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Ryan Coogler
Sinners
Sortie du film le 16 avril 2025
Article mis en ligne le 22 avril 2025

par Julien Brnl

Genre : Thriller, horreur

Durée : 137’

Acteurs : Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Jack O’Connell, Delroy Lindo, Wunmi Mosaku, Lola Kirke, Li Jun Li...

Synopsis :
Dans les années 1930, durant la Prohibition, Smoke et son frère jumeau reviennent dans leur ville natale de Louisiane pour redémarrer leur vie. Ils vont cependant être confrontés à d’horribles évènements surnaturels...

La critique de Julien

Qu’il est rassurant de savoir que de grandes majors osent encore investir un gros paquet d’argent dans des œuvres originales, et qui plus est de qualité, tout en laissant l’entière liberté artistique à des metteurs en scène. "Sinners", c’est la nouvelle collaboration entre le réalisateur, producteur et scénariste américain Ryan Coogler et son acteur fétiche Michael B. Jordan. Ces derniers avaient, en effet, déjà collaboré pour "Creed : l’Héritage de Rocky Balboa" (2016), "Black Panther" (2018), et surtout pour le premier film indépendant du cinéaste, "Fruitvale Station" (2013), ayant définitivement offert une rampe de lancement à Michael B. Jordan, après avoir joué dans des séries, et quelques seconds rôles au cinéma. Or, les fans de l’acteur et les autres auront droit ici à deux Michael B. Jordan pour le prix d’un ! Film d’époque et de vampires, "Sinners" (ou "Pécheurs" en version française) installe alors ses irrésistibles décors dans le delta du Mississippi des années 30, où le blues, l’Église et le mysticisme nourrissaient alors la communauté afro-américaine, et cela en pleine Prohibition et ségrégation, sous la menace terroriste des suprémacistes blancs, dont ceux du Ku Klux Klan. Situé à la croisée des genres, autant dire que "Sinners" est bien la surprise tant attendue, Ryan Coogler, nous offrant ici, en tant que fervent défenseur de la cause noire, un divertissement ayant le diable au corps, et profondément ancré dans les enjeux de l’époque dans laquelle il s’enivre. Pas étonnant que Sony Pictures, Warner Bros. Pictures et Universal Pictures se soient battus pour acquérir ses droits de distribution !

Le blues du vampire

Pour planter (le pieu dans) le décor, nous sommes ici en 1932, à Clarksdale, dans l’État du Mississippi, où les frères jumeaux Elijah "Smoke" et Elias "Stack", vétérans de la Première Guerre mondiale, reviennent dans leur ville natale après être partis du jour au lendemain à Chicago, où ils espéraient trouver un endroit prétendument plus progressiste, avant de se rendre compte du contraire, et où ils ont travaillé avec la pègre, à laquelle ils ont d’ailleurs volé de l’alcool de qualité. Bien décidés à vendre leur butin, les deux frères vont acheter une ancienne scierie à un raciste blanc afin d’en faire un bar juke-joint, c’est-à-dire un endroit qui propose de la musique, de la danse, des jeux d’argent et des boissons aux Afro-américains. Or, les jumeaux comptent bien organiser le soir même l’ouverture de leur établissement, offrant ainsi un lieu de détente aux travailleurs ruraux des plantations et aux métayers noirs, lesquels sont d’autant plus exclus de la plupart des établissements blancs, étant donné les lois de ségrégation raciale Jim Crow (1884-1965). Pour leur business, les deux frères vont cependant devoir faire appel aux savoir-faire de leur ancien entourage (avec lequel il leur faudra d’abord s’expliquer), en plus de compter sur les talents de leur jeune cousin Sammie (Miles Caton), chanteur et guitariste en herbe, lequel joue du blues à merveille, malgré l’opposition de son père pasteur. En effet, celui-ci considère que jouer de cette musique est comme faire un pacte avec le diable. D’ailleurs, la voix "si pure" du jeune homme rappelle celle du guitariste et chanteur de blues du Delta, Robert Johnson (1911-1938), lequel, d’après la légende, aurait pactisé avec le diable pour son talent. C’est ainsi que la voix de Sammie, ouvrant un portail entre la vie et la mort, le passé et le futur, attirera Remmick (Jack O’Connell), un vampire immigré irlandais, fuyant des chasseurs Choctaw, et bien décidé à obtenir une invitation pour entrer dans l’établissement, et boire ainsi bien plus que des bières irlandaises importées...

Consistante et déshydratante entrée en matière

Il est évident que "Sinners" prend trop de temps pour installer ses personnages et leurs enjeux, tout comme il prend soin de nous imprégner du contexte répressif dans lequel ils évoluent, bien que les événements se déroulent 67 après la fin de la guerre de Sécession. Car ici, les champs de coton s’étendent à perte de vue, tandis que les esclaves sont devenus des métayers sous-payés, marginalisés par un pouvoir hiérarchique blanc, lesquels n’ont dès lors que peu de moyens - et encore moins de droits - pour se faire entendre, eux qui n’ont finalement que la musique pour ressentir un quelconque sentiment de liberté. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si l’un des seconds rôles dit ici que si "les Blancs aiment bien le blues, ils n’aiment simplement pas ceux qui le font". Entouré d’une formidable équipe technique au service de cette reconstitution d’époque, Ryan Coogler nous offre dès lors un film percutant, aux couleurs du contexte racial qui secouait et bâillonnait la vie des individus noirs. La photographie texturée et bleu-ocre d’Autumn Cheyenne Durald Arkapaw fait ainsi des merveilles, profitant d’ailleurs du large budget de production du métrage. Première Afro-américaine nommée et oscarisée pour les décors de "Black Panther" (2018), le travail d’Hannah Beachler participe également à cette épatante immersion dans le Mississippi des années 30, de même que les costumes de Ruth E. Carter, également récompensée aux Oscar pour le film Marvel Studios. Quant à Ryan Coogler, celui-ci tisse la nature des liens entre les frères jumeaux et ceux qu’ils ont abandonnés en partant pour Chicago, et cela pour diverses raisons. Mais il a également l’intelligence de ne pas dévoiler trop tôt toutes les ambitions de "Sinners", puisque c’est seulement en seconde partie de film qui le métrage va sentir l’ail. Il demeure ainsi une sublime photographie de la condition de la population afro-américaine dans les années 30, supportant le dur labeur avec une bonne bouteille, mais surtout bercé par la puissance de blues.

Danser avec le diable

Et c’est au Suédois Ludwig Göransson, également récompensé d’un Oscar pour la musique de "Black Panther" et celle de "Oppenheimer" (Christopher Nolan, 2023) que Ryan Coogler a fait confiance. Ce dernier nous livre, accompagné par les acteurs du film au chant, une bande originale qui brûle de l’intérieur, et qui transpire à l’écran. Les titres "I Lied to You" et "Rocky Road to Dublin", parfaitement mis en scène, nous offrent alors des moments de bravoure cinématographique comme on en voit de moins en moins, Coogler allant jusqu’au bout de son procédé. En effet, lorsque la voix groovy de Sammie (Miles Caton) résonne, c’est à toute l’histoire de la musique noire que le cinéaste rend hommage, communiquant, le temps d’un plan-séquence unique, avec le passé, le présent et le futur, quitte à attirer des âmes plus sombres... Cette scène, de surcroît mémorable et transcendante, est un instant de cinéma auquel on ne s’attendait pas, au sein d’un film situé à la croisée des genres, avant le carnage vampirique et crasseux qui s’annonce...

Une nuit - sang pour sens - en enfer

Si l’on a bien droit ici aux giclées de sang et autres pieux dans le cœur, ce n’est jamais en vain ni en manque sens. En effet, Ryan Coogler a plus d’un tour dans son sac. Par le biais du personnage de vampire de Jack O’Connell (Remmick), celui-ci nous offre alors une métaphore de la machination blanche à l’égard de population noire, lui promettant faussement de vivre libre dans une grande famille interraciale (et pour l’éternité) si elle accepte de les laisser - lui et ses sbires - entrer dans le club, et dès lors de se faire mordre. Sauf que se cache là une soif de domination et d’exploitation malsaine, par la seule autorité qu’est celle dudit vampire, écrasant dès lors les identités culturelles et individuelles de tout en chacun, pour faire uniquement régner la sienne, tout en s’appropriant celle des autres. Outre que par son décorum, "Sinners" frappe donc également un grand coup avec son intrigue complexe et en plusieurs couches, symbole de la discrimination et des violences ségrégationnistes qui sévissaient à l’époque, et tristement encore aujourd’hui. Quant aux amateurs de films de vampires, ils en auront bien évidemment pour leur argent, face à un double Michael B. Jordan quasi de tous les plans, lui qui joue donc deux personnages à la fois, fort d’un jeu d’acteur dual et caméléon qui se donne finalement la réplique à lui-même. L’épatant montage y est également pour quelque chose dans la réussite de ce film, tandis que le final cut appartient entièrement ici à Coogler, ce qui est un fait rare dans l’industrie actuelle des majors, lui qui a ainsi réussi à pactiser avec l’industrie pour asseoir sa liberté artistique et les droits de son film, lesquels lui reviendront entièrement dans 25 ans. Dommage cependant que l’action, l’affrontement tant attendu et le fond ne jouent pas toujours ici en terrain équitable. Mais Ryan Coogler porte définitivement ici son projet en étendard des causes qu’il défend, et cela jusqu’à ses précieuses et inspirantes scènes post-génériques, mettant un point d’honneur au combat intérieur entre le sacré et le profane, entre la tradition imposée ou la réalisation de soi, histoire de se sentir libre jusqu’à la fin, et de lâcher ainsi le manche de la guitare quand sera venu le moment, sans qu’il ait été imposé.



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