Genre : Horreur, thriller
Durée : 110’
Acteurs : James McAvoy, Mackenzie Davis, Aisling Franciosi, Scoot McNairy, Kris Hitchen...
Synopsis :
Une famille américaine passe le week-end dans la propriété de rêve d’une charmante famille britannique rencontrée en vacances. Mais ce séjour qui s’annonçait idyllique se transforme rapidement en un véritable cauchemar.
La critique de Julien
Il y a bientôt deux ans sortait sur nos écrans le glaçant thriller d’horreur psychologique danois "Speak no Evil" de Christian Tafdrup, lequel mettait à mal une famille danoise invitée à passer un week-end chez un couple d’Hollandais et leur fils (souffrant alors d’aglossie congénitale, soit d’un développement partiel ou d’absence complète de la langue), et cela après avoir fait connaissance avec cette dernière en Toscane. Or, c’est bien connu : il ne faut jamais faire confiance à des inconnus... Car les retrouvailles dérapaient assez rapidement, étant donné que les Anglais en vacances ne semblent pas être les mêmes que dans leur propre environnement, quelque peu rural et isolé... Étouffant et très méchant, le film provoquait alors les mœurs d’individus d’origines et de milieux différents par un véritable assujettissement, une manipulation psychologique faite d’intimidations, d’agressions au sens large, de paroles de travers, et surtout d’attitudes gênantes, et cela jusqu’à un point de non-retour, et de cruauté sans nom. On ne ressortait alors pas indemne, mais bien secoué de "Speak no Evil", sans dire un mot, comme si notre langue avait été coupée. Un film provocant, inconfortable, dérangé, et mettant donc en scène un véritable cauchemar éveillé. Bref, de quoi donner des idées à Jason Blum via sa société Blumhouse Productions, lequel s’est donc emparé du scénario coécrit par Christian Tafdrup et son frère Mads, et resignant d’ailleurs avec l’acteur James McAvoy, lequel avait joué dans les films "Split" (2017) et "Glass" (2019) de M. Night Shyamalan, produit par sa même boîte. Adapté et réalisé par James Watkins ("Eden Lake" et "The Woman in Black", respectivement sortis en 2008 et 2012), "Speak No Evil" conserve alors le nom de son modèle tout en reproduisant également son même schéma narratif malaisant et provocant, ainsi que ses faiblesses, tout en prenant de déstabilisantes libertés, nous donnant alors l’envie de lui tirer la langue...
Quel est l’intérêt de reproduire une nouvelle version d’un film qui se suffisait à lui seul ? Or, les Américains sont forts avec cette idée, soit celle de s’approprier le travail d’autrui, tout en l’adaptant suivant ses propres règles, et mœurs sociétales. Car ce "Speak no Evil" ne va pas au bout des choses qu’entreprenait celui de Christian Tafdrup, en modifiant ici délibérément l’issue de ce week-end loin de tout repos. À la fois moins inéluctable, satirique et nihiliste, le film de James Watkins va d’ailleurs à l’encontre de ce que dénonçait - certes de manière poussive, extrême et invraisemblable - le film originel, soit l’hypocrisie et la politesse excessive de la classe moyenne, préférant jouer aux faux-semblants et se cacher derrière de grands sourires plutôt que de dire la vérité, de se confronter, et de rompre ainsi une fausse harmonie sociale, quitte ainsi à se soumettre, à supporter l’inconfort et donc à se conformer aux attentes. Car ici, le récit penche sa caméra du côté des invités, réécrivant d’ailleurs l’histoire de ce couple trop propret et habitant une grosse maison, mais sentimentalement mal en point, campé ici par Mackenzie Davis et Scoot McNairy. En effet, la première a cherché du réconfort auprès d’un autre homme suite à l’absence du sien pour question de travail, elle qui a d’ailleurs tout abandonné pour vivre à Londres avec lui afin qu’il réussisse, ce qui n’est pas son cas. Or, depuis la découverte d’une photo d’un pénis inconnu sur son téléphone par son mari, rien n’est plus pareil. La tournure des événements sera alors l’occasion pour les Dalton de protéger ainsi leur propre fille (et son doudou, d’ailleurs toujours oublié là et quand il ne le faut pas !). Alors certes, restons amis, mais restons unis ! "Speak no Evil" préfère alors jouer et secouer ce couple plutôt qu’à le confronter à même horreur absolue à laquelle les frères Tafdrup avaient confronté le leur. D’ailleurs cette version dure près d’un quart d’heure en plus, mettant en place un jeu du chat et de la souris qui n’existait pas dans la version d’origine, quant à elle beaucoup plus noire, sans empathie, et qui (s’)exécutait sans scrupule ni remords, et avec une froideur sans égard...
Si "Speak no Evil" perd donc ici en sournoiserie, le film de James Watkins se confond également à sa défaveur par son manque de froissement relatif au côté cru de l’œuvre de Christian Tafdrup, allant pourtant de pair avec le cinéma scandinave, plus direct dans sa violence psychologique et physique. En effet, outre ici une simulation de fellation sous une table, cette version anglophone se débarrasse de toutes les scènes où la nudité était de mise dans le scénario de départ, histoire notamment de pouvoir toucher à un plus large public, et sans doute ainsi moins choquer. Cette différence soulève alors l’intéressante question des normes en vigueur entre deux visions opposées du cinéma de l’horreur, avec, d’un côté, celui d’une Europe où l’image est plus réaliste, frontale et implacable, et de l’autre celui des États-Unis, où l’horreur grand public est davantage stylisée et moins explicite. Dès lors, c’est cette économie de l’effet, ou plutôt cette réinterprétation culturelle et commerciale du film de Christian Tafdrup qui fait que celle de James Watkins perde toute la tension et le profond malaise de son modèle. Car ce sont justement toutes ces scènes vicieuses, cruelles et extrêmement dérangeantes qui contribuaient (et contribuent encore) à la réussite du film danois, faisant de ce "Speak no Evil" un film dont on se souvient bien après séance...
Alors certes, s’il s’agit là d’un remake dont on n’attendait pas grand-chose, force est de constater que cette réécriture n’arrive aucunement à la cheville de son aîné, et cela malgré la présence au casting de l’excellent James McAvoy, lequel avait déjà pourtant prouvé ses talents de psychopathe dans les films précités de M. Night Shyamalan. Or, ce dernier - tout en muscles - finit justement par nous rejouer la même partition que celle de "la Bête"/Kevin Wendell Crumb et ses 23 identités dissociatives, ce qui est assez décevant. Et puis, la manière dont cette version victimise et excuse le comportement déplacé de ces meurtriers (McAvoy et Aisling Franciosi) par manipulation (avant qu’ils n’agissent avec leurs nouvelles victimes) agace et tourne en rond plus qu’il ne procure l’effroi, et l’embarras chez leurs invités, faisant quant à eux davantage profil bas, et preuve d’une hospitalité de plus en plus hostile. Tout cela ne mène finalement ici nulle part, en plus de ne pas répondre aux manquements du premier film, notamment du point de vue des motivations obscures du couple d’hôtes, et du manque de conséquences de leurs actes barbares...