Genre : Drame, romance
Durée : 106’
Acteurs : Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro...
Synopsis :
Nora et Hae Sung, deux amis d’enfance inséparables, sont arrachés l’un à l’autre lorsque la famille de Nora émigre de la Corée du Sud vers le Canada. Douze ans plus tard, Nora étudie à New York et internet permet aux deux anciens amis de reprendre contact. Ils espèrent pouvoir se revoir mais la distance finit par les éloigner à nouveau. Après une nouvelle période de douze ans, Nora est désormais mariée lorsqu’elle retrouve enfin son amour de jeunesse. Il est venu lui rendre visite à New York lors d’une semaine décisive.
La critique de Julien
Difficile d’imaginer qu’il s’agit là d’un premier film. Car il est d’autant plus difficile de résister au charme et à la désarmante perfection de "Past Lives - Nos Vies d’Avant" de Celine Song, laquelle est une réalisatrice, dramaturge et scénariste sud-coréenne et canadienne basée aux États-Unis, ayant ainsi immigré au Canada avec ses parents à l’âge de douze ans. Inspiré par un étrange moment de sa vie où elle était dans un bar de l’East Village à New York, assise entre son amour de jeunesse coréen et son mari, la cinéaste met ici en scène une histoire en trois temps, autour de deux êtres profondément liés, mais que la vie a fait prendre des chemins différents. Amis d’enfance, Nora (Greta Lee) et Hae Sung (Teo Yoo) ont, en effet, vu leur existence séparée brusquement du jour au lendemain, après le départ de la première (pour les besoins du métier de son père), sans que leur amour n’ait pu se déclarer - à temps - à eux. Ils se retrouveront alors pour la première fois douze ans plus tard, via les réseaux sociaux, malgré la distance, et une seconde fois, à 36 ans, pour quelques jours, soit le temps d’un séjour new-yorkais de Hae Sung, où ils pourront (enfin) affronter leur histoire et leurs sentiments. D’un souvenir d’enfance à une image, pour enfin aboutir à une présence physique, l’amour peut-il résister au temps, malgré l’éloignement, et ainsi contrer nos destins mutuels fondés ?
Drame intime d’une délicatesse infinie, on a rarement vu une romance impossible aussi belle et justement racontée à l’écran que celle qui est ici narrée. Histoire de rendez-vous manqué et d’adieux à celui ou celle qu’on a pu être "dans une autre vie" (comprenez "dans le passé"), "Past Lives" dresse, entre deux cultures (et donc deux langues), le portrait de deux êtres qui se sont aimés, puis manqués, à défaut de pouvoir s’aimer encore plus. Tout en faisant de leur histoire personnelle et amoureuse respective construite durant les douze dernières années - et donc de leur présent établi - un obstacle à leur idylle imparfaite, Celine Song, avec des "si", réécrit par la force de sublimes dialogues et de l’évocation la vie que ces - désormais - adultes auraient pu avoir, ensemble. On y parle donc de vies antérieures, mais également de connexion humaine, notamment ici par la symbolique du mot coréen inyeon, qui renvoie au puissant lien qui peut unir deux individus, aussi bien familiers qu’étrangers. Se seraient-ils ainsi connus dans une autre vie ? Ainsi, malgré des milliers de kilomètres, Celine Song parvient à maintenir la flamme allumée entre ses deux protagonistes, tout au long de cette vingtaine d’années passées à l’écart.
Aux deux tiers du film, tel un miracle cinématographique, la cinéaste réussit un tour de force, en mettant en scène le moment tant attendu de leurs retrouvailles, avec une alchimie qui dépasse les frontières de nos capacités d’êtres humains à pouvoir cacher nos sentiments les plus primaires, mais aussi les plus naturels, et vrais. Car malgré ces vingt-quatre années, quelque chose se passe toujours entre Nora et Hae Sung, la première étant désormais mariée à Arthur (John Magaro), et le second dans une relation de couple compliquée. On ressent alors la gêne entre les deux protagonistes, on entend leurs cœurs battre fortement dans leur poitrine (et dans la nôtre aussi), on traverse un moment suspendu lors de leurs premières conversations, lesquels ne trouvent pas les mots tellement ils ont finalement de choses à se dire, et à rattraper... En nous partageant ainsi leurs émotions palpables à l’instant t, Celine Song nous touche définitivement en plein cœur. Les deux acteurs principaux apportent également beaucoup à l’authenticité de cette histoire, laquelle est pourtant très écrite, mais à la perfection. Chaque mot trouve ainsi un écho au sein de dialogues au cordeau, lesquels nourrissent cette histoire. De longues séquences épousent alors ainsi ces moments de grâce, d’échanges et d’interrogations d’une justesse désarçonnante quant à leurs situations respectives, et la teneur de leur relation, à eux.
De temps qui passe, de regrets, mais surtout aussi d’amour, fort et vibrant, il est ici question. Ainsi, au travers d’une magnifique discussion sous les draps, le personnage de John Magaro (l’époux de Nora) fera part à son épouse de ses sentiments vis-à-vis de sa position entre elle et son ami proche, enfin retrouvé, lequel a ainsi l’impression d’être le vilain petit canard, les empêchant quelque part de renouer ensemble, ce que contredira rapidement Nora. Car c’est aussi et surtout de ça dont il est question dans "Past Lives", à savoir de chemin croisé, de destin assumé, que rien ne viendra, ne pourra dans ce cas finalement faire basculer. Car la vie qu’on (a) construit est finalement celle qu’on a choisie, et non l’inverse... Et c’est d’autant plus vrai ici pour Nora, mais aussi pour Hae Sung. "Past Lives" est donc bien l’une de ces belles et grandes histoires d’amour, mais dans une autre vie...
Et comme si la splendeur des émotions, des mots mais aussi des silences ne suffisaient pas à Celine Song, celle-ci nous livre également une œuvre visuellement renversante, et très poétique. Tout en ayant tourné le film en 35mm, le directeur de la photographie Shabier Kirchner et la réalisatrice nous offrent une vision absolument irrésistible et très cinégénique de New York. À vrai dire, chaque plan, chaque cadrage a ici son intérêt, ses messages complémentaires à faire passer. Les couleurs bleutées finissent alors par totalement nous émoustiller, tandis que la musique originale harmonieuse et inspirée - faisant la part belle au piano et à l’électro d’ambiance - de Christophe Ours et Daniel Rossen participe à son tour à notre sentiment de bien-être, et de temps en suspens, jusqu’au dénouement, qui nous laisse la gorge serrée. Que dire également de certaines scènes clefs qui nous sont données à revivre à différents moments du récit, mais avec une toute autre vision, interprétation, et profondeur ? Tellement puissant...
Vous l’avez sans doute compris : on pourrait parler et vendre pendant des heures le premier film de Celine Song, alors qu’il fait partie des dix meilleurs films de l’année selon l’American Film Institute, tout en étant, par exemple, le meilleur pour l’influent site Indiewire. "Past Lives - Nos Vies d’Avant" est, quant à nous, notre coup de cœur absolu de cette année. Alors qu’elle y site "Eternal Sunshine of the Spotless Mind" (Michel Gondry, 2004), un autre trésor cinématographique d’amour (in)temporel, la réalisatrice semble bien partie pour remporter quelques Golden Globes (dimanche soir) parmi ses cinq nominations et, on l’espère aussi, quelques Oscar. Quant à la réponse à la question de la possibilité de tomber amoureux à deux reprises, et en même temps, nous avons notre réponse. Car les larmes aux yeux nous viennent rien qu’à repenser au film... Oui, nous sommes littéralement tombés amoureux de ce film...