Synopsis : Au seuil de la mort, Philippe Rondeux et Manu de Coster s’engagent chacun à leur façon dans un combat pour une mort digne malgré les affres de la maladie. Ce qui effraie, ce n’est pas la mort, c’est mourir. Comment, où, avec qui, dans quelles conditions ? Comment s’en aller « en paix ›› ?
Autant de questions auxquelles les deux protagonistes cherchent et parfois trouvent des réponses, deux personnes qui deviennent acteurs de leur mort. Manu de Coster a fait le choix de l’euthanasie. Accompagné par ses proches, le corps médical, et même le prêtre Gabriel Ringlet, compagnon spirituel de ce dernier voyage, on le suit, auprès de sa femme, puis de sa famille jusque dans ses derniers instants, derniers questionnements inclus. Philippe Rondeux lui est aux prises avec sa croyance et son Dieu. Alors que la maladie progresse inexorablement, l’idée de l’euthanasie lui semble de moins en moins hérétique.
Mais malgré le soutien de ses enfants, le poids de la tradition et le manque d’adhésion du corps médical à son projet l’entrainent presque malgré lui vers une fin de vie qui n’est pas celle qu’il aurait voulu choisir.
Avec Vivre sa mort, Manu Bonmariage accompagne deux hommes qui ont décidé de ne pas subir leur mort qui après des mois de lutte contre la maladie, tentent une ultime fois d’être acteur de leur propre vie, et de reprendre le contrôle de leur corps.
La mort "ob-scène" ?
Si vous êtes rebelle aux émissions Strip-tease et à Manu Bonmariage, il est fort à parier que vous aurez la même allergie à la vision de ce documentaire. On reconnaît la patte et le savoir-faire du réalisateur qui met ici en scène "l’ob-scène", littéralement ce qui ne doit pas être vu, ce qui est sous la scène, caché, que l’on ne montre pas (ou plus, voir ci-après), en l’occurence : la mort.
La mort aseptisée ?
Quand j’étais petit - mais c’était à la campagne - la mort était "naturelle". On ne la cachait pas. Elle se "vivait" à la maison. Je me souviens, j’avais 10 ans environ : ma mère nous avait dit, suite à la mort d’un voisin, c’était en été : "dépêchons-nous d’aller voir Odilon, car il commence à gonfler !". En fait, le monsieur était déjà gros de son vivant - maman disait d’ailleurs "le gros Odilon" - mais je n’ai pas voulu placer l’expression dans la phrase au vu du verbe qui suivait et qui disait, dans toute sa composante naturelle ce que la mort faisait de nous.
Aujourd’hui, la mort est aseptisée et on évite de laisser les corps à la maison et, en tout cas, on tente de faire en sorte que la vision - s’il y a - soit la moins pénible et réservée, finalement, aux plus proches.
La mort annoncée ?
Ici (voir le synopsis en début d’article) Manu Bonmariage nous fait la chronique d’une mort annoncée ou plutôt de deux. Il s’agit d’accompagner dans leurs derniers mois de vie deux hommes, la soixantaine environ, atteints de maladies incurables et qui vont envisager - ou pas - le recours à l’euthanasie. Nous découvrirons aussi le Père Gabriel Ringlet dont on connait le franc-parler et qui ne laisse pas indifférents certains catholiques (les uns le défendant avec beaucoup d’ardeur, d’autre le condamnant tout autant sur ce point).
Si le film a certaines caractéristiques des documentaires Strip-tease, plusieurs journalistes ont eu l’impression que la dernière partie de Vivre sa mort jouait trop sur la corde de l’émotion. Pour quelques-uns, elle était peut-être nécessaire...
La mort exhibée ?
Il y a bien sûr un problème lié au tournage de tels documentaires. Outre qu’il faut préparer le film, prévoir une mise en scène sans storyboard et tout en connaissant la fin - propre à notre humanité - ne sachant quand le mot "fin" s’inscrirait dans le chair des deux personnes qui ont donné leur corps, non pas à la science ou à la médecine mais au cinéma, à nous spectateurs. Il y a donc une double facette inévitable dans ce documentaire : il est à la fois exhibitionniste et voyeuriste. On donne à voir. Des corps qui vont souffrir et mourir vont devoir être montrés, exhibés - à corps défendant - dans la souffrance et la déchéance qui approche, inéluctable. Mais cela implique aussi que les divers intervenants, protagonistes "jouent" d’une certaine façon un "jeu" - inévitable - devant la caméra. Les mots, la gestuelle, les expressions portent toujours le risque d’un excédent, d’un trop (plein), exprimé, même involontairement, par ceux que la caméra observe pour nous, spectateurs qui - sans être voyeur (cf. Peeping Tom de Michael Powell) - assistons à ce qui devrait être de l’ordre de l’intime, de l’intimité.
La mort demandée ?
Je pointe ces éléments non pour remettre en cause le projet qui vise aussi à informer, à porter sens, à probablement être défenseur d’une cause. Car si le documentaire est d’une neutralité (j’ajouterais : bienveillante) il invite, il oblige à penser sa propre fin de vie. La présence du Père Ringlet, la mort de l’un - sans euthanasie - le soir de la Vigile pascale ajoutent un involontaire surcroit de sens qui interpellera certainement le spectateur croyant. Celui-ci se rendra compte que face à l’euthanasie, les choses ne sont pas simples, en noir et blanc. Il ne s’agit pas d’un côté d’une doctrine à défendre à tout prix et de l’autre la seule compassion qui s’opposeraient l’une à l’autre mais d’un itinéraire de vie - et de mort - qui s’offre à chaque humain.
- Lien vers une interview de Manu Bonmariage
- Lien vers une autre interview de Manu Bonmariage par Michel Decoux-Derijcke où l’on découvrira que le réalisateur préfère pour ce film, l’expression "cinéma direct" à documentaire.