Genre : Comédie dramatique
Durée : 97’
Acteurs : Hélène Vincent, Pierre Lottin, David Ayala, Juliette Gasquet...
Synopsis :
Marie, 80 ans, en a ras le bol de sa maladie. Elle a un plan : partir en Suisse pour mettre fin à ses jours. Mais au moment de l’annoncer à Bruno, son fils irresponsable, et Anna sa petite-fille en crise d’ado, elle panique et invente un énorme mensonge. Prétextant un mystérieux héritage à aller chercher dans une banque suisse, elle leur propose de faire un voyage tous ensemble. Complice involontaire de cette mascarade, Rudy, un aide-soignant tout juste rencontré la veille, va prendre le volant du vieux camping car familial, et conduire cette famille dans un voyage inattendu.
La critique de Julien
"On ira", c’est le premier long métrage de la réalisatrice Enya Baroux, laquelle s’est inspirée de la vie de sa propre grand-mère, à qui elle rend ici hommage, tout en abordant le thème du droit de mourir dans la dignité, via le suicide assisté. Présenté en compétition officielle au Festival du film de comédie de l’Alpe d’Huez, le film y a remporté le prix d’interprétation féminine pour ses deux actrices principales, Hélène Vincent et Juliette Gasquet. Et ce n’est pas volé ! Or, malgré le sujet tabou qu’elle aborde, c’est par le biais de la comédie, et plus précisément d’un road movie que la jeune cinéaste a déroulé le trajet de sa touchante intrigue, questionnant également les liens familiaux au sein d’une famille en manque de communication.
Premier film éclatant
On pourrait croire que le genre cinématographique du road movie est éculé, lequel a connu une seconde vie lors de la sortie au cinéma du film "Little Miss Sunshine" de Jonathan Dayton et Valerie Faris, en 2006, et dans lequel une famille (déjà) dysfonctionnelle et haute en couleur accompagnait la cadette à un concours de beauté pour enfants, en combi jaune Volkswagen "bay-windows". Car depuis, de nombreux réalisateurs ont pris le volant et mis en scène bon nombre de métrages dont la mise en scène prenait place au cours d’un voyage sur deux à quatre roues. Rien que dans le paysage du cinéma francophone, on pourrait ainsi citer les récents "Lola Vers la Mer" (Laurent Micheli, 2019), "Felicità" (Bruno Merle, 2020), "En Roue Libre" (Didier Barcelo, 2022), ou encore "À bicyclette !" (Mathias Mlekuz, 2025). Pourtant, Enya Baroux, elle, parvient étonnamment à s’y frayer un chemin, et à y amener un léger vent de fraîcheur doux-amer.
Mourir (accompagné) avec le sourire
Comme le synopsis nous l’annonce, "On Ira" embarque une grand-mère atteinte d’un cancer de stade 4 et sa famille jusqu’à Zurich, en Suisse, où elle a prévu de mourir "dans la dignité". Sauf que son immature et fauché fils Bruno (David Ayala) et sa petite-fille Anna (Juliette Gasquet) ne sont ni au courant de sa récidive ni de son intention de mourir au bout du voyage, alors entrepris en camping-car, sous prétexte d’un héritage familial à récupérer en Suisse. Et la vieille dame a plus d’un tour dans son sac, avec son complice malgré lui, Rudy (Pierre Lottin), rencontré la veille, lequel est un auxiliaire de vie en difficulté professionnelle. En effet, à la suite d’un chantage en bonne et due forme, c’est ce dernier qui les emmènera à destination, tout en prenant les petites routes, en attendant que Marie trouve "le bon moment" pour annoncer la terrible vérité à son fils, et à sa petite fille adolescente. Tout semble dès lors ici écrit d’avance, tandis qu’on devine là toute la prévisibilité de ce scénario, écrit à trois mains. Pourtant, ce premier film est une agréable petite réussite, laquelle émeut autant qu’elle fait sourire. Et c’est là tout l’étincelant succès de "On Ira", soit de parvenir à créer de la comédie sur un sujet pourtant très difficile, et de jongler ainsi avec une belle justesse entre les moments d’humour et de gravité. Cependant, on sent là aussi quelques maladresses inévitables d’un premier film, notamment au niveau du montage ou de l’écriture des péripéties (qui partent dans tous les sens). Mais celles-ci appuient l’envie de Marie d’un (dernier) voyage en famille, avec les siens, traversé alors d’inattendus, vers le tant attendu...
Au crépuscule de sa vie, choisir la dignité
On ressent alors le besoin pour Enya Baroux de désacraliser ici la difficile période du deuil, voire même d’en rire, en prenant ainsi la vie du bon côté, mais plutôt vers sa fin. En effet, c’est par sa volonté de rendre hommage à sa grand-mère décédée d’un cancer et d’avoir vu "cette femme forte, autonome, qui avait élevé mon père, seule (...), finir sa vie en étant très dépendante, médicalisée et diminuée" qu’elle a également ressenti le devoir de lui imaginer la fin qu’elle n’a pas eue, et dont elle discutait pourtant avec celle-ci, sans que cette dernière n’ait fait aucune démarche dans ce sens. Questionnant ainsi la fin de vie et les alternatives qui s’offrent aux personnes mourantes en France, la cinéaste illustre avec une certaine vérité notre rapport assez froid de notre société à la mort. Sans être pour autant à charge politique, "On Ira" est le témoin du désespoir de ces hommes et femmes qui préfèrent partir tant qu’ils ont encore toute leur tête. Quant à savoir qui est l’égoïste entre celui ou celle qui souhaite mourir ou celui ou celle qui l’en empêche, Enya Baroux trouve ici la réponse en l’amour... Or, malgré ses soucis de communication, la famille qu’elle présente n’en manque pas.
Voyage, voyage
Alors que Lennon, un rat de compagnie s’invite dans cet improbable road movie, "On Ira" risque donc bien de vous émouvoir. En effet, jamais vous ne verrez, par exemple, une partie de Monopoly aussi vibrante, qui plus est au sein d’une aventure où chaque étape apporte une émotion palpable, forte de l’interprétation de son quatuor d’acteurs. Ainsi, les yeux brillants jusqu’aux larmes de la vieille dame que joue formidablement Hélène Vincent n’ont pas de prix lorsqu’elle regarde son fils, sa petite-fille et son auxiliaire de (fin de) vie jouer audit jeu. Et quel rôle pour l’actrice de 81 ans, laquelle n’a pas peur d’affronter ici la mort. Mais c’est surtout sa complicité avec la jeune révélation Juliette Gasquet qui terrasse à l’écran. La jeune actrice dégage d’ailleurs une énergie brute et une intensité de jeu assez impressionnante pour son âge. David Ayala est également parfait dans le rôle d’un père irresponsable qui ne veut que le bien de ses proches même s’il ne leur fait que du mal. Enfin, Pierre Lottin trouve aussi sa place de choix dans ce voyage, malgré sa délicate position. Ensemble, tout ce beau monde remet alors en question nos croyances, ouvre de nouveaux horizons à la manière d’aborder la mort et d’accompagner du mieux qu’on devrait le faire ceux qui la côtoient, avec douleur, et qui souhaitent partir sans qu’elle ne décide pour eux. Ainsi, si c’est peut-être en "trichant que l’on pourrait changer les règles", Enya Baroux, elle, ne triche pas, et nous livre une œuvre, certes simple et peu originale dans son déroulé, mais terriblement sincère, touchante et... solaire, face à la mort.