Genre : Drame psychologique, thriller
Durée : 168’
Acteurs : Soheila Golestani, Misagh Zare, Mahsa Rostami, Reza Akhlaghirad...
Synopsis :
Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Son nouveau poste le place, ainsi que sa femme et leurs deux filles, sous une loupe. La pression est forte et Iman lutte contre la méfiance et la paranoïa alors que les manifestations politiques s’intensifient dans le pays. Lorsque son arme disparaît soudainement, il soupçonne sa propre famille et prend des mesures drastiques...
La critique express de Julien
Mohammad Rasoulof poursuit d’une main de maître (menottée) sa dissection du régime tyrannique iranien. Alors qu’on lui doit notamment le drame "Le diable n’existe pas" (2020), autour de la question du libre arbitre, de la désobéissance et de la peine de mort en Iran, le cinéaste revient avec un nouveau - et courageux - tour de force, bravant une nouvelle fois la censure via son art. Pourtant, ce dernier avait déjà par le passé été emprisonné dans son pays pour celui-ci, tout comme il fut interdit de travailler et de le quitter. Sélectionné en Compétition officielle au dernier Festival de Cannes, son dixième long métrage "Les Graines du Figuier Sauvage" lui a d’ailleurs valu une énième condamnation par les autorités iraniennes. En effet, il a été condamné à huit ans de prison - dont cinq applicables - pour "collusion contre la sécurité nationale", ainsi qu’à la flagellation, à une amende et à la confiscation de ses biens. Heureusement, Mohammad Rasoulof a réussi à fuir son pays, avec d’autres membres de la distribution et de l’équipe, lesquels ont héroïquement assisté à la première du film, sur le tapis rouge de Cannes. Le réalisateur y avait alors brandi les photographies de ses acteurs principaux, lesquels n’ont pas pu quitter l’Iran, dont l’actrice Soheila Golestani, elle qui avait déjà milité contre le port du hijab, tout en ayant déjà été arrêtée dans son pays. Projet tourné clandestinement durant environ 70 jours, c’est pendant le tournage des "Graines du Figuier Sauvage" que Mohammad Rasoulof avait alors appris sa nouvelle condamnation, tout en profitant de la longue procédure d’appel pour le terminer. Finalement condamné malgré celle-ci, il n’eut alors que deux heures pour décider de rester ou de fuir le pays. Prix spécial du Jury, soit une désignation supplémentaire après les principaux prix du jury que sont la Palme d’Or, le Grand Prix et le Prix du Jury, on comprend alors indirectement que "Les Graines du Figuier Sauvage" n’ait pas plu aux autorités et au gouvernement théocratique d’Iran. Et pour cause...
Explosion familiale, paranoïa et simulacre de justice
Tout d’abord, mentionnons l’origine du titre de ce film urgent et nécessaire, lequel fait référence à une espèce de figuier qui s’enroule autour d’autres végétaux pour finir par les étouffer, symbolisant bien évidemment ici le régime en Iran. Mohammad Rasoulof plante alors sa caméra au sein d’une cellule familiale en pleine implosion, alors que tout commençait pourtant avec l’annonce d’une promotion. Iman (Missagh Zareh), père de deux grandes filles et marié à Najmeh (Soheila Golestani), vient, en effet, d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran, lui qui attendait cela depuis vingt ans, et de bons et loyaux services, promettant dès lors aux siens un appartement plus grand, et un meilleur salaire. Mais alors que les manifestations nationales ("Femme, Vie, Liberté") s’intensifient dans les rues contre le gouvernement autoritaire suite à la mort suspecte d’une jeune femme après qu’elle ait manifesté contre le port obligatoire du hijab, Imam va rapidement comprendre pourquoi son prédécesseur a été licencié, tandis que son arme de service disparaîtra mystérieusement depuis son appartement. La méfiance s’installera dès lors entre Imam et ses filles, lui qui ne veut en aucun cas perdre ce qu’il a construit si durement...
Combiné avec des images exportées clandestinement des manifestations de 2022-2023 ayant suivi la mort de Mahsa Amini, lesquelles furent violemment réprimées par les autorités du pays, "Les Graines du Figuier Sauvage" est un film sous haute tension, lequel montre comment la paranoïa peut s’immiscer jusqu’aux tréfonds des liens familiaux, et les détruire de l’intérieur, couplé aux tensions politiques et sociales à l’égard du gouvernement théocratique iranien, écrasant chaque jour encore un peu plus les droits des femmes. En effet, nommé meilleur film international de 2024 par le célèbre National Board of Review, ce drame et thriller psychologique s’avère être une intense et implacable plongée dans les abymes des retranchements de l’être humain, soumis ici à l’oppression la plus totale, quitte à perdre la raison, à l’image du personnage dévoué et pieu de Missagh Zareh, souhaitant faire honneur à ses supérieurs et à son pays, au risque de se détacher de ceux qu’il aime, biaisé. Mais si l’intrigue se joue ici autour d’une famille, c’est bien évidemment d’un pays tout entier dont il est question dans le film de Mohammad Rasoulof. Le réalisateur nous montre alors à quel point le pouvoir en place, extrémiste religieux et corrompu, peut retourner la tête des hommes et des femmes, sous prétexte de se considérer d’autant plus comme un représentant de Dieu. Le réalisateur installe dès lors ici un véritable climat de peur et d’anxiété, où le danger peut venir de nulle part, à mesure que cette famille craint pour sa survie, et en l’occurrence ici la femme. La mise en scène du metteur en scène, à la fois intime, imprévisible et immersive, est dès lors au service de la cause qu’il défend, à savoir la résistance, la liberté d’être et de vivre, notamment face au patriarcat et au cadre social autoritaire, souhaitant étouffer, tel le figuier sauvage, toute forme de vie tentant de sortir de ses lignes de conduite très étroites.