Genre : Thriller, drame
Durée : 105’
Acteurs : Zar Amir Ebrahimi, Arienne Mandi, Jaime Ray Newman, Mehdi Bajestani, Valeriu Andriuta...
Synopsis :
La judoka iranienne Leila et son entraîneuse Maryam se rendent au championnat du monde de judo avec l’intention de ramener la première médaille d’or de l’Iran. Au milieu de la compétition, elles reçoivent un ultimatum de la République islamique ordonnant à Leila de simuler une blessure et de perdre. Sa liberté et celle de sa famille étant en jeu, Leila est confrontée à un choix impossible : feindre une blessure et se plier au régime iranien, comme Maryam l’implore de le faire, ou les défier tous les deux et continuer à se battre pour remporter l’or.
La critique de Julien
Attention à l’uppercut ! "Tatami" fait indéniablement partie de ces films qui mettent K.O. le spectateur, et duquel il se relève avec autant de rage qu’avec la boule au ventre. Or, ce thriller dramatique marque d’emblée au fer rouge l’histoire du cinéma, étant donné qu’il s’agit là du premier long métrage à être coréalisé par un cinéaste iranien et un cinéaste israélien, soit respectivement la réfugiée iranienne désormais de nationalité française Zar Amir Ebrahimi, et l’Israélien Guy Nattiv, expatrié en Californie. Tout en étant une coproduction américaine et géorgienne, leur film, filmé en noir et blanc, nous envoie littéralement - tel que son titre l’indique - au tapis, et plus précisément au tatami, soit un tapis traditionnel japonais utilisé dans de nombreuses disciplines d’arts martiaux comme l’aïkido, le karaté ou le judo, dont il est justement question ici. Le film suit alors la judoka iranienne Leila (Arienne Mandi) et son entraîneuse Maryam (Zar Amir Ebrahimi elle-même), lesquelles se rendent aux Championnats du monde de judo à Tbilissi, en Géorgie, avec l’intention de ramener la première médaille d’or de l’Iran dans cette discipline. Mais c’était sans compter sur une rencontre possible avec une athlète Israélienne, et favorite de la compétition. Or, le régime des Mollahs, qui ne reconnaît pas l’État d’Israël, interdit fermement les athlètes d’Iran de concourir face à des Israéliens (ou en Israël). En pleine compétition, les deux femmes recevront alors des menaces de plus en plus fortes de la fédération iranienne de judo, celles-ci émanant directement du Guide suprême d’Iran, tandis que leurs familles restées en Iran se retrouveront directement menacées... Un dilemme se présentera dès lors à Leila : feindre une blessure et abandonner le tournoi afin de se conformer aux exigences du régime iranien (ce que lui implorera son entraîneuse) ou défier l’oppression des droits humains et lutter ainsi pour la liberté et la dignité, malgré les risques encourus...
Davantage film politique engagé que brûlot, et doté d’une force de frappe qui ne laisse pas indifférent, "Tatami" est d’autant plus percutant qu’il est coréalisé par Zar Amir Ebrahimi, elle qui a elle-même dû fuir son pays misogyne en mars 2008, elle qui y fut condamnée à la prison et à 100 coups de fouet à la suite d’un scandale national de sextape, malgré ses dénégations. Tandis que sa carrière d’actrice y était dès lors devenue impossible, c’est tout naturellement qu’elle a préféré fuir l’humiliation et l’ostracisme social du régime, laquelle est désormais devenue une fervente militante, utilisant notamment le pouvoir du cinéma pour dénoncer l’horreur, le mensonge, l’injustice ou encore l’hypocrisie de Téhéran, à l’image des cinéastes Asghar Farhadi et Saaed Roustaee. Récompensée du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2022 pour son rôle dans le film "Holy Spider/Les Nuits de Mashhad" d’Ali Abbasi, sa démarche et celle de Guy Nattiv ne se vit pourtant pas comme un drame social en bonne et due forme, mais davantage comme une expérience de cinéma suffocante et pleine de tension, alors filmée en temps réel, presque comme un huis clos, soit en parallèle des rencontres de Leila sur le tatami et des pressions crescendo en coulisses exercées sur ces femmes, lesquels représentent finalement ici toute une population voyant leurs droits bafoués sous prétexte de devoir respecter les valeurs islamiques, et de ne pas ainsi "faire honte" à la nation iranienne. Le choix de mise en scène en noir et blanc souligne d’ailleurs ici l’idée de gravité intemporelle et universelle des dilemmes moraux et politiques auxquelles sont confrontés des millions d’hommes et femmes, subissant, de par le monde, le poids d’un régime politique autoritaire, décidant de leur vie à leur place, et réprimant violemment l’opposition.
D’une efficacité extrême, et bien aidé par la bande originale de Dascha Dauenhauer, en pop, rap et électro, "Tatami" choisit justement la voie de l’opposition, et va au bout de son bras de fer, offrant à ses personnages ce à quoi tout être humain devrait avoir droit, soit la liberté, alors que les athlètes iraniens et iraniennes ne devraient pas à avoir à choisir entre leur carrière sportive ou les exigences politiques de leur pays, quitte à marquer la déchirure, tout en gardant leur contrée dans leur cœur... Inspirée de faits réels, dont de l’histoire du judoka iranien de renom Saeid Mollaei, le film de Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv doit également beaucoup à ses fabuleuses et intenses actrices, filmées dès lors au plus près des coups qu’elles reçoivent (qu’ils soient physiques ou psychologiques). Et outre la puissante et profonde interprétation de Zar Amir Ebrahimi dans la peau d’un personnage portant depuis longtemps le poids de la peur et de l’intimidation, l’Américaine d’origine chilienne et iranienne Arienne Mandi explose ici pour son premier grand rôle au cinéma (après avoir notamment joué dans la série "The L Word : Generation Q"), alors plein de détermination et de courage malgré la persécution systématique qu’il subit. Bref, on ne serait que vous conseiller de découvrir ce film utile, urgent, et progressiste !