Genre : Drame, fantastique
Durée : 111’
Acteurs : Tom Hiddleston, Mark Hamill, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Jacob Tremblay, Matthew Lillard, Kate Siegel, Mia Sara, David Dastmalchian, Q’orianka Kilcher...
Synopsis :
Trois chapitres de la vie d’un homme ordinaire nommé Charles Krantz, dit "Chuck". D’après une nouvelle de Stephen King.
La critique de Julien
Stephen King, maître de l’horreur, mais pas que. "The Life of Chuck", c’est l’adaptation de la récente nouvelle du même nom du célèbre auteur, publiée en 2020 dans le recueil "Si ça saigne/If It Bleeds". Or, comparativement à "The Shining" (1977) ou "Ça" (1986), ce récit se classe plutôt du côté de "Corps" (1982), connu sous le titre "Stand by Me" (Rob Reiner, 1986), ou encore de "La Ligne Verte" (1996), quant à lui transposé au cinéma en 1999 par Frank Darabont. Autrement dit, on est ici dans une œuvre non horrifique, et même profondément existentielle, bien que toujours baignée de fantastique, si cher et caractéristique de l’œuvre de l’auteur. Fidèle admirateur de son travail, et déjà aux commandes d’autres films adaptés de son œuvre – "Jessie" (2017) et "Doctor Sleep" (2019), c’est à Mike Flanagan que l’on doit "La Vie de Chuck", lui qui est également connu pour ses séries horrifiques (estampillées Netflix), dont notamment "The Haunting of Hill House" (2018) et "La Chute de la maison Usher" (2023). Terrifiantes, psychologiques et traumatiques, ses créations portent déjà la marque d’un metteur en scène reconnaissable parmi d’autres, et le savoir intéressé par l’adaptation de "La Vie de Chuck" ne pouvait que nous intriguer. Or, son film, récompensé du prix du public au Festival International du Film de Toronto 2024, est bien ce qu’on espérait de lui, et bien plus encore, puisqu’on en est ressorti terrassé par sa beauté et... sa vérité. Énigmatique, terriblement singulier, et situé loin des standards actuels des divertissements américains, "La Vie de Chuck" est unique en son genre. Autant vous dire que vous auriez tort de ne pas croiser le chemin de Charles « Chuck » Krantz en salles, et de passer ainsi à côté de cette bouffée d’air, laquelle est une ode à la vie, à ses bonheurs et drames quotidiens, à sa douce mélancolie, ainsi qu’à l’univers qui sommeille autour de nous, et surtout en chacun de nous.
Trois actes, et la fin de la vie
"La Vie de Chuck" a la particularité de commencer par la fin de l’Histoire, avant de remonter le cours du temps et nous permettre de comprendre qui est ce Chuck et quel est son rôle dans celle-ci, lui qui n’apparaît dans un premier temps que sur des panneaux publicitaires, avec les mots « Charles Krantz : 39 années formidables ! Merci, Chuck ! ». On y suit alors le quotidien de Marty Anderson (Chiwetel Ejiofor), professeur de lycée, lequel assiste de manière impuissante à ce qui semble être la fin du monde, alors que plusieurs catastrophes naturelles sèment le chaos, jusqu’à la perte totale de réseau d’Internet. Instinctivement, ce dernier partira retrouver son ex-femme, Felicia (Karen Gillan), qu’il aime encore. Il s’y rendra à pied, étant donné les trous béants apparus aux quatre coins des routes de la ville, tout en rencontrant une multitude de personnes au cours de ces dernières (?) heures. Très vite se dressent au sein de ce troisième acte des indices, des détails de mise en scène qui ne semblent pas avoir été glissés là au hasard, tandis que Flanagan, au scénario, parsème l’intrigue de dialogues au service de questionnements sur la nature de notre existence, et sur le temps (compté) que représentent nos vies. Et tandis que l’on aurait pu être réfractaires à ces discussions philosophiques, de prime abord peu accessibles, en raison de plus du désespoir et de la fatalité qui y règnent, force est de constater que c’est tout le contraire. Mike Flanagan passionne, intrigue et nourrit celles-ci d’une force émotionnelle brute et sans demi-mesure, alors que d’étranges événements inexpliqués accompagnent ces personnages vers l’inconnu. Ces échanges informels, d’un naturel désarmant, et d’une importance capitale, s’inscrivent dès lors au cœur de ce que veut nous raconter le film, dans lequel tout semble possible, surtout au sein de ce troisième acte, pour le moins insensé, et pourtant terriblement sensé à mesure que les pièces du puzzle retrouvent leur place. Pour cela, il faut se laisser porter par les actes deux et un du récit, lesquels reviennent respectivement neuf mois avant cette fin supposée, cette fois-ci en compagnie de Chuck, ainsi que durant son enfance. Racontées par une voix off qu’on aurait encore bien voulu écouter pendant des heures, ces différentes parenthèses de vie recèlent pourtant toutes celles de Chuck, et de ce qu’il est ; de ce que nous sommes. Car l’identification est ici facile, et évidente. Dans "La Vie de Chuck", il est bien question de la somme de tous les événements du quotidien qui construisent l’individu, et qui font de nous ce que nous sommes et de ce que l’on demeure, que ce soit par expérience, observation, imitation de son environnement, par regards croisés, ou encore dans une relation à autrui. Ces instants, aussi insignifiants que significatifs, peuvent dès lors chambouler à vie l’existence, et imprégner durablement la mémoire, quant à elle en perpétuelle recherche de multitudes et d’imaginaire, au-delà du possible, jusqu’à la fin de la vie humaine, et le néant que représente la mort, et la peur de l’oubli. Sans compter sur les questions qu’elle soulève, lesquelles nourrissent l’œuvre de Mike Flanagan, ici à merveille.
Merci Chuck, Mike, Stephen... Merci la vie !
Porté par un Tom Hiddleston aussi génial qu’au tempo, le personnage de Chuck n’est finalement ici qu’un prétexte pour nous raconter la fable de la vie, et ce qu’elle regorge de bons comme de moins bons moments, lesquels ne doivent pas forcément chercher à être expliqués, mais à être vécus passionnément, comme s’il s’agissait des derniers. Ceux de Chuck sont donc bouleversés à différents âges par les protagonistes rencontrés sur son chemin, et joués formidablement par Mark Hamill, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Jacob Tremblay ou encore l’épouse de Flanagan, Kate Siegel, lesquels posent dès lors, d’une manière ou d’une autre, leur pierre à l’édifice de l’existence de Chuck, auquel on dit forcément merci pour son intensité, sa vérité, sa grandeur. Car même s’il n’est qu’une seule personne dans ce vaste monde, l’identité et l’imaginaire, eux, sont capables d’infinités. Or, Stephen King et Mike Flanagan (qui semble avoir parfaitement compris le récit qu’il adapte) ne manquent pas d’idées pour nous conter cette histoire. Ainsi, outre que par ses sublimes dialogues et l’interprétation au sommet de ses acteurs, la vie (de Chuck) nous est également racontée ici de manière poétique, au regard d’un magnifique poème de Walt Whitman, "Chant de moi-même" (1892), par la théorie du calendrier cosmique, tandis que les étoiles sont d’ailleurs symbolisées ici comme "la plus belle équation de l’univers" ; oui, les mathématiques sont partout ; n’en déplaise ! Aussi, la photographie d’Eben Bolter et, plus globalement, l’ensemble de la mise en scène nous livre de magnifiques instants de cinéma, qui surpassent aisément ce que Hollywood essaie de nous servir avec son cinéma de blockbuster réchauffé. Nous ne sommes d’ailleurs pas près d’oublier la scène de danse improvisée, où Tom Hiddleston et l’actrice Annalise Basso enflamment le tarmac sans se soucier des regards, au son de la batterie d’une artiste de rue. Parsemés d’instants de pure magie, et même de terreur humaine, ceux-ci font battre notre cœur, à la fois de bonheur, de mélancolie et de tristesse, nous faisant dès lors passer par une palette d’émotions aussi intenses que brèves, à l’image, finalement, du parcours de Chuck, et du nôtre sur Terre.
Un film qui vous veut du bien
On aurait dès lors bien envie de crier au chef-d’œuvre face à "La Vie de Chuck", lequel n’a pourtant aucunement la prétention de l’être ; bien au contraire. Mike Flanagan nous livre ici un film aussi vivifiant que profondément précieux, et qui mérite que l’on parle de lui. Ce dernier parle d’ailleurs de nous avec une justesse implacable, nous recentrant sur nous-mêmes et sur le pouvoir de nos vies, loin d’être insignifiantes. Il nous rappelle l’importance de notre existence, et la nécessité de prendre du recul quant au calcul de nos vies, d’oser embrasser des moments hors du temps, tel que nous l’offre finalement ce métrage, instantanément inscrit parmi les plus beaux de ces dernières années, aussi "grand, lumineux, riche et complexe que deviendra le monde". Croyez en nous : la douce-amère mélodie et allégorie de "La Vie de Chuck" ne ment jamais, et vous emportera sur son passage !