Genre : Comédie musicale, fantastique

Durée : 160’

Acteurs : Cynthia Erivo, Ariana Grande, Michelle Yeoh, Jonathan Bailey, Jeff Goldblum, Peter Dinklage...

Synopsis :
Bien avant l’arrivée de Dorothy Gale au Pays d’Oz, Elphaba, une jeune femme née avec la peau vert émeraude, arrive à la Shiz University afin de poursuivre ses études mais également pour accompagner sa jeune sœur paraplégique, Nessarose. Sur place, elle est obligée de partager une chambre avec Galinda Upland, une jeune femme blonde, pétillante et extrêmement populaire qui rêve d’apprendre la magie aux côté de la directrice, Madame Morrible, afin de pouvoir avoir l’opportunité d’aller assister le célèbre Magicien d’Oz.

La critique de Julien

Défier la gravité. "Wicked", c’est la seconde comédie musicale de Broadway la plus lucrative de tous les temps, derrière "Le Roi Lion" (1997). Excusez du peu ! Lancée en 2003, il s’agit bien évidemment d’une libre adaptation du roman "Wicked : The Life and Times of the Wicked Witch of the West" (Gregory Maguire, 1995), lui-même basé sur le roman "Le Merveilleux Magicien d’Oz" (L. Frank Baum, 1900) et de son adaptation cinématographique signée Victor Fleming (1939). Attendue au cinéma depuis plusieurs années, cette comédie musicale raconte ainsi l’amitié déchirée entre les deux sorcières Elphaba (la future Méchante sorcière de l’Ouest) et G(a)linda (la future Bonne sorcière du Sud), à la fois avant et après l’arrivée de Dorothy Gale (Judy Garland) à Oz. Et divisée en parties, dont la seconde - déjà tournée - sortira dans nos salles à la fin de l’année prochaine, cette histoire est mise en scène par un habitué du genre, Jon M. Chu, lui à qui l’on doit notamment "Step Up 2 : The Streets" (2010), "Step Up 3D" (2010), et récemment une autre adaptation d’une comédie musicale de Broadway, soit "In The Heights" (2021), de Lin-Manuel Miranda et Quiara Alegria Hudes (2005). Initialement jouées Idina Menzel et Kristin Chenoweth, les rôles d’Elphaba et de G(a)linda ont été respectivement confiés ici à Cynthia Erivo et (à la déjà populaire) Ariana Grande, tandis que Jonathan Bailey (qui monte, qui monte), incarne avec malice le rôle de Fiyero Tigelaar, Prince du pays Winkie, sans compter sur les apparitions de Michelle Yeoh dans le rôle de la doyenne de la sorcellerie à l’Université Shiz, ou encore de Jeff Goldblum dans le rôle du Merveilleux Magicien... Bref, du beau monde et de gros moyens déployés pour un spectacle de tous les instants, à la fois respectueux et grandiose, au Pays d’Oz...

Dès l’ouverture, "Wicked" sort l’artillerie lourde, en témoigne la logo du titre du film, en hommage au cinéma de l’Âge d’Or, et débute donc par la fin, soit tel que la comédie musicale le fait, alors que les citoyens du Munchkinland célèbrent la mort de la Méchante Sorcière de l’Ouest, chantant le titre "No One Mourns the Wicked", alors que Glinda la Bonne apparaît et se remémore le passé, à commencer par imager l’enfance troublée et rejetée de la Méchante Sorcière, née avec une peau vert vif, avant que l’un des citoyens lui demande si elles furent, un temps, amies, ce à quoi G(a)linda répondra à l’affirmative, avant de raconter leur histoire, depuis leur rencontre à l’Université Shiz...

Deux heures et une petite trentaine de minutes : il fallait bien ça pour mettre en boîte la première partie de cette aventure inscrite au Panthéon de la comédie musicale outre-Manche et outre-Atlantique. Or, quand on sait que la bande originale chantée du film fait à elle seule 54 minutes (!), autant dire que "Wicked" fait la part belle au chant, et ne renie donc aucunement ses origines. Que du contraire ! D’ailleurs dotée d’un budget de production de 150 millions de dollars, force est de constater que la direction artistique - la plus aboutie - de Jon M. Chu s’inscrit parfaitement dans l’univers enchanteur de la comédie musicale, et dans la continuité (colorée) du film de Fleming. Costumes, maquillages, chorégraphies, photographie... Tout ici ou presque n’a qu’un seul but : en mettre plein les mirettes. Cynthia Erivo et Ariana Grande s’en donnent ainsi à cœur joie, et déballent ici tout leur coffre. Incroyable prestation des deux actrices et chanteuses, la première supplantant tout de même la seconde dans le rôle d’Elphaba, elle qui a droit au point culminant de cette première partie, sur son balai, alors poursuivi par les gardes du Magicien, et s’élevant au-dessus des citoyens d’Oz pour clamer son souhait de combattre les plans sinistres du Magicien d’Oz autoritariste, à l’égard notamment des Animaux dotés de la parole et d’intelligence à Oz, où ils étaient autrefois légion. Le dernier couplet, sur les paroles "Bring Me Down" permet ainsi à l’actrice de capituler sur le choix de la production de lui avoir fait appel, elle qui a elle-même joué dans la comédie musicale "The Color Purple" (de 2015 à 2017) à Broadway, récompensée pour cela du Tony Award de la meilleure actrice dans une comédie musicale en 2016 ; "The Color Purple" a d’ailleurs connu, plus tôt cette année, une seconde adaptation au cinéma (par Blitz Bazawule) après celle de Steven Spielberg (1985). Les deux interprètes des sorcières sont à la fois généreuses et dévouées à leur rôle, et leur cause, en plus de jouer en harmonie constante, malgré le destin quelque peu tragique qui les attend leurs personnages...

"Wicked", ce n’est donc évidemment pas qu’une comédie musicale, elle qui raconte bien une histoire en filigrane des chansons qui y sont chantées. Les préjugés et le rejet par les apparences et la différence (et dont l’injustice sociale), l’acceptation de soi, la corruption par la politique et le pouvoir en place, et surtout l’amitié contre vents et marées entre deux êtres que tout oppose au départ sont autant d’enjeux racontés par les aventures desdites sorcières. Face à elle, un peu de légèreté tout de même, avec la partition de Jonathan Bailey, dans la peau du Prince hétéro-camp Fiyero, convaincu de la non-culpabilité d’Elphaba quant à son contre-pied à l’égard du Magicien d’Oz. Cette adaptation, plutôt donc fidèle au matériau originel, n’a ainsi pas à verdir de la comparaison, et nous offre un spectacle de Noël féerique, nous immergeant dans un univers fantastique qui devrait ravir petits et grands, lequel rappelle d’ailleurs la mise en scène du "Monde Fantastique d’Oz" de Sam Raimi (2005). Ainsi, si ce n’est quelques faiblesses d’exécution entre les tableaux et des messages, certes universels et toujours aussi actuels, mais prévisibles et finalement pas bien méchants, "Wicked" remplit son contrat.

Véritable institution aux États-Unis, "Wicked" y a déjà pulvérisé toutes les adaptations cinématographiques de comédies musicales, dont celles de Broadway, y compris "Les Misérables" (Tom Hooper, 2012) ou "Into the Woods" (Rob Marshall, 2014), ce qui n’est en rien étonnant, étant donné la promotion matraqueuse d’Universal Pictures, sans compter sur la multitude de produits et de médias dérivés. Meilleur film de 2024 selon la National Board of Review (!), autant dire que le rouleau compresseur n’est pas près de se terminer, et s’apprête ainsi à délivrer son apothéose dans quelques mois. Or, attendre n’est rien de bien méchant pour "Wicked"...