Genre : Thriller, horreur
Durée : 140’
Acteurs : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Hugo Diego Garcia...
Synopsis :
"Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? Vous devriez essayer ce nouveau produit : The Substance. Ca a changé ma vie !" Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite... Il suffit de partager le temps. Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre. Un équilibre parfait de sept jours. Facile n’est-ce pas ? Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ?
La critique de Julien
Quelle mouche a piquée Coralie Fargeat ? Peut-être celle de David Cronenberg (1986) ? Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, c’est avec énormément d’impatience qu’on attendait de pouvoir goutter à "The Substance", ayant donc fait sensation sur la Croisette en mai dernier. Et on comprend pourquoi ce film complètement perché n’en est pas reparti bredouille ! Mettant en scène Demi Moore dans le rôle méta d’une célébrité sur le déclin, alors écartée par son patron (Dennis Quaid) le jour de ses 50 ans, ce "body horror" n’est pas qu’un film de genre comme les aime sa réalisatrice et scénariste française, Coralie Fargeat, à qui l’on doit déjà le brutal et féministe "Revenge" (2017). Non, "The Substance" est bien plus que cela, tout en étant beaucoup de cela à la fois ! Âmes sensibles - et esprits fermés - s’abstenir !
Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? C’est le cas pour Elisabeth Sparkle (Moore), une ancienne gloire du cinéma et vedette d’une émission d’aérobic, se retrouvant violemment écartée de celle-ci par son mégalo de directeur de distribution (nommé Harvey !), en raison de son âge, laquelle se verra injecter "The Substance", soit un sérum issu du marché noir promettant une version "plus jeune, plus belle, plus parfaite" d’elle-même, par modification cellulaire. Cependant, les consignes d’utilisation du produit sont très strictes, tandis que leur non-respect peut entraîner de monstrueux effets secondaires. Et c’est peu de le dire.
Après avoir mis en scène la violence faite aux femmes dans son précédent film "Revenge" (2017), Coralie Fargeat reste fidèle à son style cinématographique privilégiant non pas la grammaire des mots, mais bien celle du visuel et du son. D’ailleurs, vous ne regretterez au moins aucunement d’avoir fait le déplacement pour ce que ce film a à nous offrir en matière de mise en scène. Ainsi, la photographie saturée de Benjamin Kraun, la musique électronique de Raffertie, le travail hallucinant sur le maquillage et les prothèses de la société Pop FX de Pierre-Olivier Persin, ou encore les décors nous emmènent dans un univers onirique qui n’appartient qu’à lui, et portant avec assurance ses idées maîtresses... En témoigne une expérience de cinéma viscérale (sans mauvais jeu de mots), où le travail technique participe au côté cathartique de cette œuvre satirique, laquelle pousse dans ses retranchements caricaturaux les plus absurdes et jouissifs le regard actuel que porte la société au culte du corps, et à l’image de la femme. C’est notamment le cas à Hollywood, manifestement dirigé par les diktats masculins et leur fantasme de la féminité parfaite et de la jeunesse-objet, ce pour quoi tant d’actrices ont d’ailleurs recours à la chirurgie esthétique, Demi Moore la première...
Anti-héroïne de cette histoire cauchemardesque, Demi Moore ne joue pas ici à demi-mesure, elle qui se met d’ailleurs totalement à nu (malgré quelques prothèses), et se confronte à l’une des plus grandes peurs des actrices, soit la vieillesse. Et autant dire que l’actrice joue gros, sortant doublement ici de sa zone de confort dans ce film tourné entièrement en France, elle qui a dû se conformer aux méthodes et exigences d’un tournage européen (malgré la présence sur le plateau de son chihuahua pour la rassurer), tout en acceptant de s’exposer, et cela aussi bien émotionnellement que physiquement. Pourtant, Demi Moore livre ici une incroyablement performance, à voir au second degré, dans la peau d’un personnage malmené par le miroir que lui renvoient, d’une part, la société qui l’entoure et, d’autre part, sa version "améliorée" (mais pourtant méprisante) d’elle-même. C’est d’ailleurs la façon dont Elisabeth se verra usurper son identité et sa raison d’être par une autre version d’elle-même qui sera davantage ici le moteur d’une chute d’autant plus vertigineuse, et aux conséquences absolument dévastatrices...
Quel plaisir donc, vous l’aurez compris, de retrouver Demi Moore dans un premier rôle d’envergure, elle qui n’a aucunement eu peur de jouer avec son image et, mieux encore (ou pire - on ne parvient toujours pas à se prononcer !), d’accepter de la voir se déformer. Car ladite substance va, en effet, faire beaucoup de dégâts sur son corps, et donc celui de son personnage. Or, cela n’aurait, de prime abord, ne pas dû être le cas, étant donné le côté "plus parfait" et la plastique de rêve de son double, Sue, campée par la jeune actrice - et fille d’Andie McDowell - Margaret Qualley, déjà vue cette année-ci dans "Drive-Away Dollars" (d’Ethan coen) et "Kind of Kindness" (de Yórgos Lánthimos). Pulpeuse et terriblement sexy avec son justaucorps rose, l’actrice est à la fois fébrile et hystérique dans le corps de cette jeune ayant tout pour plaire, dont aux producteurs avides de chair fraîche (Dennis Quaid, horrible - à son avantage - dans son rôle). Mais il ne faudrait pas en oublier les règles pour autant... Or, une fois la première partie installée, le film opère un virage à 180 degrés, Coralie Fargeat, ses acteurs et son exceptionnelle équipe technique jouant à fond la carte du gore assumé, quitte à s’éloigner des propos qui se cachent sous les amas de peaux de "The Substance", privilégiant les viscères à toute subtilité...
"The Substance" se regarde dès lors comme une bombe à retardement qui, lorsqu’elle éclate, ne laisse que des morceaux de ces femmes détruitent. Entre l’interpellation sociétale de son propos, ses scènes d’humour et d’autodestruction (très) noires ou encore son florilège de 30 000 gallons (!) de faux-sang jaillissant de toutes parts, Coralie Fargeat n’y va pas de mainmorte (ni de doigt-mort ; vous comprendrez) pour élever ses idées jusqu’au summum de l’horreur, voire du tenable, du raisonnable, elle qui finit d’ailleurs par s’éparpiller dans une grotesquerie sans queue ni tête (malgré ses nombreuses têtes !), faisant certainement dévier son métrage de la pertinence claire de sa critique acerbe. Pourtant, par sa provocation, "The Substance" va au-delà de ce qu’on en attendait, et donc de son concept métaphorique délirant, et finit même par cracher littéralement rouge au visage des gros bonnets d’Hollywood. Car il s’agit bien là d’un film de genre distinctement référencé, se revendiquant comme tel, et s’assumant ainsi du début à la fin. Et rien que pour ça, il faut le voir pour le croire ! Et quand on sait que ce film est une co-production européenne réalisée par une femme, on a d’autant plus envie de la soutenir ! Vous n’êtes pas prêts !