Genre : Comédie dramatique
Durée : 89’
Acteurs : Mathias Mlekuz, Philippe Rebbot, Josef Mlekuz, Adrianna Gradziel, Marziyeh Rezaei...
Synopsis :
De l’Atlantique à la mer Noire, Mathias embarque son meilleur ami Philippe dans un road trip à bicyclette. Ensemble, ils vont refaire le voyage que Youri, son fils, avait entrepris avant de disparaitre tragiquement. Une épopée qu’ils traverseront avec tendresse, humour et émotion.
La critique de Julien
Présenté l’année dernière aux festivals du film francophone d’Angoulême et du cinéma de Valenciennes 2024 où il a notamment reçu les prix du public, "À bicyclette !" est un docu-fiction réalisé par Mathias Mlekuz, pour lequel il s’agit du deuxième long métrage après "Mine de rien !" (2020). Or, ce dernier avait déjà été auréolé à l’époque du même prix au Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez 2020. Autrement dit, entre Mathias Mlekuz et le spectateur, c’est une belle histoire d’amour, au contraire de celle que la vie lui a enlevée... Car le cinéaste et comédien a depuis été frappé par la disparition tragique de son fils cadet Youri, mort par suicide en septembre 2022. Quatre ans plus tôt, le jeune homme avait alors entrepris un voyage à vélo de La Rochelle jusqu’à la Mer Noire, en Turquie, en empruntant ainsi l’EuroVelo 6. N’ayant pas encore fait son deuil, Mathias Mlekuz a alors ressenti l’envie et le besoin d’entreprendre le même voyage que son fils, mais accompagné par son ami Philippe Rebbot (qu’il avait déjà dirigé), lequel lui a alors proposé la folle idée d’en faire un film, initialement intitulé "Le voyage de Youri". Mais il ne s’agit pas là d’un film comme les autres, puisqu’il est bâti à partir de l’improvisation, au profit dès lors des émotions brutes et des questionnements...
Pédaler au gré du vent et en quête de sens
Errance de deux hommes (et du chien de l’un d’eux) à travers l’Europe de l’Est, "À bicyclette !" est un film qui réchauffe le cœur (une "cure de larmes"), au travers duquel son metteur en scène se met - littéralement - à nu, montrant ainsi les plaies non cicatrisées d’un père ayant perdu un fils, lequel n’est pourtant pas encore "prêt à le laisser partir"... Rongé par la culpabilité et le chagrin, Mathias Mlekuz se révèle désarmant en père cherchant la "pièce manquante du puzzle", soit celle qui lui permettra de trouver les réponses aux questions qu’il se pose. Sauf qu’il ne les trouvera malheureusement jamais, son fils n’ayant laissé ni de mot ni d’explication, si ce n’est un "je t’aime" envoyé à une jeune Iranienne, Marzieh, dont il était tombé amoureux (d’après les SMS retrouvés)...
"Si on a le choix de faire le choix, soyons joyeux !"
Comme une sorte de pèlerinage et d’hommage, Mathias Mlekuz nous livre alors un récit d’apprentissage, lequel se dit désormais "beaucoup plus dans la vie, dans l’instant présent", tandis qu’il laisse également parler son fils aîné, Josef Mlekuz, face au poids de la perte de son frère, notamment au détour d’un magnifique poème qui dresse les poils. De plus, la transmission, son besoin et son manque sont également au cœur de sa démarche, Mathias Mlekuz n’ayant plus de père pour lui dire à son tour comment surmonter cette épreuve, elle qui n’est pas dans le cours des choses. Il nous partage dès lors une belle leçon de vie et de résilience, tout en faisant, quelque part, revivre son fils le long de son voyage (même si chaque étape "rappelle qu’il est mort"), et que ce dernier avait donc réalisé avant son père. Mais "À bicyclette !", c’est aussi un film sur l’amitié, étant donné l’aventure plus ou moins authentique que vont vivre les deux compères de route, tel un vieux couple...
La comédie au service de l’improvisation...
Bien qu’il ait fallu au cinéaste écrire quelques lignes de récits ("seulement trois pages") afin de trouver des financements, le premier montage de son docu-fiction comptait 180 heures de rushes et environ quatre heures de film monté. Autrement dit, il a fallu élaguer. On n’ose dès lors imaginer le travail de la monteuse, Céline Cloarec. Or, s’il savait qu’il allait parler avec son ami Philippe Rebbot, Mathias Mlekuz ne savait pas précisément de quoi, bien que l’idée - quelque part égoïste - le concernait sur toute la ligne. Si ce n’est de la perte d’un fils, "À bicyclette !" raconte donc aussi la mise à l’épreuve d’une solide amitié, où chacun se remet en question, avec pudeur et humilité. Mais si l’histoire qui nous est racontée est sincère, la mise en scène du film, elle, l’est moins. En effet, certains passages ont été davantage préparés que d’autres, comme celui - cocasse - chez l’hôte airbnb, Adrianna Gradziel (amie de Mathias Mlekuz), chez laquelle ne s’était pas rendu son fils Youri, au contraire de ce qui nous est ici raconté. Quant à la scène d’engueulade entre les deux hommes à la suite d’un accident évité de peu, celle-ci est véritablement née d’une peur de Philippe Rebbot, lequel était donc très en colère. Pourtant, les deux hommes produisent ici de la fiction, et surenchérissent leurs réactions, lesquels sont surtout des comédiens, et "sont là avant tout pour le film". Heureusement, c’est davantage lorsqu’ils discutent au détour d’une pause ou au moment du souper (et autour d’un bon feu) que les deux hommes se livrent au naturel, avec des dialogues, eux, totalement improvisés. Outre ainsi la déchirante évocation et remise en question d’un père face au drame intime de la perte de son fils, "À bicyclette !" prend sens dans ce qu’il nous dit de la vie et de la mort, laquelle ne peut finalement empêcher les disparus d’exister si on continue à faire vivre leur mémoire...