air du temps, "Une Bataille Après l’Autre" s’impose comme une fresque hypnotique de près de trois heures, qui ne baisse pourtant jamais la garde.

Révolte et chaos... en Californie ?

"Une Bataille Après l’Autre", c’est l’histoire d’un couple de révolutionnaires antifascistes d’extrême gauche : l’expert en engins explosifs Pat "Ghetto" Calhoun (DiCaprio) et la pasionaria Perfidia Beverly Hills (Teyana Taylor), membres du groupe terroriste French 75, entraînés dans une spirale de violence et de trahisons dans l’Amérique des années 1980. Or, la rencontre entre Perfidia et Steven Lockjaw (Sean Penn), un commandant beauf, raciste et pourtant obsédé par elle, précipitera indirectement la fin de la relation entre Calhoun et Perfidia, alors que ces derniers deviennent parents. Dépourvue d’instinct maternel et décidée à poursuivre son combat, Perfidia finira par disparaître. Seize ans plus tard, Ghetto, caché sous le pseudonyme Bob Ferguson, est devenu dépressif et toxicomane, tandis que sa fille (Chase Infiniti) est une adolescente autonome et pleine de vie. Or, ils se retrouveront traqués par Lockjaw, lequel a gravi les échelons jusqu’à un cercle secret et suprémaciste du pouvoir blanc néonazi. Sous couvert d’opérations anti-immigration et antidrogue, ce dernier souhaite alors coffrer tous les révolutionnaires qu’il connaît, dont les derniers membres en liberté des French 75. Débutera pour ce père et sa fille une cavale hallucinée, au cours de laquelle ils devront trouver un moyen de survivre, et ce, au travers d’une Californie dystopique, où les frontières entre lutte révolutionnaire, corruption d’État et dérive fasciste s’affrontent, dans un pays où leurs ennemis sont les nouveaux maîtres...

Quand la politique broie les âmes

Moins imprévisible qu’attendu, "Une Bataille Après l’Autre" oppose deux extrêmes politiques censés incarner la fracture de l’Amérique contemporaine, au sein d’une haletante course contre la montre. DiCaprio, fidèle à lui-même, campe alors d’arrache-pied – et en peignoir de bain (faute d’avoir pu se changer à temps) – un ex-révolutionnaire désabusé, reclus et méfiant, sombrant en marge de la société. Sauf qu’il n’aura d’autre choix que de sortir de sa retraite pour tenter de sauver sa fille, tous deux en proie aux fantômes du passé. Si l’acteur en impose, c’est pourtant bien Sean Penn qui met ici tout le monde d’accord, sous les traits d’un pervers oppressif, obsessionnel et rancunier, ne reculant devant rien dans sa double quête : assouvir son pouvoir et satisfaire une vengeance personnelle liée à sa défaite passée. Face à eux, Teyana Taylor interprète une tempétueuse militante radicale, à la fois lumineuse et imprévisible. Celle-ci ne laisse alors personne indifférent, tout comme le regard magnétique de la jeune Chase Infiniti, dans la peau de sa fille, au caractère bien trempé et pas du genre à se laisser faire, laquelle va goûter à la transmission des valeurs de ses aînés. Le casting évolue alors au sein d’une écriture dense, habitée par des comptes à régler. Mais il s’agit avant tout d’un film de mécanismes, davantage fasciné par les dynamiques du pouvoir et les stratégies d’influence que par la profondeur intime de ses personnages. Sans cesse en mouvement, "Une Bataille Après l’Autre" se concentre ainsi sur le fonctionnement d’un système politique en crise, dont les répercussions ébranlent ici - outre des millions de migrants - une famille interraciale.

Anderson au sommet d’une violence jamais atteinte auparavant dans son art

Dire qu’il s’agit là du film le plus frontal de Paul Thomas Anderson est un euphémisme, en plus d’être sans aucun doute son plus accessible au grand public. Pour autant, il s’agit aussi de sa réalisation la plus violente et vulgaire, notamment dans ce qu’elle dénonce, quitte à être parfois démonstrative, ce qui pourrait en rebuter plus d’un. En effet, le cinéaste pousse ses personnages et ses images à la limite, quitte à être souvent démonstratif, voire outrancier dans sa manière d’exposer la corruption du monde et de ses personnages, ou encore les rapports de domination. Certains partis pris risquent d’ailleurs de désarçonner : hypersexualisation, brutalité des rapports de force, mais aussi le fait que même les protagonistes, malgré leur idéal, flirtent dangereusement avec des méthodes qui laissent songeur. Autrement dit, personne n’est ici excusé face au vertige moral d’une Amérique qui se bat contre elle-même. Voilà donc un film cru, où les émotions sont aussi fortes qu’un feu ardent, qu’une intense bataille où la collectivité et les fêlures personnelles s’entrechoquent, où la ferveur politique et le désir nourrissent des passions qui, ensemble, ne peuvent cohabiter...

Viva la revolución !

Véritable virtuose de la caméra, Paul Thomas Anderson nous offre certes une mise en scène linéaire (avec usage de l’ellipse), mais au service de ce qu’il tend à illustrer. Nerveuse, dispersée et dans l’action, celle-ci explose en puissants moments de cinéma, dont une exceptionnelle course-poursuite finale filmée sur les routes vallonnées d’un désert. La caméra, alors fixée à hauteur d’un pare-chocs, nous donne dès lors à vivre la scène sous un angle absolument dément, avec toute la tension qu’elle suscite et les enjeux qui vont avec. Et ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres. Techniquement, le film profite également d’une photographe léchée, filmée sur pellicule 35mm à l’aide de caméras VistaVision par le directeur de la photographie Michael Bauman, marquant ainsi sa deuxième collaboration avec Anderson, après son précédent film. On pourrait également citer la partition musicale de Jonny Greenwood, laquelle épouse les intenses luttes contradictoires qui se jouent au cœur d’une "Bataille Après l’Autre", reflet d’une peur, d’un chaos qui secoue par son réalisme, son urgence, et qui gangrène tout un pays. Sans ainsi proposer de solution toute faite à ses préoccupations très actuelles, voilà le film le plus (a)bru(p)te, provocateur et politique d’Anderson, mais aussi le plus désespérément humain.



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