Genre : Thriller, drame, espionnage
Durée : 106’
Acteurs : Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter, Hala Rajab...
Synopsis :
Hamid est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau. Hamid va-t-il oser se confronter à lui, maintenant que la pression, les doutes et un esprit de vengeance s’emparent de lui ?
La critique de Julien
Pour un premier film, "Les Fantômes" de Jonathan Millet épate non pas que par sa maîtrise, mais également pour le sujet auquel il s’attaque, et plutôt inédit au cinéma. Inspiré de faits réels et présenté en séance d’ouverture de la Semaine de la critique lors du dernier Festival de Cannes, ce thriller d’espionnage témoigne, en effet, de membres de groupes secrets traquant en Europe des criminels de guerre syriens issus du régime de Bachar al-Assad, lequel devait initialement épouser la forme d’un documentaire. Mais ça, c’était avant que son jeune cinéaste ne prenne connaissance de deux articles de Libération parus en avril 2019 ("Démasquer" de Christophe Israël et "Comment des opposants syriens ont aidé à identifier un jihadiste en fuite" d’Ismaël Halissat), dans lesquels il était question de chasseurs de jihadistes membres de la "cellule Yaqaza", lesquels pourchassaient d’anciens cadres de l’organisation État islamique, dont un certain Kais A., expert en explosifs, dit "le chimiste", ayant alors repris de manière inaperçue des études en Allemagne, sous une autre identité. Jonathan Millet a dès lors senti, là, matière à se diriger vers la fiction et un récit en mouvement, qui plus est sous haute tension. Et autant dire qu’il n’a pas eu tort.
En quelques mots, ce film nous parle ainsi d’un réfugié syrien vivant à Strasbourg et anciennement professeur à Alep en Syrie, Hamid (impressionnant Adam Bessa), lui qui a fui son pays après y avoir perdu sa famille et subi la torture dans la prison de Saidnaya, située au nord de Damas. Depuis, ce dernier n’a de cesse de traquer - pour une organisation secrète - son bourreau, Harfaz (Tawfeek Barhom), responsable de la mort de nombreux opposants au régime syrien, mais dont il n’a pourtant jamais vu le visage. Hanté par son passé, ce fantôme parmi tant d’autres se mettra alors en quête de justice, entre son exil, sa nouvelle adaptation, et la difficulté de reconstruire une vie suite au deuil et ses traumatismes, qu’ils soient aussi psychologiques que physiques...
Dense et cérébral, "Les Fantômes" est un thriller d’espionnage qui nous donne à voir un scénario original inspiré de faits réels, et dont nous n’avions, forcément, que très peu connaissance. Riche de ses thèmes, qui sont notamment l’observation patiente de l’autre et le mensonge sur soi-même, le film de Jonathan Millet épouse alors une mise en scène sensorielle et intimiste, jamais dans la démonstration, et encore moins la sursignification. Car ici, la guerre et la torture ne sont présentes qu’en hors-champ, ou appréhendées par un travail sonore intense qui porte les émotions et l’urgence de la situation, dont notamment par des enregistrements sonores et la bande originale signée Yuksek. Tout est finalement vécu ici au travers de l’intime de son personnage principal, de ses doutes et de ses pensées, lui qui demeure torturé subjectivement après l’avoir été objectivement, et agissant de manière chirurgicale et très prudente vis-à-vis de sa mission, qui n’est donc pas que personnelle...
Fort de ses études de philosophie et de ses expériences de voyage menées aux quatre coins du monde et dans les régions les plus reculées, au travers desquelles il a saisi visages et espaces marqués d’une quelconque façon, Jonathan Millet nous parle dès lors de ces gens de l’invisible, qu’ils fassent partie d’un groupe secret, qu’ils soient des criminels pourchassés, mais vivant à l’étranger une vie banale, des exilés, ou encore de ceux dont on croise le chemin sans les voir, sans connaître leur histoire, pourtant chargée, et faisant mine de l’intérioriser pour encore mieux la combattre. Soutenant crescendo l’imaginaire du spectateur, Jonathan Millet nous livre ainsi un récit multilingue implacable qui ne dévie jamais de sa trajectoire, tout en se donnant l’opportunité d’apercevoir la paix - au moins - intérieure à son issue, même si la mission n’est pas finie ; loin de là. Froid, mesuré, sans doute un brin trop monocorde dans son ton, "Les Fantômes" lève courageusement le voile sur l’existence possible d’anciens combattants de Daesh dans notre quotidien, ici en Europe, et s’avère ainsi être un film aussi tendu que passionnant, nous montrant un combat nécessaire de l’ombre, pour la justice et la mémoire des courageux opposants du régime syrien ayant alors trouvé la mort par des pratiques inhumaines, et pourtant autorisées au plus haut niveau du gouvernement syrien...