Genre : Comédie dramatique
Durée : 108’
Acteurs : Tandin Wangchuk, Deki Lhamo, Pema Zangmo Sherpa...
Synopsis :
2006. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision... et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Cependant, dans une province montagneuse reculée, un moine décide d’organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l’un de ses disciples de trouver un fusil...
La critique de Julien
Il y a deux ans sortait dans nos salles de cinéma le premier film du Bhoutanais Pawo Choyning Dorji, "L’École du Bout du Monde (Lunana : A Yak in the Classroom)", sélectionné parmi les cinq films nominés au titre du meilleur long métrage en langue étrangère à la 94e cérémonie des Oscar. Inspirant et ressourçant, ce film était un voyage spirituel et récit d’apprentissage mutuel, en terres ancestrales, dans lequel un jeune instituteur citadin était envoyé dans la partie la plus reculée du Bhoutan, et cela pour y enseigner, loin de toute mondialisation, et à l’approche de l’hiver himalayen. Depuis, Pawo Choyning Dorji est devenu en décembre 2022 le plus jeune récipiendaire (et le premier cinéaste) de la plus haute distinction civile de l’histoire du Bhoutan (soit l’Ordre royal du Bhoutan, appelé le Druk Thuksey), lequel nous dévoile cette semaine-ci son second effort au titre assez énigmatique, à savoir "Le Moine et le Fusil"...
Ce dernier met alors en scène un simulacre d’élections politiques du pays en vue de son passage de monarchie absolue à celui d’une monarchie constitutionnelle avec un système de gouvernement démocratique ; le Bhoutan étant d’ailleurs le dernier pays au monde à être devenu, en 2008, une démocratie. L’intrigue se déroule alors deux ans plus tôt, alors que ledit pays s’ouvre, en parallèle, à l’arrivée de l’Internet, et de la télévision. Mais face au scepticisme rural, où la religion bouddhiste domine, les autorités politiques auront fort à faire avec la population, elle qui ne connaît rien à la démocratie, aux votes, et tout simplement rien à la politique, et encore moins ses rivalités, quitte à lui apprendre, ce qui risque notamment de désolidariser les familles, et de nuire à l’idée du "bonheur national brut" du pays, substitué par l’ex-roi du Bhoutan Jigme Singye Wangchuck en 1972, afin de mesurer le niveau de bonheur de ses habitants. À l’annonce de cette campagne, un vieux Lama [1] chargera alors un jeune moine de se procurer - pour la prochaine pleine lune - deux armes à feu, en prévision de possibles troubles, tandis qu’un Américain tentera d’acquérir pour un collectionneur un fusil en provenance de la Guerre de Sécession, alors trouvé chez un fermier bhoutanais, et justement tombé entre les mains du moine en question...
Dans "Le Moine et le Fusil", Pawo Choyning Dorji nous montre avec beaucoup d’ironie ce à quoi a dû ressembler son pays lorsque la démocratie fut en passe d’être instaurée en ses terres, leurs habitants devant tout en apprendre, dont le but. Le cinéaste nous montre alors en quoi celle-ci est venue contrer le style de vie pur et d’antan des Bhoutanais ("Pourquoi nous apprendre à être si cruels ? Ce n’est pas ce qu’on est."), tout en fragilisant leurs valeurs, mais en vue de s’ouvrir au reste du monde, et à la modernité, malgré ses effets pervers, et sa violence. Satirique et décalé dans l’apprentissage qu’il nous montre de la démocratie par ses habitants, et cela via des missionnaires envoyés par le gouvernement, son film se révèle également très ironique, et même touchant dans la réponse vis-à-vis de celle-ci de la société bhoutanaise, soit des ruraux, des familles, mais également ici d’un Lama, bien décidé à faire usage d’armes à feu pour "remettre les choses en ordre". Mais que donc prépare-t-il ?
Autant dire que "Le Moine et le Fusil" ne ressemble à aucun autre film, au travers duquel son jeune cinéaste nous partage la fin d’une certaine innocence, mais surtout de l’amour qu’il porte pour son pays, plein de sérénité et de spiritualité, où le temps semble à l’arrêt, lequel, en 2006, découvrait tout juste James Bond. Et cette fiction douce-amère aux allures de faux documentaire nous permet aussi de (re)découvrir la beauté naturelle des paysages montagnards du Bhoutan, avec ses vallées et hauts plateaux, où le climat diffère d’une région à l’autre. Dommage finalement que le rythme lent et méditatif du film peine à nous faire pleinement voyager et profiter de ce récit pittoresque et de ses ruptures de ton, au sein d’un pays dans lequel on aimerait bien l’envie de poser nos valises, lequel privilégie ainsi le bonheur de ses habitants au produit national brut...