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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Jessica Hausner
Club Zero
Sortie du film le 29 mai 2024
Article mis en ligne le 4 juin 2024

par Julien Brnl

Genre : Drame, thriller

Durée : 110’

Acteurs : Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Amir El-Masry, Mathieu Demy, Elsa Zylberstein...

Synopsis :
L’excentrique Mademoiselle Novak rejoint un lycée privé où elle initie un cours de nutrition avec un concept innovant, bousculant les habitudes alimentaires. Sans qu’elle éveille les soupçons des professeurs et des parents, certains élèves tombent sous son emprise et intègrent le cercle très fermé du mystérieux Club Zéro...

La critique de Julien

Présenté il y a un an en compétition officielle au Festival de Cannes, c’est dans la confidentialité que "Club Zero" de l’Autrichienne Jessica Hausner débarque enfin dans nos salles de cinéma, et cela après son thriller psychologique anxiogène particulièrement réussi "Little Joe" (2019). Et si la réalisatrice et son fidèle collaborateur directeur de la photographie Martin Gschlacht mettent une fois de plus le paquet en matière d’ambiance (couleurs vivent, costumes, etc.), agrémentée par la bande originale sacrée de Markus Binder, à basse de tambour et, semble-t-il, de cithare, "Club Zero" laisse grandement perplexe sur son fond. Il y est alors question d’une professeure de nutrition (Mia Wasikowska) récemment engagée dans un lycée privé et internat d’exception, suite aux avis du conseil des parents. Sauf que la demoiselle, très étrange, va pousser les habitudes alimentaires de cinq élèves jusqu’à leurs pires retranchements, leur jeûne intermittent prenant de trop grandes proportions, au sein d’un engrenage malsain et spirituel, afin qu’ils intègrent le Club Zero...

Comédie ou satire (très) noire, le film de Jessica Hausner s’attaque, en effet, au sujet très sensible de l’anorexie, laquelle est une terrible maladie, très complexe, la réalisatrice y ayant été confrontée plus jeune, notamment par désir d’appartenance à un groupe, par rivalité, ou par "dégoût" en voyant des filles manger à leur faim (bien qu’elle les admirât en cachette). Mais elle le fait ici de manière inconsciente, ou en tout cas sans mesurer l’étendue du problème qu’elle soulève, ni les dangers de le représenter de la sorte. Car on ne peut rigoler de cela, de quelque manière que ce soit. Ladite professeure, au nom d’une divinité symbolisée par un lotus, va ainsi répandre ses idées chez ses élèves, dont celle de "manger consciemment", les invitant donc à se conformer à ses préceptes pour rejoindre ledit club, pour, pêle-mêle, les "purifier", les "sauver", les amener vers "la vie éternelle", et cela en détournant notamment le mécanisme physiologique naturel de l’autophagie (permettant le recyclage cellulaire) ou encore la monodiète (procédure alimentaire pointilleuse qui consiste à ne manger qu’un seul aliment). Par ces biais douteux, ou encore celui des régimes alimentaires actuels en tous genres, Jessica Hausner et la scénariste Géraldine Bajard pointent du doigt la société de consommation et la malnutrition, mais surtout les pouvoirs d’influence, dont ici en milieu scolaire, entre pairs, ou via une figure d’autorité, sectaire ou non.

Liant foi, jeûne et religion avec le contrôle de l’alimentation, lequel favoriserait "l’éveil spirituel", les scénaristes nous montrent également comment des jeunes, embrigadés à leurs dépens, ont ainsi l’impression de se sentir mieux, renforçant soi-disant leur esprit et leur liberté sociale, ce qui leur conférerait ici de meilleures capacités dans leur domaine de prédilection (le piano, la danse, le théâtre, etc.). Pourtant, la perte significative de poids devrait physiquement leur offrir l’effet inverse ! Mais les scénaristes poussent ici leurs idées jusqu’à la provocation, notamment lors d’une scène abjecte où l’une des élèves mangera son propre vomi devant les yeux médusés de ses parents, pour leur faire comprendre l’inutilité et son total désintérêt de se nourrir (ou quelque chose comme ça !). D’ailleurs, il est aussi question ici de l’irresponsabilité parentale, alors que les parents de ces jeunes n’ont pas le temps de s’occuper d’eux, fermant dès lors les yeux sur leurs problèmes, ce qui a justement pour effet de creuser l’écart entre eux, et de rendre d’autant plus leur manipulation facile. Mais qu’on se le dise, aucun parent ne réagirait comme ceux décrits ici dans ce film, c’est-à-dire avec inconscience et confiance aveugle, d’autant plus face aux changements de leurs enfants, sans ne rien faire. Heureusement que le seul parent (Amanda Lawrence) issu d’une classe non aisée va se rendre compte de la supercherie, au contraire d’une maman privilégiée (Elsa Zylberstein), alors particulièrement intriguée par le comportement de sa fille. Mais ça, c’est une autre idée, d’ailleurs assez caricaturale...

Il s’avère dès lors peu soutenable de regarder ce film, long et destructeur, et de voir ainsi ces jeunes tomber dans le piège que leur tend leur professeur, dans cette visée de se "construire des croyances justes", et de se "sentir mieux en mangeant moins". Car la question n’est finalement pas de manger moins, et encore moins de ne plus manger, mais bien de manger mieux ! Extrêmement froid et poussif, "Club Zero" détonne alors au lieu de viser juste, et de dire quelque chose de vraiment intéressant, et d’utile, sur la maladie qu’il présente. On a plutôt l’impression de regarder une vitrine, de prime abord irréaliste, et de surcroît perverse et voyeuriste des conséquences mentales et physiques, et d’autant plus sociales, de la maladie. Quant aux allusions religieuses, on ne comprend guère où Jessica Hausner veut en venir, étant donné un final ésotérique, bercé de symboles religieux prétentieux, qui ne mènent à rien, si ce n’est à enfoncer le clou. Bref, "Club Zero" est un film qui fait perdre l’appétit. Et on n’est pas certain que ça devait être là le but premier du métrage...



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