Synopsis : Ils ignoraient qu’au Rwanda être né Tutsi était un crime. Les vies de Fiacre, Fidéline et Olivier, 4, 5 et 9 ans, se sont arrêtées en 1994. Aux derniers jours de ces enfants se mêlent trois temps : la mémoire du génocide, les procès Gacaca de 2005 et la résilience du village où ceux qui ont exterminé et ceux qui ont aimé reprennent une vie commune. Le film tente d’approcher une vérité, de restaurer leur existence et l’histoire d’une colline pour toutes les collines.
Points particuliers :
- Prix du public docus FIFF Namur
- Prix de la presse FIFF Namur
- Sélectionné dans la catégorie meilleur documentaire aux Magritte 2024
- Scénariste et réalisateur belge, Bernard Bellefroid signe en 2003 le documentaire “Rwanda, les collines parlent”, produit par les frères Dardenne. Film qui a obtenu le Grand Prix au Festival Vues d’Afrique, le Bayard d’Or au FIFF Namur et le Grand Prix du Documentaire au Docville de Leuven.
Peut-on dire d’un panorama magnifique que sa vision se transforme presque en portrait de Dorian Gray rien qu’au son d’une voix appelant à tuer ?
Contempler la beauté d’un paysage et entendre l’horreur qu’elle abrite : c’est la première scène, glaçante, de ce documentaire.
Alors que les couleurs chatoyantes de champs défilent à l’écran, est diffusé un extrait de la Radio des Milles Collines - la radio qui encourageait ses auditeurs à “travailler”, comprenez “tuer” - datant du 19 juin 1994 : “Le Rwanda appartient à ceux qui le défendent vraiment, et vous les cafards, vous n’êtes rien”.
“Cafards”, c’est le terme utilisé par les extrémistes hutu pour désigner les Tutsi.
Bernard Bellefroid part sur les traces de quelques-uns de ces “Inyenzi” (“cafards” en kinyarwanda) pour leur rendre hommage, à défaut de pouvoir leur rendre justice.
Fiacre, Fidéline et Olivier avaient 4, 5 et 9 ans. Ils habitaient le village de Mushirarungu, dans la province de Butare. Ils étaient les enfants de Christiane et Fidèle.
Aucun monument funéraire, pas de photos, les enfants ont été effacés de l’Histoire. Comment, dès lors, retrouver leurs traits ?
En les dessinant, grâce aux témoignages de celles et ceux - Marguerite, la nounou, Emmanuel son fils, Sarah, la voisine… - qui les ont connus, et aimés, c’est important de le rappeler.
Après cette incursion dans les souvenirs, place à la justice.
Mais comment la rendre, quand après 1994, 1 million de personnes, devant répondre de crimes de génocide, sont en prison ?
Par le biais, 10 ans plus tard, des “gacaca”.
Le principe même de la constitution de ces tribunaux communautaires villageois, pose question : même si les juges élus sont des personnes qui n’ont pas participé au génocide, comment garantir leur impartialité étant donné leurs liens familiaux - de près ou de loin - avec la plupart des génocidaires ?
Tous sont amenés à juger famille et amis !
En échange d’aveux sincères, ce sont eux qui décident de la réduction de la peine. Et à part les condamnés eux-mêmes, personne ne semble satisfait de ces tribunaux.
Chez les génocidaires condamnés, prompts à se dédouaner, la stratégie est simple : accuser un génocidaire très enthousiaste est la solution parfaite, et Rekeharo - qui surnommait son gourdin cranté de clous “ Pas de pitié pour l’ennemi” - devient le coupable idéal.
Mais ne reconnaîtront-ils jamais qu’ils le sont, tous, coupables ?
Gasimba, qui chasse les enfants réfugiés chez lui, Israël, le maire, ami de leurs parents qui les trahit et se justifie par un “j’ai reçu des ordres, et tuer était devenu une routine”, Obede qui se demande en souriant comment il aurait pu s’opposer à cet Etat qui assassinait”....
Il faut vraiment saluer le travail de longue haleine, l’enquête rigoureuse et minutieuse de Bernard Bellefroid, qui a retrouvé tous les témoins jusqu’aux plus directs de la mort des enfants.
Mais ce qui me dérange dans ce documentaire, c’est que l’humilité et la sincère empathie du commentaire s’opposent à la théâtralité de certaines images et des témoignages, notamment des génocidaires condamnés et des témoins directs des meurtres.
Pourquoi, par exemple, filmer des enfants s’endormant dans les herbes ou le creux des arbres pour représenter Fidéline, Fiacre et Olivier ?
Ce mélange d’images d’enfants bien vivants pour illustrer des enfants assassinés, me met mal à l’aise (sauf quand il s’agit du bouleversant et puissant “Les filles d’Olfa” réalisé par Kaouther Ben Hania : le postulat de départ est que les filles aînées disparues sont jouées par des comédiennes)
Si je mets un bémol sur quelques images, il faut absolument saluer la force du documentaire de Bernard Bellefroid, qui montre à quel point la double peine est pour les survivants : eux restent hantés par les morts, tandis que les génocidaires, pour la plupart, s’enferment dans la lâcheté et le déni. Et tous doivent vivre côte à côte.
Comment pardonner sans oublier ? Cette question ne vous quittera pas après avoir vu ce documentaire.
“Une des mille collines” est aussi très touchant parce que Bernard Bellefroid n’hésite pas à partager ses doutes en se demandant comment il aurait réagi, sur place, à ce moment-là.
Il faut saluer sa volonté courageuse et émouvante de donner un visage à 3 des victimes du génocide (1 million de morts, rappelons-le).
Une démarche essentielle, cruciale, pour rendre ce génocide plus "accessible" au public : ce sont des bien des hommes, des femmes, des enfants qui ont été trahis, pourchassés, torturés, mutilés, assassinés. Pas de "simples" chiffres.
Ce parti pris de tenter de restaurer l’histoire de trois enfants, d’un village, d’une colline, c’est leur rendre leur place, de leur donner une place dans nos souvenirs, et ce faisant, de donner leur place à toutes les victimes.
Une façon de dire “ibuka” (souviens-toi)