Genre : drame, fantastique
Durée : 104’
Acteurs : Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany, Kelly Reilly, Michelle Dockery, Ophelia Lovibond, Jonathan Aris, Nikki Amuka-Bird, Ben Wiggins...
Synopsis :
"Here" est inspiré de la nouvelle graphique éponyme de Richard McGuire. Le film se joue dans un seul et unique espace de la Nouvelle-Angleterre, aux Etats-Unis. Il retrace l’histoire de ce lieu, de la préhistoire sauvage au foyer qu’il a représenté pour les différentes générations qui l’ont occupé au fil des ans. Le résultat est une odyssée visuelle époustouflante marquée par des souvenirs d’amour, de perte et d’espoir.
La critique de Julien
Avec "Here", l’immense Robert Zemeckis embrasse son temps, et brasse surtout le temps. En plus de lui devoir les monumentaux "A la Poursuite du Diamant Vert" (1984), la trilogie "Retour vers le futur" (de 1985 à 1990), "Contact" (1997), "Forrest Gump" (1994) ou encore "Seul au Monde" (1994), le réalisateur, considéré depuis toujours comme un avant-gardiste, avait notamment réussi un tour de force en intégrant de l’animation 2D dans un film de prises de vues réelles avant que l’arrivée des images de synthèses, et cela dans le pas moins classique "Qui veut la peau de Roger Rabbit ?" (1988), tandis qu’il avait été le premier cinéaste à avoir entièrement réalisé un film en capture de mouvement avec "Le Pôle Express" (2004). Quant à son "Drôle de Noël de Scrooge" (2009), il fut, à l’époque, le premier film diffusé en 3D dans le cinéma de l’auteur de ces lignes, préparant ainsi le terrain à un certain "Avatar" (James Carmeron, 2009). Artiste passionné et passionnant, Robert Zemeckis n’a dès lors jamais cessé de se réinventer au travers de sa carrière, et d’autant plus durant ces dernières années, avec des projets forts ambitieux et, à défaut, moins accessibles. Alors que son dernier succès public remonte à "Flight" (2012), ce dernier enchaîne malheureusement les bides immérités, avec notamment "The Walk - Rêver Plus Haut" (2015) ou "Bienvenue à Marwen" (2018), ainsi que des sorties de routes inexpliquées sur les plateformes avec "Sacrées Sorcières" (2020) et "Pinocchio" (2022), quant à eux massacrés par la critique (dont la nôtre). Pour le grand metteur en scène, envers lequel les grands studios sont désormais frileux, tout se jouait donc ici, avec sa nouvelle réalisation, sobrement intitulée "Here". Or, ce n’est toujours pas avec ce dernier projet totalement singulier qu’il va se refaire des amis producteurs, étant donné un énième échec commercial, pour un film qui, une fois de plus, est une proposition de cinéma qui ne ressemble à aucune autre, malgré son utilisation controversée de l’intelligence artificielle générative Metaphysics Live. Et pour cause...
Adapté de la bande dessinée du même nom (1989) de Richard McGuire, "Here" propose ainsi une mise en scène pour le moins originale, et pour le coup très cinématographique. Il y est question, en effet, d’une caméra posée dans un décor du New Jersey, captant dès lors un paysage, lequel évoluera au film des siècles. Ainsi, des dinosaures à nos jours, Robert Zemeckis capte simultanément des instants de vie d’un couple d’Amérindiens Lenapes, mais également du fils de Benjamin Franklin, vivant dans une maison bâtie au loin, face à la caméra, avant que l’intrigue ne cadre davantage son unique plan entre les murs d’une maison construite, au tournant du XXe siècle. On y croise alors ses premiers locataires, mais aussi un couple de bohèmes y ayant vécu jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avant que la famille Young, dirigée par Al (Paul Bettany) et Rose (Kelly Reilly), n’achète la maison en 1945, tandis que trois de ses générations y fouleront le sol, dont le fils aîné du couple, Richard (Tom Hanks), lequel en héritera, avec son épouse, Margaret (Robin Wright), pour qu’enfin une famille afro-américaine s’y installe jusqu’à aujourd’hui. Sans surprise, le film fait dès lors la part belle au temps qui passe, ladite caméra photographiant des moments de vies aussi anodins que décisifs pour les personnes en question, devenant ainsi à elle seule le théâtre d’histoires humaines aussi joyeuses que tristes.
Abandonné par les studios lors de son montage (ces derniers s’étant rendus compte qu’il s’agissait d’un projet difficile à vendre auprès du grand public), "Here" a donc tant bien que mal réussi à se frayer un chemin dans les salles, lui qui nous permet d’y retrouver le fidèle collaborateur de Zemeckis, Tom Hanks, et cela face à Robin Wright, 30 ans après "Forrest Gump" du même réalisateur, tandis que le scénariste de ce dernier, Eric Roth, retrouve quant à lui le cinéaste à la coécriture du film, au même titre que le directeur de la photographie Don Burgess, et le compositeur Alan Silvestri (avec lesquels il avait cependant travaillé à plusieurs reprises depuis). Bref, "Here", c’est un peu une réunion de famille dans sa conception, ce qui témoigne, quelque part, d’une volonté commune de raconter cette histoire, soit celle de la vie, par les trajectoires ici d’hommes et femmes, d’histoires d’amour de leur époque. D’ailleurs, Zemeckis fait bien ici état de chacune d’elles (décors, costumes, etc.), alors que le film a bénéficié d’un confortable budget de production de 45 millions de dollars (d’où, finalement, l’ampleur de l’échec commercial). Aussi, le réalisateur a choisi, une fois de plus, de vivre en son temps, et d’utiliser ici à bon escient l’intelligence artificielle générative, et cela afin de ne pas devoir utiliser des méthodes de traitement de post-production pour rajeunir ses acteurs. Autrement dit, Tom Hanks et Robin Wright sont rafraîchis ici via la pointe de la technologie. Et quand bien même l’avis des détracteurs (il y en aura toujours), si cette dernière a été inventée, c’est bien pour être utilisée (mais on n’entrera pas dans ce débat)...
Ainsi, malgré une mise en scène particulièrement statique, sans relief ni véritable fil conducteur narratif, "Here" (d)étonne, tandis qu’une émotion pertinemment momentanée parvient à jaillir des bribes de morceaux de vie (manifestement choisis pour leur signification) du couple formé par les deux acteurs principaux, autour donc de leurs joies, espoirs et pertes, ou, plus globalement, de ce que la vie leur a réservé. Dès lors, si le procédé cinématographique peut paraître froid, artificiel et frustrant dans sa construction, l’expérience, elle, totalement inédite, mérite qu’on regarde ce film sous un autre angle, sous un autre prisme, en plongeant nous-mêmes dans ces instants de vie évocateurs, ce que la caméra - il faut bien le reconnaître - fait, d’habitude, pour le spectateur. Mais faut-il encore qu’il accepte cela, et sorte ainsi de sa zone de confort ; ce qui est moins sûr...