Genre : Drame
Durée : 97’
Acteurs : Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse, Younès Boucif, Radmila Karabatic, Ana Blagojevic, Grégoire Didelot, Mathieu Perotto...
Synopsis :
Comment la vie de Lydia, sage-femme très investie dans son travail, a-t-elle déraillé ? Est-ce sa rupture amoureuse, la grossesse de sa meilleure amie Salomé, ou la rencontre de Milos, un possible nouvel amour ? Lydia s’enferme dans une spirale de mensonges et leur vie à tous bascule...
La critique de Julien
"Le Ravissement", c’est le premier film d’Iris Kaltenbäck, nominé comme il se doit aux César 2024 du meilleur premier film et de la meilleure actrice pour Hafsia Herzi, laquelle, révélée en 2007 dans "La Graine et le Mulet" d’Abdellatif Kechiche, avait remporté celui du meilleur espoir féminin pour ce dernier. L’espoir s’est donc depuis transformé en consécration pour l’actrice. Quant à la réalisatrice passionnée de droit pénal, il s’agit du premier long métrage, à laquelle l’envie lui est venue "d’aborder les passions qui animent et déchirent les gens par un autre biais que le droit". Iris Kaltenbäck est alors tombée sur un fait divers raconté à l’époque dans les journaux où une jeune femme avait emprunté l’enfant de sa meilleure amie et avait fait croire à un homme qu’elle en était la mère. Alors que le dossier de presse du film nous invite à ne pas en dévoiler les vingt dernières minutes afin de "garder autant que possible le suspense du film impact", "Le Ravissement" s’avère être un riche drame où une jeune sage-femme solitaire, par soif d’être aimée, se retrouvera rapidement submergée par la déraison...
Tandis que son court-métrage "Le Vol des Cigognes" (2015) parlait déjà de la maternité, Iris Kaltenbäck raconte la vie de Lydia (Hafsia Herzi), une maïeuticienne qui vit seule, et s’avère très investie dans son métier. Mais alors que son compagnon vient de la tromper, sa meilleure amie Salomé (Nina Meurisse), elle, lui annoncera être enceinte, lesquelles semblent ainsi "partager une seule dose de bonheur pour deux, tels des vases communicants". Certes heureuse pour elle, mais d’autant plus isolée dans son chagrin, elle rencontrera Milos (Alexis Manenti), un conducteur de bus issu de l’immigration d’ex-Yougoslavie, lequel roule parfois dix heures de jour, et avec qui elle couchera, avant de comprendre qu’il ne "cherche rien de plus", sans grand désir d’avenir amoureux. C’est seulement plusieurs mois plus, à l’hôpital, alors qu’elle se promène avec le bébé de son amie afin qu’elle se repose un peu, que Lydia retrouvera Milos, dans un ascenseur, venu quant à lui rendre visite à son père souffrant. Qu’il ait indirectement provoqué sa réponse ou non, celui-ci lui demandera s’il s’agit d’une fille, ce à quoi elle répondra par l’affirmative. Ce mensonge irraisonnable marquera alors le début de longue spirale infernale et inéluctable d’une quête du ravissement d’être aimé, qui à travestir la réalité, dès lors fantasmée aux yeux d’autrui, afin de l’être soi-même...
Au travers de son anti-héroïne et de ses personnages secondaires, Iris Kaltenbäck nous parle tout d’abord du rapport de la femme à la maternité, mais également entre ami.e.s. Le réalisatrice et scénariste met dès lors en scène l’épreuve physique qu’est l’accouchement, avec la question du premier regard posé par une mère sur son enfant ; le ravissement. Pourtant, la maternité peut parfois s’avérer compliquée pour une mère, comme c’est le cas pour Salomé, l’amie de Lydia, qui ne vit pas son rôle de mère avec bonheur, car rapidement confrontée à une violente solitude du post-partum, quitte à confier en toute confiance son enfant à sa meilleure dès qu’elle lui demande. Le film nous montre aussi comment l’arrivée d’un enfant peut enliser sournoisement une amitié, laissant par exemple ici place à des faux-semblants calfeutrant un mal-être, de part de Lydia, quitte à se projeter un peu trop dans le rôle de mère pour ledit bébé, de là à le faire naître elle-même, de "la mettre au monde" sans aide, malgré les risques. Outre la solitude première de Lydia, c’est donc une histoire de maternité contrariée, et de surcroît déplacée dont il est question ici. Pour illustrer dès lors ses propos, Iris Kaltenbäck a filmé ici le métier de sage-femme sous la forme d’un documentaire, où l’actrice Hafsia Herzi s’occupait elle-même des mamans, établissant un lien étroit avec ces dernières, tout en leur administrant les soins possibles, bien évidemment supervisés par une véritable sage-femme. "Le Ravissement" laisse dès lors voir de réels accouchements, sans recours au discours, mais plutôt à la puissance de cet instant donnant son nom au titre du film.
Question de mise en scène, "Le Ravissement" est raconté ici par la voix-off du personnage d’Alexis Manenti, ayant besoin de "retracer cette histoire du point de vue de Lydia, dans l’espoir de reconstituer son vrai visage", et s’interrogeant dès lors sur le point de basculement, les événements et sur la personnalité confuse de Lydia, ainsi que sur sa propre culpabilité dans l’histoire ou, en tout cas, sur son aveuglement. Il sera alors question d’un mensonge dans lequel une brillante et intelligente femme va s’enliser, dépassée par l’attention intéressée que lui portera un homme au moment il la verra comme une mère. De ce nouveau regard naîtra ainsi un rapport de séduction aussi passionné que destructeur, car à l’effet boule-de-neige sans fin, mais qui, dans son inconscience, fera pourtant naître une sincérité dans leur relation. Car Lydia ne sera jamais sentie aussi accomplie et désirée par un homme, lequel deviendra à son tour une victime dudit mensonge, sans que Lydia ne puisse (encore) aucunement mesurer les conséquences de ses actes...
Le spectateur se retrouve dès lors happé par cette histoire humaine terriblement compréhensive, et pourtant tellement répréhensive dans ce qu’elle nous montre d’une femme à la dérive, par mal d’amour. Hafsia Herzi y est alors troublante, ambiguë, nous mettant aussitôt dans une position inconfortable, sans qu’on ne puisse être capable de juger sur toute la ligne les agissements de son personnage, quitte même à se mettre à sa place, à nous y identifier, malgré sa retenue, et la distance qu’elle garde avec autrui. La réalisation d’Iris Kaltenbäck, elle, parle d’elle-même, et traite avec subtilité et interrogation du poids du silence sur l’amitié, la maternité, la solitude, et des réactions humaines irraisonnables qui peuvent en découler.