Genre : Thriller
Durée : 113’
Acteurs : Nicholas Hoult, Toni Collette, J.K. Simmons, Chris Messina, Zoey Deutch, Kiefer Sutherland...
Synopsis :
Alors qu’un homme se retrouve juré d’un procès pour meurtre, il découvre qu’il est à l’origine de cet acte criminel. Il se retrouve face à un dilemme moral entre se protéger ou se livrer.
La critique de Julien
Le grand, l’immense, le monstre sacré du cinéma américain Clint Eastwood nous livre ici, à 94 ans, son quarantième film en tant que réalisateur, soit le film de procès en bonne et due forme "Juré n°2", dans lequel Nicholas Hoult interprète un honnête citoyen journaliste, mais alcoolique en rémission, et futur père de famille, appelé alors à siéger comme juré dans une affaire de meurtre présumé. Et pour cause... Il y a un an de cela, une jeune femme fut retrouvée morte après s’être disputée avec son petit ami dans un bar local, avant d’avoir été retrouvée morte sous un pont. Mais alors que ce dernier est accusé de son meurtre, ledit juré va rapidement se retrouver aux prises avec un grave dilemme moral, lui qui pensait avoir heurté, il y a un an de ça, un cerf... Et si c’était lui qui était accidentellement à l’origine de cette mort ?
C’est en grande forme que l’on retrouve Clint, trois ans après l’oubliable projet de longue date qu’était "Cry Macho", dans lequel il filaient des castagnes à des méchants mexicains, tout en faisant encore usage de ses talents de charmeur invétéré, sans qu’on parvienne ainsi à y croire. Echec cuisant au box-office, ces résultats commerciaux avaient dès lors poussé Warner Bros. Pictures à jouer la sécurité avec son nouveau métrage (malgré leur collaboration d’un demi-siècle), Eastwood étant l’un des rares grands cinéastes à réaliser des drames pour adultes encore financés par une major. Diffusé ainsi aux Etats-Unis dans un parc limité à 50 salles, "Juré n°2" y sera disponible d’ici peu sur le service de streaming Max (anciennement HBO Max), appartenant à Warner Bros. Discovery, et cela dans un contexte où le paysage cinématographique contemporain, durement secoué par la récente pandémie, voit d’un œil risqué de sortir en salles des drames originaux pour adultes. Quand la justice fait mal les choses...
Révélant d’emblée le poids reposant sur les épaules de son juré n°2, Justin Kemp, joué par un troublant et torturé Nicholas Hoult, son film questionne dès lors l’impartialité de la justice, ses limites, ses fêlures, elle qui ne peut toujours être juste, tout comme la soif actuelle qu’a la société à juger sur la sellette, ou à son avantage. Ainsi, dans le film, le personnage campé par Toni Colette, en procureure adjointe chargée de l’affaire, espère fédérer des électeurs avec une condamnation pour violence domestique à l’encontre du compagnon (Gabriel Basso) de la défunte (Francesca Eastwood, l’une des filles de Clint), au sein de cette affaire très médiatisée, laquelle prend part dans un climat post-#MeToo, ayant permis et permettant quotidiennement encore des révélations de violences faites aux femmes (et aux hommes !), et la prise de parole de victimes. Dès lors, cette procureure a tout à gagner en remportant son procès, aidée par des témoignages allant dans le sens de cette condamnation, de même qu’un coroner affirme que les blessures de la jeune femme décédée sont compatibles avec une agression par un instrument contondant, tandis qu’un témoin oculaire affirme avoir vu l’accusé d’où le corps a été jeté, malgré la noirceur de la nuit et la pluie battante... Mais cette affaire, étant dès lors liée à une campagne électorale, se doit surtout d’aboutir à un coupable. Mais à quel(s) prix ? Que va dès lors faire Justin Kemp, horrifié à l’idée qu’un homme innocent puisse être condamné (à sa place) ? Tout est là l’enjeu de ce "Juré n°2", entre tension et nécessité de rétablir la vérité, laquelle pourrait pourtant entraîner d’autres injustices si elle venait à éclater, comme celle de voir un futur nouveau-né être privé de son père...
Avec sa mise en scène minutieuse, calme et sans artifices, Clint Eastwood prouve qu’il en a encore sous le pied en matière de réalisation, lequel adapte ici le scénario original du scénariste de télévision et de théâtre Jonathan Abrams, pour qui il s’agit là du premier papier pour le cinéma. Et malgré une enquête douteuse omettant de lever le voile sur des questions, zones grises et arguments susceptibles de disculper le seul accusé, ce thriller judiciaire se regarde avec passion et attention, porté par des acteurs formidables, incarnant des personnages de plus en plus tiraillés entre leur position actuelle (ce qu’ils ont à y gagner ou à y perdre) et leur conscience vis-à-vis de ce qui paraissait, au départ, n’être qu’une culpabilité malheureusement des plus banales, alors qu’il n’en est rien. Aussi, le film nous permet de découvrir l’envers du décor du rôle de juré aux Etats-Unis, tandis qu’il traite avec justesse du poids du silence, telle une inéquation, Thémis, la déesse de la justice, portant, dans l’une de ses mains, une balance tanguant davantage ici d’un côté plutôt que d’être en équilibre... A moins qu’elle ne vienne définitivement frapper à la porte pour rétablir la vraie justice ? Quoi qu’il en soit, si l’ensemble s’avère ici assez convenu en matière de films de prétoire, la remise en question que "Juré n°2" fait de l’image du citoyen-modèle et des institutions juridiques actuelles n’en est plus que... juste, et interpellante.