Genre : Drame, historique
Durée : 120’
Acteurs : Alicia Vikander, Jude Law, Eddie Marsan, Sam Riley, Simon Russell Beale, Amr Waked...
Synopsis :
Sixième femme du souverain catholique britannique Henri VIII, la protestante Catharine Parr tente d’influencer son époux, et par là même le reste du royaume. Lorsqu’Henri, malade et paranoïaque, rentre des champs de bataille, il continue de s’éloigner de la réalité. Pris de colère, il s’en prend aux radicaux (protestants). Il en arrive même à faire exécuter Anne Askew, amie d’enfance de Catharine. Apeurée, elle se bat pour sauver son mariage, et surtout sa propre vie.
La critique de Julien
Mieux vaut tard que jamais. Présenté au 76ème Festival de Cannes en Sélection officielle en compétition le 21 mai 2023, c’est plus d’un an plus tard que nous pouvons enfin découvrir sur les écrans "Le Jeu de la Reine" ("Firebrand" en version originale) du réalisateur et plasticien brésilien Karim Aïnouz, alors que sa dernière réalisation, "Motel Destino", a quant à elle été présentée cette année-ci dans cette même compétition, à Cannes ! Autant donc dire que la sortie de ce biopic marquant le premier effort de réalisation en langue anglaise de Karim Aïnouz est un petit miracle. Drame historique basé sur le roman de 2013 "Queen’s Gambit" d’Elizabeth Fremantle, "Le Jeu de la Reine" se concentre alors sur le destin de Katherine Parr (1512-1548), reine d’Angleterre et sixième épouse d’Henri VIII (1491-1547), laquelle lui a survécu d’un an et huit mois, alors que ses précédentes épouses avaient été répudiées ou décapitées par Henri VIII, excepté Jeanne Seymour (1508-1537), morte douze jours après la naissance du futur Édouard VI d’Angleterre (1537-1553), elle qui est d’ailleurs la seule de ses épouses à avoir été enterrée à ses côtés, et cela dans la chapelle Saint-Georges du château de Windsor. Mais Karim Aïnouz s’intéresse donc ici à sa veuve, Katherine Parr, et davantage à la régence de celle-ci, nommée à ce poste de juillet à septembre 1544, alors qu’Henri était en campagne militaire en France, au cas où il y perdrait la vie, et cela jusqu’à ce qu’Édouard soit majeur, ce qui n’arrivera pas, puisque, d’une part, Henri VIII revint du combat et, d’autre part, Édouard mourut à l’âge de 16 ans (sept ans après avoir été couronné, lequel a donc succédé à son père)...
Film d’époque empruntant l’héritage actuel de l’ère post-#MeToo, "Le Jeu de la Reine" permet à l’actrice suédoise Alicia Vikander de regagner ses lettres de noblesse, elle qui s’était plutôt faite discrète ces dernières années à l’écran. Elle y interprète alors une Katherine Parr pieuse et réformatrice dans l’âme, bien que décidé à assurer ses arrières étant donné un mari tyrannique, alors joué par un Jude Law méconnaissable, et de surcroît monstrueux ; le caractère d’Henri VIII devant de plus en plus instable et paranoïaque à mesure qu’une grave blessure ulcéreuse à la jambe l’affaiblit (en plus de son obésité). Or, Katherine Parr, sachant ce qu’il est advenu de celles qui l’ont succédé, a d’autant plus ici intérêt à mesurer ses propos, et à cacher sa sympathie pour les forces progressistes du royaume, elle qui tente d’ailleurs d’écrire un traité sur la foi protestante, ce qui risque ainsi de lui valoir des accusations d’hérésie dans un climat politique où toute forme de dissidence religieuse peut être perçue comme une trahison vis-à-vis de l’autorité, incarnée ici par son propre mari...
Autant dire qu’à l’écran, les acteurs du film sont l’atout majeur de la réalisation plutôt soignée mais linéaire et sans grande originalité de Karim Aïnouz, ses génériques d’ouverture et de fin - pop et bleu électrique - contrebalançant d’ailleurs étrangement avec l’aspect sombre et très académique de sa mise en scène. Son film, ainsi adapté, joue pourtant sur la corde raide, opportuniste et dangereuse de la réécriture de l’Histoire, se détachant ainsi des archives historiques, mais pour alors mieux servir la révolte féminine - ainsi que politique et religieuse - dont il est question. Alors certes, la position complexe et ambitieuse de Katherine Parr est connue des livres d’Histoire, mais cette dernière s’était pourtant voulue dévouée à son mari et à son rôle, au sein de la cour d’Angleterre, naviguant d’ailleurs intelligemment entre les dangereuses intrigues de la cour conservatrice des Tudor. Or, la version qu’incarne ici Alicia Vikander, sans retourner sa veste, emprunte un chemin moins à cheval quant à ce qu’il fut dans la minutieuse réalité, le film jouant d’ailleurs d’une tension grandissante vis-à-vis des risques subversifs et romancés que prend ici le personnage principal, à la fois instruit, féministe, et résilient. Revisite dès lors plus insoumise, moderne qu’authentique, et faisant la part belle à la sororité, "Le Jeu de la Reine" n’offre qu’une interprétation à la lumière du jour de la fin de vie d’un personnage féminin que l’Histoire à tendance à oublier. Un film à ne donc pas prendre au premier degré, mais qui invite surtout à rouvrir un recueil sur la royauté anglophone d’autrefois afin d’en comprendre toutes les nuances et tourments, lesquels demeurent encore à bien des niveaux...