Genre : Comédie dramatique
Durée : 101’
Acteurs : Olivia Colman, Jessie Buckley, Hugh Skinner, Timothy Spall, Anjana Vasan, Gemma Jones, Eileen Atkins, Joanna Scanlan...
Synopsis :
Littlehampton, 1920. Lorsque Edith Swan commence à recevoir des lettres anonymes truffées d’injures, Rose Gooding, sa voisine irlandaise à l’esprit libre et au langage fleuri, est rapidement accusée des crimes. Toute la petite ville, concernée par cette affaire, s’en mêle. L’officière de police Gladys Moss, rapidement suivie par les femmes de la ville, mène alors sa propre enquête : elles soupçonnent que quelque chose cloche et que Rose pourrait ne pas être la véritable coupable, victime des mœurs abusives de son époque...
La critique de Julien
Angleterre, 1920. C’est dans la petite ville balnéaire de Littlehampton, dans le Sussex, au sortir donc de la Première Guerre mondiale qu’a eu lieu une curieuse affaire, ayant ébranlé ses habitants, mais surtout conduit à une erreur judiciaire, et engendré pas moins de quatre procès criminels (!), avant que le véritable coupable ne soit finalement puni ! Et pour cause, plusieurs de ses citoyens reçurent à répétition des lettres "empoissonnées" pour les moins injurieuses, ce qui passait très mal au sein de cette communauté de la classe ouvrière, très catholique. Mais c’est surtout une certaine Edith Emily Swan (blanchisseuse à son propre compte à domicile) qui a vite eu fait d’accuser sa voisine (de palier) Rose Gooding, avec qui elle était au départ en "de bons termes", avant certaines querelles de voisinage (dénonciation de comportements douteux d’Édith envers Rose, dispute bruyante de couple chez les Gooding, etc.). Et c’est à la réalisatrice anglaise Thea Sharrock ("Avant Toi" et "The One and Only Ivan", sortis respectivement en 2016 et 2020) que l’on doit cette libre adaptation de cette incroyable histoire vraie, intitulée "Scandaleusement Vôtre (Wicked Little Letters)"...
On y suit donc ces deux voisines, jouées respectivement par Olivia Colman (Swan) et Jessie Buckley (Gooding). La première interprète ainsi une locale profondément conservatrice, certains diraient une "vieille fille", alors sans enfant, qui vit toujours avec ses parents ultra catholiques, dont avec un père (Timothy Spall) très sévère, désapprobateur, protégeant de surcroît son dernier "enfant". La seconde y joue une émigrée irlandaise tapageuse et exubérante, qui ne se comporterait pas comme "une dame" devrait se comporter, laquelle vit avec sa fille Nancy (Alisha Weir) et son nouveau compagnon Bill (Malachi Kirby), son mari étant mort au combat. Mais quand Édith et ses parents (avant d’autres concitoyens) commencent à recevoir des lettres méchantes et pleines de grossièretés involontairement hilarantes, Rose, vue d’un mauvais œil par la communauté, sera alors désignée comme la parfaite coupable par Édith, motivée par son propre père. Pourtant, cette dernière ne souhaitait pas "jeter la première pierre", appréciant "son amie", souhaitant d’ailleurs agir comme une missionnaire envers elle, elle pour qui "l’orgueil change les anges en démons". Tandis que commencera une véritable chasse aux sorcières traduisant en justice l’étrangère Rose Gooding, risquant de perdre sa fille, certaines femmes de la ville, dont l’ambitieuse policière Gladys Moss (Anjana Vasan), commenceront à enquêter elles-mêmes sur le crime, persuadées que quelque chose ne tourne pas rond dans cette affaire... Car pourquoi Rose irait-elle écrire tout ça si elle peut le faire oralement ?
D’emblée, le plus gros atout de "Scandaleusement Vôtre", c’est son casting, lequel s’en donne à cœur joie dans cette joute inventive et irrésistible d’insultes et de surprenants jurons, à une époque où l’alphabétisation universelle n’était pas encore une formalité, tandis que la confrontation entre ce langage et le conservatisme religieux d’époque fait ici des étincelles. Jessie Buclkey porte avec énormément de bagou le rôle de Rose Gooding, pointée - à tort - du doigt, car ne rentrant pas dans les carcans. On adore alors la spontanéité, la dégaine et le vocabulaire hors convention de son personnage en tant que femme libre, qu’elle incarne ici avec autant d’assurance que de sensibilité, notamment lorsqu’elle se retrouve confrontée à la manipulation de l’élite, ou lorsqu’elle risquera de perdre la garde de sa fille. Jessie Buckley fait partie de ces actrices qu’on ne peut s’empêcher de surveiller de près, et ne faisant aucun faux pas. Vivement déjà son prochain rôle ! Récompensée de l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de la reine Anne dans le film biographique "La Favorite" de Yórgos Lánthimos et notamment connue pour son rôle de la reine Élisabeth II dans la série "The Crown" (2019-2023), Olivia Colman est quant à elle absolument parfaite dans le costume corseté d’une femme, écrasée par sa position de femme - ou plutôt de fille - sous le patriarcat. Si l’on se prend en effet d’empathie pour le personnage de Jessie Buckley, c’est d’autant plus le cas pour celui de Colman, sortant des sentiers battus, laquelle est, au-delà des apparences, la seconde victime de cette histoire, et en l’occurrence ici des mœurs de son époque. Jusqu’à la scène finale, jouissive, et d’une ironie fantastiquement dramatique, son personnage se révèle petit à petit, et parvient ainsi à sortir de ses gonds... L’actrice et auteure-compositrice singapourienne basée à Londres Anjana Vasan vient alors compléter ce trio de femme au fort caractère, ici sous les traits d’une policière féminine, n’ayant alors le droit par sa profession d’avoir d’enfant ni de mari, et faisant face à ses supérieurs machistes dans cette affaire, laquelle ne restera donc pas à la place qu’on lui a attribuée, en tentant d’innocenter Rose Gooding...
Dommage finalement que "Scandaleusement Vôtre" prenne d’aussi grosses libertés quant à la réalité, pour coller notamment à notre siècle ; le personnage d’Anjana Vasan n’ayant, par exemple, jamais existé. La réalisation de Thea Sharrock ne brille pas non plus par l’exécution de sa mise en scène, assez standard en matière de film d’époque, tandis que ses décors extérieurs, plutôt limités, offrent une reconstitution moins convaincante à la lumière du jour que celle, éclairée, des intérieurs. Qu’importe, cette comédie vaut son pesant d’or, ne fût-ce que pour ses dialogues savoureusement vulgaires, ses - inversement - subtils mots (!) envers l’hypocrisie et la mainmise du patriarcat, ainsi que sur la morale bien-pensante, sans oublier ses actrices, toutes exceptionnelles.
