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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Sofia Coppola
Priscilla
Sortie du film le 03 janvier 2024
Article mis en ligne le 27 février 2024

par Julien Brnl

Genre : Drame, biopic

Durée : 113’

Acteurs : Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Dagmara Dominczyk, Ari Cohen, Dan Beirne...

Synopsis :
Priscilla a 14 ans lorsqu’elle rencontre Elvis, 24 ans, sur une base militaire en Allemagne. Celui qui est déjà une star internationale du rock’n’roll et la jeune collégienne tombent follement amoureux. Mais leurs vies sont trop éloignées pour envisager un avenir commun. Jusqu’à ce qu’Elvis invite Priscilla à Graceland, sa luxueuse propriété. De leur idylle secrète à leur mariage iconique, Sofia Coppola dresse le portrait de Priscilla, une adolescente effacée vivant un conte de fées dont elle se réveillera lentement pour prendre sa vie en mains.

La critique de Julien

Après "Elvis" de Baz Lurhmann, place à "Priscilla" de Sofia Coppola, dont nous écrivons sur le tard, lequel est basé sur les mémoires "Elvis et moi" que Priscilla Presley a écrites en 1985, tandis qu’elle est ici la coproductrice exécutive du métrage, et dans lequel elle est interprétée par la révélation Cailee Spaeny (bien qu’on l’ait déjà vue dans plusieurs seconds rôles au cinéma), ayant d’ailleurs remporté la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise 2023. Fascinée par lesdites mémoires, la réalisatrice a ainsi souhaité mettre en scène le point de vue de l’épouse d’Elvis sur leur rencontre, leur vie de couple compliquée, ainsi que son passage à l’âge adulte (de 15 à 27 ans), laquelle a grandi en tant qu’adolescente à Graceland, dans un monde si amplifié ; dans une cage dorée...

Alors que la fille du King, Lisa Marie Presley, décédée en janvier 2023, avait critiqué la vision réductrice que nous montre ici Sofia Coppola de son père, "Priscilla" débute comme un conte de fées, soit en 1959, alors que Priscilla Beaulieu, 14 ans, réside avec ses parents en Allemagne de l’Ouest, où son père est en poste dans l’armée américaine. C’est lors d’une fête qu’elle rencontrera le célèbre chanteur Elvis Presley, dix ans son aîné, alors enrôlé dans l’armée au sommet de sa gloire. Entre eux deux, ce sera le coup de foudre, Elvis faisant preuve d’une extrême sensibilité et de tact face à la demoiselle, étant donné notamment leur différence d’âge, ce qui aura de quoi inquiéter les parents de Priscilla. Pourtant, ce n’est que trois ans plus tard qu’Elvis invitera Priscilla à Graceland, où elle rencontrera son (sévère) père, sa grand-mère bien-aimée et tout son entourage. Elvis et Priscilla se rendront notamment à Las Vegas, histoire de fêter leurs retrouvailles et de sceller leurs sentiments. C’est notamment là que la petite se livra pour la première fois à l’abus de médicaments sur ordonnance, avec Elvis. Échevelée et terriblement déçue de devoir retourner en Allemagne pour terminer sa scolarité après avoir goûté à la vie idyllique que semble-lui offrir les bras d’Elvis, Priscilla parviendra, avec l’aide de ce dernier, à convaincre ses parents de la laisser emménager à Graceland, mais à la seule condition qu’elle termine sa dernière année de lycée à Memphis. Mais la vie contrôlée et latente sur place sera nettement moins glamour que les intenses instants frivoles passés à Memphis avec Elvis entre ses longs voyages à Los Angeles pour ses tournages, alors que la presse, elle, parle de prétendues infidélités du chanteur...

Tandis qu’elle n’a pas obtenu les droits pour utiliser la musique du King dans son film, Sofia Coppola dépeint ici une étonnante vision du chanteur, et en l’occurrence peu flatteuse. Mais quel est dès lors le but de ce métrage, pourtant coproduit par Priscilla Presley elle-même ? Car certes, le scénario est basé ici sur ses propres mémoires, mais à quel prix ? Car Jacob Elordi campe ici un manipulateur impulsif, dont les principes prévalent sur tout le reste, lequel va dès lors compartimenter l’apparence de sa dulcinée, la façonner à son image, la faire "mûrir". De plus, ce dernier ne semble pas vouloir lui faire l’amour, la jugeant sans doute "trop jeune", elle qui n’aura pourtant de cesse de se faire désirer aux yeux de celui qu’elle aime, et qu’elle attendra patiemment à longueur de temps Graceland, pendant qu’Elvis, lui, couchera avec d’autres femmes... Pour ne pas le défendre, on sent ici Elvis comme victime de sa vie, tourmentée par le décès de sa mère Gladys et bien plus tôt par celui de son frère jumeau, Jesse Garon, décédé 35 minutes après avoir vu le jour, lequel a dès lors toujours vécu avec la sensation d’être un imposteur. Protégé toute sa vie, et sans doute un peu trop, Elvis a, semble-t-il, cherché à vouloir reprendre le contrôle de sa vie, et celle des autres, dont de femmes beaucoup plus jeunes (par peur de ne pas être à la hauteur avec celles de son âge), dont Priscilla. De la fascination aux moqueries qu’elle subira au lycée catholique de Memphis, de l’isolement maladif dans lequel elle se retrouvera, jusqu’aux menaces d’Elvis qui voulait "juste gagner" et la soumettre à sa "philosophie", "Priscilla" nous parle donc de la désillusion d’une femme qui n’a encore jamais eu la chance d’avoir une vie à soi depuis l’emprise amoureuse dans laquelle elle est tombée très tôt...

Si le portrait est interpellant et nous montre une facette méconnue de l’artiste tant adulé, dommage que Sofia Coppola nous raconte ce point de vue sur ses abus et excès sur un ton de mise en scène totalement désincarnée, pourtant portée par le jeu intelligemment timide et réflexif de Cailee Spaeny, grandissant à vue d’œil face devant nos yeux. Car on sent ici Priscilla ouvrir les yeux à mesure de ses déconvenues, dans le monde de glamour et de façade dans lequel elle s’est retrouvée enfermée, depuis les coulisses, sans s’imaginer une seule seconde ce qui l’attendait. L’esthétique du film, inspiré de la série de photos "Graceland" (1984) réalisée par William Eggleston, appuie alors encore un peu plus le sentiment d’ennuyante déambulation cadenassée de Priscilla Presley à Graceland, tandis que Jacob Elordi, beaucoup trop grand et élancé pour le rôle, est sans cesse filmé la tête baissée ou de profil, étant donné une ressemblance poussive avec l’artiste...



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