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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Robert Eggers
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Sortie du film le 25 décembre 2024
Article mis en ligne le 16 décembre 2024

par Julien Brnl

Genre : Epouvante, horreur, fantastique

Durée : 133’

Acteurs : Lily-Rose Depp, Bill Skarsgård, Willem Dafoe, Nicholas Hoult, Emma Corrin, Aaron Taylor-Johnson, Simon McBurney, Ralph Ineson...

Synopsis :
Une histoire gothique d’obsession entre une jeune femme hantée et le vampire terrifiant qui s’est entiché d’elle, provoquant une horreur indicible dans son sillage.

La critique de Julien

Et si c’était la providence d’avoir la chance de découvrir "Nosferatu" dès le jour de Noël ? Après "The Witch" (2015), ayant révélé l’actrice Anya Taylor-Joy, "The Lighthouse" (2020) et "The Northman" (2022), l’ambitieux cinéaste Robert Eggers a enfin réussi à déterrer le "Nosferatu" de Murnau (1922), chef-d’œuvre allemand de cinéma expressionniste et muet, souvent considéré comme le véritable premier film d’horreur de l’histoire. Or, quand on sait que le cinéaste américain avait commencé le développement de ce film il y a dix ans, prévoyant ainsi d’en faire son second effort, on n’ose imaginer l’aura que ce projet a soulevé en lui depuis toutes ces années, lequel le qualifie comme son film le plus personnel, lui qui a ainsi grandi avec l’image et la performance d’acteur de Max Schreck, lesquelles l’ont hanté lorsqu’il était enfant. Or, l’attente en valait bien la chandelle, puisque "Nosferatu", réalisé avec son équipe artistique de confiance, est bien ce remake gothique qu’on attendait depuis des lustres, tel un vampire attendant la nuit pour sortir de son cercueil, et asseoir son règne de terreur...

D’emblée, une (re)mise en contexte est nécessaire pour comprendre la fascination de Robert Eggers envers l’œuvre de Murnau, ayant plus d’un siècle d’existence controversée. Oui, oui ! "Nosferatu (Eine Symphonie des Grauens)" (1922), c’est avant toute chose une adaptation sans ayants droit - et donc non-officielle - du roman "Dracula" (1897) de Bram Stoker. Autrement dit, ledit vampire n’est autre qu’une version de Dracula lui-même ! C’est d’ailleurs parce que le studio d’époque Film Prana n’avait pas les droits sur le roman que Murnau et le scénariste Henrik Galeen ont modifié plusieurs détails et noms, dont celui du vampire, rebaptisé le comte Orlok, puis bien évidemment Nosferatu, venant du roumain, et dont l’étymologie suggère Nesuferitu`, signifiant "l’insupportable". Or, malgré ces subtiles - mais faibles - modifications, les héritiers de Stoker (dont sa veuve, Florence), à l’époque, avaient intenté une action en justice aboutissant à une ordonnance de destruction pure et simple de toutes les copies du film, tout comme il est nécessaire - selon les croyances folkloriques - de détruire le corps d’un vampire pour étancher sa soif de sang. Sauf que des copies pirates survirent (au contraire de son studio qui, lui, mis la clef sous le paillasson), jusqu’à aujourd’hui, faisant de "Nosferatu" un modèle de film du cinéma d’horreur, au-delà de l’œuvre de Stoker, ayant engendré d’innombrables adaptations. C’est d’ailleurs en 1979 que Werner Herzog offrit au film de Murnau un effrayant premier remake, "Nosferatu the Vampire", stylistiquement proche des décors contés dans le roman "Dracula" (1897), mais reprenant davantage des ingrédients du film de Murnau (1922), et mettant en vedette l’acteur allemand Klaus Kinski en comte Dracula, Isabelle Adjani dans le rôle de Lucy Harker, Bruno Ganz dans celui de Jonathan Harker, et l’artiste-écrivain français Roland Topor en célèbre Renfield. On comprend dès lors l’envie viscérale qu’a pu faire naître chez Eggers le besoin sanguin de réaliser sa propre version de l’histoire, d’autant plus lorsque celle-ci n’a connu que deux versions, dont la plus célèbre n’est pas reconnue comme légale. Or, Robert Eggers réussit ici à rendre hommage au film muet de Murnau, tout en l’imprégnant de son style cinématographique et de modernité désabusée, prolongeant ainsi l’horreur dans l’Allemagne balte des années 1830...

Loin de l’image populaire du séducteur sombre et suave, le Nosferatu d’Eggers se fait ici attendre, et vit dans l’ombre des nuits solitaire d’une jeune femme Allemande bourgeoise, Ellen (Lily-Rose Depp), alors enfermée dans les carcans et normes de l’époque, entre un certain statut social à assumer, sa famille et la religion, formant ainsi des contraintes étouffantes à sa condition, en plein XIX siècle. Et si l’ange gardien répondant à ses appels était en réalité un démon ? Mariée depuis à Thomas Hutter (Nicholas Hoult), un homme pur, aimant et sincère, travaillant comme agent immobilier dans la ville allemande de Wisborg, Ellen va pourtant vivre bien plus qu’une connexion psychique avec ladite créature maléfique, obsédée par elle. Or, c’est justement par le biais de Thomas qu’Orlock (Bill Skarsgård) accédera à sa dulcinée, le premier étant dépêché en Transylvanie par son employeur Knock (Simon McBurney) afin de signer un contrat avec un mystérieux comte désireux de s’installer en Allemagne. Or, si cette signature pourrait rapporter gros à Thomas, c’est sans se douter qu’il s’apprête à inviter un vampire sur ses terres, y répandant ainsi la peste, tout en se rapprochant de celle avec laquelle il veut rejoindre l’enfer pour l’éternité... Vous l’aurez donc compris, le vampire qu’Eggers exhume ici est celui qui répand la maladie, la mort, et la possession sexuelle brutale et impitoyable...

Sans aucunement égaler la version de Murnau, œuvre sublime et héritière d’un cinéma (d’épouvante) d’antan, ni même un centième de sa terreur glaçante, en témoigne son noir et blanc d’époque, la prestation de Max Schreck et la musique stridente et absolument terrifiante d’Hans Erdmann, "Nosfertu" de Robert Eggers offre un nouveau souffle d’effroi, mais surtout une nouvelle vision à la beauté macabre vis-à-vis du film de Murnau, à laquelle le cinéaste américain insuffle une touche de mysticisme bien plus prononcée, et qu’il affectionne particulièrement. La cinématographique, dans la lignée de celle de son modèle, épouse aussi le travail jusque-là réalisé par le metteur en scène dans ses précédentes œuvres, lequel s’est d’ailleurs entouré de ses fidèles collaborateurs, que sont Jarin Blaschke (pour la photographie), Robin Carolan (pour la musique originale), Linda Muir (pour les costumes) ou encore de Craig Lathrop (pour les décors). Le film, envoûtant et parsemé de sublimes tableaux aux couleurs ternes et oppressantes, se regarde avec intérêt, fabriqué de toute pièce par des mains d’orfèvres, quitte, parfois, à manquer de naturel ; le montage, dans l’exécution des mouvements des personnages, laissant transparaître l’aspect très répété des scènes. Mais cela ne gâche en rien le plaisir et notre soif de plonger dans les ténèbres de "Nosferatu", Robert Eggers affirmant son statut de conteur hors pair, un poignard en main, prêt à l’enfoncer dans le cœur de son vampire mort-vivant, bien différent de l’image qu’on peut généralement avoir du vampire traditionnel. D’ailleurs, Orlok ne croque pas ici dans la carotide de ses victimes, mais bien leur poitrine, au niveau de leur cœur, lui qui est justement un cœur assoiffé à prendre. D’ailleurs, on entend effroyablement ici toute la déglutition du sang lorsque le vampire se régale...

Et c’est donc Bill Skarsgård, habitué aux rôles de méchants après celui du clown maléfique Grippe-Sou dans le diptyque "Ça" (Andy Muschietti, 2017 et 2019), de donner chair (pestiférée) au vampire, envers lequel la promotion du film a bien fait de garder le secret, autant sur son apparence, que de sa voix. Et si l’on redoutait la prestation de l’acteur, dans une forme de redondance, force est de constater que sa prestation est l’une des plus grandes surprises du film. Totalement méconnaissable, l’acteur en impose en Orlok, sous une tonne de prothèses, et répugne. Mais outre l’apparence démoniaque, c’est la voix absolument géniale de l’acteur qui épate, lequel parvient à verbaliser ses phrases avec un accent de l’Est de "fumeur invétéré", aussi profond, grave que douloureux. D’ailleurs, à chaque mot, on entend la mort qui sommeille en Orlok, lequel respire laborieusement. Dès lors, c’est chaque apparition, en crescendo, du personnage, qui crée son effet, aussi terrorisant que réjouissant. Bref, une raison très notable de découvrir le film en version originale, et sur le plus grand des écrans possibles, tandis que le reste du casting n’est pas en reste...

S’il n’y avait sans doute personne d’autre de plus légitime que Robert Eggers et son équipe pour réadapter l’histoire de Nosferatu sur grand écran, c’est à Lily-Rose Depp que le cinéaste a fait confiance, lui offrant d’ailleurs un rôle féminin bien plus développé que l’était celui de Greta Schröder dans la version de 1922. C’est très clairement une autre plus-value de cette version, soit la place de la femme, face notamment à la soumission, et au mal qu’elle vit, aussi physique que psychologique. Or, l’actrice n’a peur de rien, et prouve, après son rôle dans la série "The Idol" (Sam Levinson, 2023), qu’elle ose tout. Possédée, mais s’émancipant en embrassant les ténèbres, Lily-Rose Depp est totalement habitée par son rôle, et n’a pas à rougir de son jeu face à ses partenaires. Cependant, on regrette quelques longueurs dans le dernier acte du film vis-à-vis du développement du personnage de Lily-Rose Depp, même si l’apitoiement de l’auteur envers son personnage appuie davantage encore la part aliénante de cette terrible histoire immuable. D’ailleurs, l’impact de l’arrivée de Nosferatu à Wisborg n’est, selon nous, pas assez prononcée, la peste allant également avec, sans parler de la longue traversée du vampire à bord du Demeter. En effet, le film préfère se concentrer sur l’impact de la créature envers les personnages et leur intime, plutôt qu’à grande échelle. D’ailleurs, en parlant de personnages, Nicholas Hoult campe ici un jeune homme particulièrement effrayé, tandis que Willem Dafoe, lui, s’avère (une fois de plus) irrésistible dans le rôle d’un scientifique controversé, au franc-parler certain, et expert en occultisme ; le seul, en soi, à comprendre le lien entre Ellen et le comte Orlok, lui qui communique avec son serviteur Knock en langage occulte énochien.

"Nosferatu", c’est donc une histoire de malédiction romanesque vampirisante, portée par toute la dévotion et l’amour d’un cinéaste radical envers le cinéma, lequel laisse muet, hypnotisé par sa fougue, épousant déjà sa parfaitement identifiable cinématographie, au bout de seulement quatre films. Mais c’est aussi paradoxalement un cauchemar éveillé duquel on ne souhaite pas se réveiller, étant donné une esthétique d’époque à l’immersion imparable, malgré son côté lugubre et anxiogène. S’être ainsi lancé dans ce remake était certainement risqué, mais définitivement pas lorsqu’on s’appelle Robert Eggers. Et le dernier plan du film nous prouve encore qu’il a eu raison de suivre son instinct, et nous de lui faire confiance, lequel nous partage à son tour sa fascination. Deux choses sont certaines : d’une part, après les récents et très décevants "Abigail" (Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett, 2024), "Renfield" (Chris McKay, 2023 - et déjà avec Nicholas Hoult) et "Le Dernier Voyage du Demeter" (André Øvredal, 2023), l’Histoire (du cinéma) nous prouve que le "Dracula" (1897) de Bram Stoker est immortel et, d’autre part, qu’elle a bien fait de sauver des enfers le "Nosferatu" de Murnau, afin que de nouveaux auteurs puissent s’en inspirer et, à leur tour, hanter une nouvelle génération de spectateurs.



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