Genre : Drame
Durée : 108’
Acteurs : Selma Alaoui, Veerle Baetens, Guillaume Duhesme, Anne Dorval, Adèle Wismes, Erico Salamone, Astrid Whettnall...
Synopsis :
Une nuit, une femme en danger appelle la police. Anna prend l’appel. Un homme est arrêté. Les semaines passent, la justice cherche des preuves. Aly, Anna et Dary font face aux échos de cette nuit qu’ils ne parviennent pas à quitter.
La critique de Julien
C’est en 2020 que le troisième court-métrage "Une Sœur" de la belgo-canadienne Delphine Girard sortait, lequel avait eu la chance de concourir à l’Oscar du meilleur court-métrage la même année. La cinéaste nous immergeait alors dans une voiture, de nuit, dos à ses protagonistes. Une passagère, Ali (Selma Alaoui), sous prétexte d’appeler sa sœur pour joindre sa fille, joignait alors par téléphone une opératrice téléphonique de la police (Veerle Baetens), car se sentant en danger avec son conducteur, Dary (Guillaume Duhesme), lequel allait être arrêté. Après avoir fait le tour du monde et rencontré son public, cette histoire allait pourtant encore hanter sa réalisatrice et scénariste, laquelle s’est dès lors intéressée à l’après, et à ce qui pourrait arriver à ses personnages, à ce qui pourrait leur permettre de quitter cette nuit, d’où le passage aujourd’hui au long, tandis que ledit court-métrage fait ici office de prélude à l’intrigue de ce premier film.
Inspiré d’une histoire vraie, c’est la veille de tournage "d’Une Sœur" que Delphine Girard a appris que la jeune femme de la voiture ne s’était pas rendue au procès de son bourreau, ce qui a fortement déstabilisé la metteure en scène. C’est cette situation qui a ainsi poussé la cinéaste à s’intéresser aux trois fils rouges narratifs de cette histoire, soit à ses personnages, en fabriquant ainsi un récit avec trois points de vue différents, et trois manières de les accompagner par rapport aux événements vécus. Il y a d’une part Aly, la victime, laquelle va cherchera ici des réponses dans la justice, en quête d’une hypothétique réparation. Face à elle, Dary va, lui, essayer de comprendre pourquoi il a agi, pourquoi il a violé Anna. Enfin, en tant que seul témoin, Anna, ayant le pressentiment de vouloir continuer à faire partie de cette histoire, va accompagner Aly au-delà du devoir institutionnel.
Au travers de son film, Delphine Girard nous montre ici la sororité et l’entraide entre femmes comme porte de sortie à cette nuit, fatidique, et à ses conséquences, quelque peu irréversibles. Mais la réalisatrice nous parle surtout ici de la complexité humaine, de son ambiguïté, de son incapacité à expliquer pourquoi elle mal agie, ou n’agit pas. En témoigne d’une part ici la position de celui qui deviendra l’antagoniste, joué par le charismatique Guillaume Duhesme, qui se questionne sans trouver de réponses quant à ses actes et la violence qu’il avait déniée jusque-là (sa mère - Anne Dorval - en plein déni maternel n’aidant pas), et d’autre part celle d’Aly, déboussolée, laquelle ne trouvera pas en la justice le réconfort et le soutien qu’elle espérait en recevoir, laquelle doit pourtant survivre à son viol. Delphine Girard interroge d’ailleurs le rôle de la justice, qui cherche systématique à incriminer les victimes, à les pousser à devoir se justifier (étant donné d’autant plus ici le manque de preuves tangibles), à leur refaire revivre une seconde fois l’horreur, en leur redemandant d’être une nouvelle fois la victime et dictant quelque part leur conduite, remettant en question leurs paroles... Ayant à cœur de ne pas montrer ledit viol, mais bien le moment de basculement, de dérapage, la cinéaste évacue pourtant aussitôt les doutes, et nous montre ainsi les failles et zones grises d’un système judiciaire confus, et décourageant...
"Quitter la Nuit" est un drame qui songe l’esprit quant à l’après d’un viol, ou d’un quelconque acte de violence à l’encontre ici des femmes. Mais que fait-on avec cela ? Comment s’en sort-on ? Comment la femme peut-elle faire pour ne pas se sentir jugée, rabaissée ni humiliée lorsqu’elle trouve pourtant le courage de témoigner contre leurs bourreaux, et de faire face à la véracité contestée de son témoignage ? Mais qu’auraient-elles à gagner de mentir ? Qu’auraient-elles à gagner de valorisant ? Telles sont les questions que soulèvent avec beaucoup de recul, d’humilité et de documentation Delphine Girad, bien aidée par ses acteurs tétanisant d’authenticité dans leurs rôles jamais tout blancs ou tout noirs, et des dialogues d’une précision chirurgicale. Dommage cependant que son film manque terriblement d’entrain, de rythme, au-delà de son premier quart d’heure sous tension.