Genre : Drame
Durée : 100’
Acteurs : Sidse Babett Knudsen, Sebastian Bull Sarning, Dar Salim, Jacob Lohmann...
Synopsis :
Eva, gardienne de prison exemplaire, fait face à un véritable dilemme lorsqu’un jeune homme de son passé est transféré dans l’établissement pénitentiaire où elle travaille. Sans dévoiler son secret, Eva sollicite sa mutation dans l’unité du jeune homme, réputée comme la plus violente de la prison.
La critique de Julien
C’est en 2018 que le cinéaste danois Gustav Möller nous présentait son premier film "The Guilty (Den Skyldige)", un haletant et oppressant thriller et huis clos dans lequel un policier du service des urgences se retrouvait au téléphone avec une femme kidnappée. Récompensé à Munich, à Rotterdam, à Seattle ou encore à Sundance, son film avait tapé dans l’œil de producteurs américains, voyant là tout le potentiel de cette histoire, coécrite avec Emil Nygaard Albertsen, pour un remake sorti trois ans plus tard, alors réalisé par Antoine Fuqua, joué par Jake Gyllenhaal, et sorti exclusivement sur Netflix. C’était donc avec impatience qu’on attendait son second effort, intitulé "Sons (Vogter)", et porté par la charismatique Sidse Babett Knudsen. Présenté à la dernière Berlinale en compétition, c’est cette fois-ci au sein d’une prison que le cinéaste nous immerge, en compagnie d’Éva, une gardienne exemplaire, dévouée, zélée, et aux idéaux élevés, laquelle est appréciée par les détenus psychologiquement faibles de l’unité Vester 5, elle qui gère également leur cours de yoga afin de leur apprendre à gérer leur colère intérieure. Une routine bien contrôlée, donc, jusqu’au jour où l’arrivée d’un détenu très dangereux et qu’elle connaît (Sebastian Bull Sarning) viendra la submerger, laquelle demandera à son supérieur d’être mutée dans son unité de haute sécurité dans laquelle il est enfermé. Mais pour quelle(s) raison(s) semble-t-elle être déboussolée par ce jeune homme ?
Tourné dans l’ancienne prison désaffectée de Vridsløselille, près de Copenhague, ou encore dans le système de tunnels souterrains d’un hôpital, "Sons" est un thriller psychologique en milieu carcéral dans lequel la tension monte crescendo, et se joue un dilemme existentiel et éthique, centré autour de la question de la maternité. Vengeance et rédemption sont alors au cœur des émotions viscérales qui traversent ce film, Gustav Möller nous invitant à vivre son expérience réaliste et anxiogène en compagnie de son personnage principal, et cela comme si nous étions à ses côtés. Or, quand on sait que celui-ci est interprété par Sidse Babett Knudsen, on ne peut qu’accepter. Et autant dire qu’elle est parfaite dans son rôle, silencieuse, crispée, et préparant ses coups bas, avant que nous soit révélé le lien qui la lie avec ledit détenu, et ce donc pourquoi elle va lui rendre la vie très difficile, quitte à risquer gros, tout en ne parvenant plus à maîtriser ses pulsions, traversées par la culpabilité. Son regard est ciblé et sombre ; elle est prête à imploser, tandis que l’on reste bouche bée face à la violence haineuse, refermée, étouffée et qui l’habite et qui va en jaillir, aussi sporadiquement que radicalement. Sebastian Bull Sarning déstabilise également, dans la peau d’un homme que l’on sent victime de sa propre condition, de ses propres pulsions.
Gustav Möller réussit dès lors une fois de plus à créer un environnement imprévisible, où l’être humain est amené à agir par instinct, et cela même si c’est contraire à ses valeurs. Le cinéaste, toujours accompagné à l’écriture par Emil Nygaard Albertsen, nous livre alors à un dangereux et imprudent jeu de provocation de la part de la gardienne vis-à-vis de Mikkel, condamné à 16 ans de prison, lui qui va la prendre forcément en grippe, avant qu’elle ne se retrouve prise au piège de sa propre violence, et de ce que le jeune homme a (ré)veillé en elle. À partir de ce moment, "Sons" prendra une tournure plus nuancée et profonde, nous révélant le mal-être de cette femme, la poussant ainsi à agir de la sorte. Pourtant, ce qui se joue ici est bien un drame insoluble face à ce qui a été perdu, un rapport de force impuissant, mais également un face-à-face avec soi-même, où les notions de justice et de frustration sont mises à rude épreuve.
"On ne peut pas tous les sauver. C’est comme ça". Fasciné par les prisons, leur symbolisme et leurs archétypes, Gustav Möller met également ici le doigt sur l’aspect moral de ces lieux de pénitence, d’enfermement, mais également de réinsertion, lequel y remet en question, avec subtilité, le système judiciaire actuel de notre société, où la frontière contradictoire entre punition et pardon est encore bien floue. Pour autant, "Sons" se concentre davantage sur une relation en son sein plutôt qu’une photographie des conditions de détention. D’ailleurs, certaines incertitudes demeurent à l’issue du film, tout comme celle du casier judiciaire ou des antécédents des employés de prison, ou encore des conditions de permissions de sortie, sans parler des facilités d’écriture, la gardienne en question parvenant à tromper son monde de manière trop dupe, en plus d’avoir accès à certaines choses auxquelles elles ne devraient pas... Mais on pardonne, quant à nous, ces manques de précisions, étant donné la maîtrise de ce thriller soutenu, porté par une Sidse Babett Knudsen passionnante et bouleversante, nous faisant parfaitement ressentir les enjeux qui l’oppressent, et nous avec.