Genre : Comédie dramatique
Durée : 108’
Acteurs : Manon Clavel, Makita Samba, Thomas Coumans, Suzanne Elbaz, Kadija Leclere, Bernard Blancan...
Synopsis :
Maman solo, fauchée et le cœur en bouillie, Kika décide de ne pas se laisser abattre. De façon inattendue, elle découvre un boulot franchement mieux payé que son travail d’assistante sociale : faire mal aux gens… avec leur consentement. Bizarrement, c’est avec un fouet en main qu’elle va se faire du bien !
La critique de Julien
Sans lien avec le film éponyme de Pedro Almodóvar sorti en 1993, "Kika" est le premier film de fiction d’Alexe Poukine, présenté à la 64e Semaine de la Critique, lors du Festival de Cannes 2025. Après son court-métrage Palma (2020), joué et écrit par elle-même, la cinéaste belge prolonge ici ses thématiques de prédilection, à savoir la maternité, la précarité, l’identité et le simulacre. Offrant le premier rôle à la révélation Manon Clavel, "Kika" met alors en scène une mère assistante sociale qui doit faire soudainement face à une terrible disparition, venant forcément contrebalancer ses projets, alors qu’elle est enceinte et quelque peu fauchée. Il lui faudra dès lors trouver de l’argent, au plus vite. Et pourquoi pas en commençant par vendre ses culottes sales ?
Portrait de femme aussi sensible que culotté(e)
Née de la peur de perdre le père de son enfant et d’une réflexion sur les moyens de subsistance en tant que mère célibataire ayant du mal à joindre les deux bouts, Alexe Poukine a puisé en partie dans sa biographie pour écrire son film. En effet, elle avait déjà vécu seule avec sa fille, alors qu’elle était enceinte de son second enfant, et savait donc ce que cela signifiait de vivre seule en termes d’insécurité. La maman qu’elle est avant tout – et également la cinéaste – s’est alors demandé comment elle pourrait continuer à s’en sortir financièrement, et donc à réaliser des films le cas échéant. L’idée du travail du sexe lui a alors traversé l’esprit par le biais d’un ami à la fois dominateur et travailleur social. C’est dès lors ainsi qu’a véritablement été conçu "Kika", soit une comédie dramatique fantasmée. Dans l’air du temps, celle-ci est également nourrie par la fascination de sa metteuse en scène pour "la façon dont les gens essaient de trouver une recette, parfois étrange, pour réduire leurs souffrances". Cette dernière a dès lors effectué des recherches sur les dominatrices et les travailleurs, travailleuses du sexe en général, tandis qu’elle a suivi des ateliers de BDSM (bondage, discipline, sadomasochisme) et incorporé dans son scénario des anecdotes glanées au cours de ses entretiens. Pour autant, son film évite ici tout voyeurisme et sensationnalisme. En effet, le travail du sexe – coexistant ici avec des rôles normés, et donc contradictoires – sert avant tout de protection nuancée à son héroïne, laquelle refuse ainsi de fléchir, elle qui fuit dès lors la douleur pour ne pas sombrer, et va trouver de la force dans la domination, malgré sa sensibilité, mise à rude épreuve. La cinéaste, qui connaît son sujet, offre ainsi un regard respectueux, et même politique, à ces hommes et femmes qui subvertissent les attendus de la société, par leur choix consenti du travail du sexe et de la pratique du BDSM, avec toutes ses complexités et névroses (voire névrosé·es !). Alexe Poukine nous montre dès lors métaphoriquement que, dans la vie de Kika (et globalement de ses clients), la violence ne réside pas dans la domination, mais davantage dans sa condition de femme, et son travail d’assistante sociale.
Quand la force réside dans la fragilité et non le pouvoir
Par son rejet des représentations victimaires systématiques des travailleuses du sexe, mais également par le prisme de la personnalité de son personnage, Alexe Poukine nous montre pourtant que la fragilité est également une force en soi, ici dans le rapport à autrui, et le soutien que l’on peut en recevoir. S’il est donc question d’un portrait à double identité d’une femme qui s’obstine à déjouer les pressions sociales imposées par le patriarcat, au départ ici d’un combat intime contre la détresse, "Kika" laisse subtilement la place aux doutes et à la tendresse. Manon Clavel porte alors sur ses épaules le rôle de cette femme et mère courage, désacralisant le rapport à la maternité en lui offrant une vision plus injonctive, mais pas plus mauvaise ni meilleure qu’une autre. L’actrice se révèle dès lors face à la caméra de la réalisatrice, en pleine confiance, son personnage, à la fois introverti et lumineux, rebondissant de biais face aux imprévus, souvent avec humour pour éviter les larmes. "Kika", qui ne manque pas de second degré, embrasse dès lors le conflit – qu’il soit intra ou interpersonnel – par l’humanité et les liens inattendus que nous offre la vie, surtout lorsqu’on ne s’y attend pas. Or, il en est d’autant plus ici le cas pour le spectateur, étant donné l’originalité de ce scénario, par lequel il découvre, sous un regard détonant, le thème tabou très souvent soumis aux stéréotypes et à la violence du travail du sexe et du BDSM. Dommage que "Kika" n’aille pas au bout de ce qu’il entreprend dans sa délicatesse, sa force libératrice et son audace émancipatrice. Alexe Poukine choisit en effet de conclure son film sur une image pleine d’espoir, en laissant son héroïne pédaler vers un avenir plus serein, réconciliée avec elle-même. Mais cette fin, aussi symbolique soit-elle, laisse en suspens. En effet, cet équilibre fragile pourra-t-il résister aux réalités concrètes de ses choix ? Il nous reste alors quelque part l’essentiel, soit la possibilité d’un après, que chacun investira à sa manière...