Genre : Drame
Durée : 96’
Acteurs : Cillian Murphy, Clare Dunne, Emily Watson, Michelle Fairley...
Synopsis :
Noël 1985, Bill Furlong, père dévoué, découvre les secrets étonnants que conserve le couvent de sa ville.
La critique de Julien
"Small Things Like These", c’est avant toute chose une nouvelle de l’auteure irlandaise Claire Keegan publiée en 2021, elle à qui l’on doit la nouvelle "Foster" (2010), déjà adaptée avec succès au cinéma sous le titre "The Quiet Girl" (2023), par Com Bairéad, d’ailleurs auréolé du Grand Prix de l’Union de la Critique de Cinéma belge 2024. Coproduite notamment par Matt Damon et Ben Affleck via leur récente société de production Artistes Equity, cette adaptation de "Small Things Like These" est signée cette fois-ci par le metteur en scène belge néerlandophone Tim Mielants ["de Patrick" (2019), "Wil" (2023)], lequel retrouve ici l’acteur Cilian Murphy après la saison trois de la série "Peaky Blinders" (2016), tandis que ce dernier recollabore à son tour avec le dramaturge irlandais Enda Walsh, en tant que scénariste du film. Murphy, interprétant ici le rôle principal du film, en est d’ailleurs le moteur, lequel est tombé amoureux de ladite nouvelle après l’avoir lue. L’acteur, qui envisageait déjà de lancer sa propre société de production, a dès lors découvert que les droits cinématographiques de l’histoire étaient disponibles, lequel s’est dès lors associé à son partenaire de production Alan Moloney pour lancer leur boîte indépendante, baptisée - en clin d’œil - Big Things Films. C’est donc lui qui a, en partie, contacté Claire Keegan pour savoir si elle accepterait de leur léger les droits. Et force est de constater que ce fut le cas. On on comprend pourquoi, avec un tel pedigree à la clef...
Film extrêmement sombre et plein de ressentiment, "Small Things Like These" nous emmène alors en 1985 à la rencontre que Bill Furlong, un père de famille marié, alors charbonnier indépendant très respecté, vivant à New Ross, en Irlande, lequel s’est construit une vie modeste sur son propre traumatisme d’enfance refoulée. Ces événements referont alors surface lorsque, la veille de Noël, une série d’autres le feront soupçonner d’abus par l’Église catholique, dirigeant les blanchisseries de la Madeleine, où, de 1922 à 1996, plus de dix mille jeunes femmes "déchues" y auraient été enfermées - parfois pour des raisons futiles - et y auraient subi du travail pénitentiaire forcé, au sein des nombreuses institutions répertoriées, dont dix en Irlande. Comment dès lors ce père de cinq filles va-t-il réagir face à ce secret découvert, alors que l’Église régit d’autant tous les aspects de la vie de la ville, et qu’il espère assurer la réussite de ses filles à St. Margaret’s ; la seule bonne école catholique pour filles à New Ross ?
"Small Things Like These" a beau se dérouler durant la période des fêtes de fin d’année, il en demeure sans doute l’un des films les plus pessimistes de celle-ci, la caméra de Tim Mielants et la photographie de Frank van den Eeden capturant une lugubre lumière d’hiver filmée - en partie - dans la ville de New Ross, là où se sont déroulés les faits exhumés. Entre culpabilité, honte et complicité sociale, le film fait dès lors état de la lente prise de conscience d’un homme taiseux quant au mépris de la communauté religieuse envers de jeunes femmes "perdues" ("fallen women"), désignant ainsi les femmes ayant eu des relations sexuelles hors mariage, quelle qu’en fût la cause, sans oublier aussi des enfants. Ainsi, malgré la tranquillité qui rôde dans la ville, son lourd silence assourdissant (!) fait dès lors écho ici de la complicité de l’Irlande des années 1980 envers des abus sexuels, psychologiques et physiques commis sur les pensionnaires des couvents de la Madeleine, lesquels ont également élu domicile au Royaume-Uni, en Suède, au Canada, aux États-Unis ou encore en Australie jusqu’au XXe siècle. Or, il fallut de nombres années avant que les pouvoirs publics irlandais n’entament une enquête sur ces blanchisseries, et cela sous la pression d’instances internationales et d’organisations privées. Alors, imaginez un instant qu’un père de famille sans vague découvre l’horreur ?
De tous les plans, Cilian Murphy est parfaitement pesant dans la peau d’un homme déprimé et en quête de sens, lequel, par de petits gestes aussi insignifiants, mais qui additionnés, pourraient sauver des vies et renverser le pouvoir en place, à l’image de la paroisse catholique qui trône, intacte et intouchable, tel un monolithe sur les hauteurs de la ville. Ce père, qui s’efforce de travailler sans relâche pour subvenir aux besoins des siens, s’oublie dès lors, et étouffe face ainsi à l’oppression sociétale, d’autant plus lorsque celle-ci est surplombée par des idéaux chrétiens en totale trahison avec ce qu’ils sont censés défendre, et représenter, ce qui sera d’autant plus difficile à accepter, au risque d’être ostracisé... Loin d’être une promenade de santé psychologique, "Small Things Like These" est donc un film dur et âpre à réserver à un public averti, duquel se dégage, au loin, la lumière au bout du tunnel par les actes de bravoure d’un père pour les victimes - et le bien de ses filles, même si c’est davantage l’obscurité qui l’emporte ici, et cela jusqu’à son générique de fin, où seul le chant des corbeaux, des aboiements, et surtout la cloche de ladite paroisse résonnent, quant à elle en signe de glaçante primauté, au centre de toutes les croyances, malgré l’injustice encore tue - trop longtemps - qui y régnait...