Genre : Comédie dramatique, romance
Durée : 83’
Acteurs : Olivier Gourmet, Dave Johns, Brigitte Poupart, Vanessa Van Durme, Zidani...
Synopsis :
Henri et Thom vivent ensemble à Bruxelles et filent le parfait amour depuis 35 ans, enfin en apparence. Depuis qu’Henri a pris sa retraite de policier, rien ne va plus. Ses journées sont fades et interminables, ses sentiments s’estompent et leur maison est devenue un vrai champ de bataille. Toujours amoureux, Thom est prêt à tout pour raviver la flamme et sauver leur couple, quitte à demander lui-même le divorce…
La critique de Julien
Ce n’est pas la première fois que le cinéaste belge David Lambert met en scène une histoire d’amour ouvertement gay, lui à qui l’on doit notamment les films "Entre les Murs" (2012) et "Je suis à Toi" (2014). Mais s’il est question majoritairement dans ses films de relation amoureuse queer, ces derniers parlent avant tout d’amour, dans toute son universalité. Et c’est d’autant plus vrai dans son dernier métrage, "Les Tortues", mettant en scène un couple d’hommes âgés, formé par Olivier Gourmet et le Britannique Dave Johns, lequel a dû apprendre le français pour son rôle. Il y est alors question d’Henri, un commissaire bourru, et Thom, un expatrié anglais devenu brocanteur, et ex-reine de la nuit, lesquels sont mariés depuis 15 ans, et sont ensemble depuis 35 ans, soit depuis qu’ils ont dansé sur le titre "Haut les Mains"/"Hands Up (Give Me Your Heart)" d’Ottawa (1980, 1981), après qu’un ami commun les ait présentés l’un à l’autre. Mais alors qu’ils vivaient plutôt heureux dans l’appartement que ce dernier leur a légué avec ses deux tortues il y a des années, sonnera l’heure de la retraite pour Henri. Alors que Thom n’a jamais dû travailler, et a tout sacrifié de sa vie passée pour (la carrière de) son époux, Henri ressentira la désagréable sensation d’étouffer, de faire du surplace, avec des journées longues et ennuyeuses, quitte à ne plus faire attention à Thom. Leur relation, en pleine crise, se transformera alors en champ de bataille, où chacun y mettra son petit grain de sel...
Comédie de remariage, "Les Tortues" visent juste dans sa manière de présenter son couple, au bord du gouffre. La mise à la retraite d’Henri sonne alors pour lui le glas d’une nouvelle vie à laquelle il ne s’était pas encore préparé, tandis que Thom, lui, espérait enfin pouvoir réaliser plein d’activité avec son mari. Pourtant, rien de tout cela, puisque le premier l’ignorera, quitte à s’inscrire sur un site de rencontre... Histoire de mettre un peu de piment dans sa vie ? Ou plutôt pour se donner un peu de liberté, face au manque d’espace que l’autre ne lui donne pas, mais sans s’en rendre compte ? Ou pour mieux raviver la flamme ? Car il est bien question de ça dans le film de David Lambert, à savoir de la difficulté de l’amour à surmonter les épreuves, les obstacles, à résister au temps, mais aussi de reconquête amoureuse. Et pour illustrer ce propos déjà maintes fois exploité, David Lambert a eu la bonne idée de s’éloigner de toute la sexualisation des couples homosexuels déjà vus au cinéma, lequel a eu ici l’envie de filmer des corps à l’opposé des standards, à savoir ceux d’hommes d’un certain âge. Et Olivier Gourmet et Dave Johns sont à la fois cocasses et touchants dans la peau de leurs personnages, chacun avec leur peine de cœur et incompréhensions, leurs envies, et leurs difficultés quotidiennes de se dire "je t’aime". D’ailleurs, est-il normal de ne pas dire "je t’aime" à quelqu’un avec lequel on vit depuis plus de 30 ans ? Et si ces deux hommes étaient d’ailleurs restés ensemble pour tenir une promesse commune ? Mais pourquoi dès lors se seraient-ils infligé ça autant d’années ?
Avec sa mise en scène très classique et sans chichis, "Les Tortues" est un film qui porte un regard attendrissant sur ses personnages, vulnérables, tandis qu’il les titille également, et n’a pas peur de les mettre en danger, dans le sens où le film les amène à se faire psychologiquement du mal, à être cruel l’un vers l’autre, à prendre métaphoriquement des baffes, mais pour alors mieux se relever, se rendre compte des choses qui comptent vraiment pour eux, malgré donc les pots cassés. Car une bonne tempête sentimentale vaut parfois mieux qu’une séparation, laquelle peut ainsi permettre de mettre les choses à plat, de repartir du bon pied, ou, au contraire, de mener à une issue irrémédiable. Et si la fin reste d’ailleurs ici ouverte, David Lambert ne laisse guère planer le doute quant au futur de l’histoire d’Henri et Thom, pour lesquels on se prend énormément d’empathie...
Tourné à Bruxelles, où l’on reconnaît d’ailleurs le quartier des Marolles, "Les Tortues" parvient étonnement à amuser autant qu’il touche. Car David Lambert parvient ici à créer un décalage aussi dramatique que comique entre ses protagonistes, lesquels ne se rendent aucunement compte de leurs comportements, amenant parfois le rire, face à leurs chamailleries et coups bas mutuels, au jeu notamment du "qui-sera-le-plus-fort-pour-blesser-l-autre". On pourrait d’ailleurs se reconnaître ici au travers de ces hommes, étant donné leur transparence, et leurs réactions très humaines, ce qui prouve là toute la réussite de la démarche du réalisateur, à savoir parler de l’amour au-delà de l’orientation sexuelle, du temps et de l’espace nécessaires en son sein. Sans être une grande réalisation, et malgré quelques clichés, "Les Tortues" est donc un petit film qui se savoure pour ce qu’il a à nous offrir, sans prétention.