Genre : Drame
Durée : 91’
Acteurs : François Civil, Shaïn Boumedine, Mallory Wanecque, Agnès Hurstel...
Synopsis :
Un jeune professeur est accusé de harcèlement par l’une de ses élèves. Cet événement tourne à l’incendie et embrase le collège tout entier.
La critique de Julien
"Pas de Vagues", c’est le troisième long métrage du réalisateur, acteur et professeur de lettres Teddy Lussi-Modeste, inspiré par son propre vécu, lequel a été accusé à tort de harcèlement par une élève de 13 ans en 2020 dans un collège d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. S’inscrivant dans différents mouvements de contestation créés en 2018 en France (dont par le hashtag "pasdevagues" et le Mouvement des Stylos rouges") pour la défense des intérêts et la dénonciation de la violence que subit au quotidien le personnel de l’éducation, son film se veut dès lors comme un cri envers la transmission, afin de "déconstruire les discours de haine qui traversent notre société", et libérer la parole des professeurs face au sentiment d’abandon de leur hiérarchie. On y suit alors Julien (François Civil), un jeune professeur de lettres quelque peu idéaliste, plein d’ambition, enseignant depuis peu dans un collègue, alors que ses collègues ne savent encore pas grand-chose sur lui. Julien est alors ce professeur qui souhaite ne pas se faire oublier de ses élèves (et plaire ?) ; être celui qui changera une vie, à l’image du professeur qui a changé la sienne. Mais alors qu’il partage sa vie avec un homme (Shaïn Boumedine), et garde cela pour lui, Julien va se retrouver accusé par une élève adolescente (Toscane Duquesne) de la harceler. Tandis qu’il va tenter de prouver son innocence, le jeune homme, sans solide soutien de la part de ses pairs et de son supérieur, va se retrouver entraîné dans une spirale infernale, lui qui va subir, de part et d’autre, de multiples pressions...
Coécrit avec Audrey Diwan ("L’Événement", 2022), "Pas de Vagues" s’inspire donc d’une histoire réelle pour mieux s’éloigner des faits, en poussant pour cela certains curseurs, dont celui du thriller, afin d’embrasser une part de fiction assumée. Ainsi, l’histoire de ce professeur pris au piège et lâché par sa direction, par une institution et une justice débordées fait ici l’effet d’un embrassement, lequel se propage tel un incontrôlable incendie. Mais Julien, le personnage de Civil, n’est pas tout rose dans cette histoire, dans le sens où il se met indirectement dans une position progressiste qui n’engage en rien la volonté des siens de vouloir le suivre, remettant ainsi en cause ses collègues dans leurs discours laxistes à l’égard des élèves, et sa direction, trop occupée à défendre ses propres intérêts. Face au silence de l’école, on se prend pourtant d’empathie pour ce jeune professeur, que François Civil interprète avec beaucoup de complexité, lui qui veut bien faire (et sans doute trop, à lui seul), quitte à essayer donc de retourner le microcosme de son école, alors que pèse sur lui - et à tort - une irréversible et dangereuse accusation de la part d’une élève, remettant dès lors la parole du premier en question, ce qui lui entraînera des menaces, notamment de la part du grand-frère (violent) de l’adolescente soi-disant harcelée (laquelle a peur de son propre frère), des élèves eux-mêmes (certains usent de leur influence sur d’autres pour répandre d’horribles choses sur ledit professeur), ou encore un éventuel blâme...
Teddy Lussi-Modeste pointe alors ici le manque de soutien des directions à l’égard du personnel enseignant, lesquelles redoutent d’émettre des plaintes à l’encontre des parents, de peur pour leur réputation, à l’image ici d’un directeur (Francis Leplay) qui ne souhaite pas faire de vagues de cette situation, lequel, une fois ayant cumulé ses "petits points", espère aller dans un établissement plus prestigieux, ne proposant dès lors même pas à son jeune professeur en manque d’expérience de porter plainte pour menace, lequel ne bénéficiera dès lors pas de la protection fonctionnelle. On y parle également du regard des professeurs chevronnés sur les jeunes enseignants ainsi que du manque de confiance portés à ces derniers (surtout lorsqu’ils sont nouveaux et n’ont pas encore brisé la glace), remettant si facilement en doute leur parole face à celle d’un élève, qui peut pourtant volontairement mal agir, facilement se tromper, et donc mal interpréter les choses. Ainsi, c’est avant tout l’homosexualité dudit enseignant qui jouera dans la balance, face au harcèlement envers cette élève, même si cela envenimera d’autant plus les choses, et le rejet. "Pas de Vagues" nous montre alors les engrenages engendrés par la suspicion et la mauvaise interprétation (d’où la nécessité, par exemple, de conscientiser les jeunes afin de reconnaître des signes avant-coureurs du harcèlement), lesquelles peuvent détruire à tort et à travers les individus, tel que l’avait déjà fait récemment montré le cinéaste allemand Ilker Çatak avec "La Salle des Profs (Das Lehrerzimmer)", et comment la société, pessimiste, confuse et paranoïaque, porte sur la place publique, et sans preuve irréfutable, celui ou celle qui n’agirait pas dans ses lignes de conduite.
La mise en scène étouffante du film ne cesse alors de refléter les émotions vécues à l’époque par son metteur en scène, jusqu’à l’implosion finale. Mais "Pas de Vagues", qui se veut être une fiction, grossit alors le trait avec maladresses, et exagère donc certaines situations. Par exemple, la scène où Julien descend au ralenti les escaliers de l’école autour d’élèves le pointant du doigt et rigolant de lui (après vu une vidéo virale où il danse autour de son compagnon) n’est pas réaliste, et même excessive, laquelle enfonce donc le clou. Et ce ne sera pas la seule, puisque son couple battra également de l’aile, comme si, finalement, son personnage se mettait tout le monde à dos, dont une collègue (Agnès Hurstel) qui pensait déceler chez Julien une attirance réciproque, sans qu’il n’ait pu (avoir le temps de) lui dire qu’il n’était pas attiré par les femmes. Enfin, au même titre qu’Ilker Çatak dans son film précité, Teddy Lussi-Modeste, à l’issue d’une scène finale déclenchant la sonnette d’alarme, laisse libre recours au spectateur de s’imaginer la suite des événements, abandonnant dès lors son personnage au moment où il en avait sans doute le plus besoin, ce qui risque de frustrer. Cependant, "Pas de Vagues" est un film qui amène pertinemment à la discussion, au débat autour des conditions de travail dans un système éducatif de plus en plus démuni, et sur la défensive. Heureusement, une lueur d’espoir demeure, étant donné la vérité - ne fût-ce que partiellement - entendue, et une scène finale endiablée, libératrice et fiévreuse, au son des Benassi Bros avec leur titre "Every Single Day" (2005), et portée par une François Civil une fois de plus exceptionnel...