Genre : Biopic, drame
Durée : 129’
Acteurs : Bradley Cooper, Carey Mulligan, Maya Hawke, Matt Bomer, Sarah Silverman, Jeremy Strong...
Synopsis :
Le récit de l’amour grandiose et téméraire qui unira toute leur vie Leonard Bernstein et Felicia Montealegre Cohn Bernstein. Ode à la vie et à l’art, "Maestro" brosse le portrait émouvant d’une famille avec l’amour pour partition.
La critique express de Julien
Tout comme le dernier David Fincher, "The Killer", sorti il y a quelques semaines, "Maestro", la seconde réalisation de Bradley Cooper, a la chance d’atterrir dans nos salles durant deux petites semaines, avant sa sortie le 20 décembre prochain sur Netflix. Après "A Star is Born" (2018), l’acteur passe ainsi la seconde, avec ce biopic sur Leonard Bernstein, lequel était un compositeur, chef d’orchestre et pianiste américain reconnu, puisqu’il a notamment écrit la partition de la comédie musicale "West Side Story", tandis qu’il fut durant plus d’une décennie le directeur de l’Orchestre philharmonique de New York. Si le film épingle, ici et là, les grandes étapes de sa carrière, c’est surtout de son histoire d’amour passionné, mais de plus en plus distancée, avec son épouse Felicia Montealegre dont il est ici question...
Présenté en compétition officielle à la dernière Mostra de Venise, "Maestro" a été coécrit par Cooper lui-même et Josh Singer, à qui l’on doit notamment le scénario du "First Man" (2018) de Damien Chazelle, "Pentagon Papers" (2018) de Steven Spielberg, ou encore de "Spotlight" (2016) de Tom McCarthy, pour lequel il a d’ailleurs reçu l’Oscar du meilleur scénario original. Autrement dit, le pedigree de "Maestro" a de quoi impressionner. Or, quand on sait que Martin Scorsese et Steven Spielberg étaient initialement pressentis pour réaliser le film (qu’ils coproduisent), plus aucun doute ne subsiste quant au potentiel de ce film biographique. De plus, ce dernier a été réalisé en accord créatif avec les enfants de Bernstein, eux qui ont notamment défendu l’utilisation polémique par Cooper d’un nez prothétique pour coller authentiquement à la peau de leur père (qui était juif), déclarant qu’il "aurait été d’accord avec ça". Les mauvaises langues, voyant là une manière stéréotypée et négative se représenter les Juifs, se sont dès lors très vite tues...
Alors qu’il s’ouvre sur fond noir sur une citation de Bernstein [1], "Maestro" dévoile rapidement son angle de vue, à savoir une interview de l’artiste tiraillé, à près de 70 ans, jouant chez lui une composition de piano devant la caméra, et partageant avec celle-ci des détails sur l’impact significatif que lui a laissé sa femme, avant de réaliser ainsi un bon de plusieurs décennies en arrière. Nommé chef assistant d’Artur Rodziski de l’Orchestre philharmonique de New York, c’est le 14 novembre 1943 que sa carrière a véritable débutée, lequel a remplacé au pied levé, et sans aucune répétition, le chef de l’Orchestre Bruno Walter, ayant attrapé la grippe. Le public et la critique salueront sa prestation, laquelle m’emmènera vers une renommée instantanée. Mais alors qu’il entretenait une relation amoureuse et sexuelle intermittente avec le clarinettiste David Oppenheim (Matt Boomer), il rencontra Felicia Montealegre (Carey Mulligan), une aspirante actrice, de laquelle tombera amoureux, avant de se marier avec elle en 1951, et d’avoir trois enfants. La suite fait état de la success-story du compositeur, de ses contradictions, complexités, de ses abus (cigarette, alcool et substances), et des inquiétudes, des rumeurs grandissantes sur sa bisexualité, et surtout du regard que porte son épouse sur son mari et ses relations extra-conjugales, lequel, philanthrope, était aussi généreux envers autrui que de plus en plus désintéressé des siens...
Bradley Cooper aurait pu être ici de tous les projecteurs, à la gloire de celui qu’il incarne. Mais s’il ne passe évidemment pas à côté de ses talents, l’acteur, réalisateur, scénariste et producteur opte manifestement ici pour un point de vue sentimental, conjugal, au travers de l’histoire intime et pudique d’un couple qui s’est terriblement aimé, et cela jusqu’à leur dernier souffle, sans pour autant jouer la carte de l’authenticité. Car, on ne peut, d’un côté, refouler indéfiniment sa sexualité, et de l’autre se voiler la face, sous prétexte d’aimer. Même s’il n’était pas impossible, l’amour qu’unissait alors Leonard Bernstein et Felicia Montealegre ne pouvait prétendre ainsi à ne suivre qu’une seule route toute tracée. Néanmoins, "Maestro" garde beaucoup d’émotions en lui. Une seule scène de dispute viendra d’ailleurs signer ici le glas dans l’histoire du couple, quelques minutes seulement après le passage de l’image du film du noir et blanc aux couleurs, marquant ainsi une sorte de rupture au sein dudit mariage. C’est dès lors à la fois un reproche et une qualité qu’on pourrait octroyer au film de Bradley Cooper, soit le fait d’intérioriser les ressentis, au cela au travers du personnage de Carey Mulligan, qu’on a rarement vue aussi touchante, et de manière crescendo. Pourtant, dans ses derniers retranchements, le film bascule ouvertement dans le drame inéluctable, ce qui contrebalance fortement avec la retenue de l’ensemble. Sans doute le poids de la maladie est-il plus facile à imager pour les scénaristes que celui de s’immiscer trop loin dans la vie sentimentale de l’artiste, au risque de parler, d’imaginer sans certitude ? Quoi qu’il en soit, Cooper passe finalement en second plan, et laisse davantage place au portrait d’un couple qui fait la paire, comme "deux petits canards dans une mare", et d’une femme sous l’emprise d’un amour pour un homme qui aimait trop. Cooper, lui, est à l’image de son personnage, téméraire et solaire, fougueux, et empreint d’une foi incommensurable en l’humanité, quitte à essayer de toucher tout le monde avec son art, et de littéralement l’embrasser. Une nomination pour l’Oscar du meilleur acteur serait amplement méritée, ainsi que du meilleur réalisateur.
Avec classe, "Maestro" est aussi un film d’époque qui a du style, et de l’énergie à revendre. Cooper rythme ainsi son récit d’idées de mise en scène et de mouvements de caméra qui renvoient à l’esprit du music-hall et de la scène, surtout lors de la première partie du film. Évidemment, le film ne pouvait pas passer à côté d’une représentation de Bernstein devant un orchestre, et en l’occurrence ici dans la cathédrale d’Ely, en Angleterre, jouant la Symphonie de la Résurrection de Mahler. Or, à ce moment-là, Bradley Cooper transcende et transpire son rôle, rendant hommage à Bernstein et la maîtrise, à la dévotion envers son art. Habité, l’acteur met tout le monde d’accord, et prouve qu’il a parcouru du chemin depuis sa gueule de bois dans le "Very Bad Trip" (2009) de Todd Phillips ! Que dire également des incroyables et époustouflants maquillages de Kazu Hiro ? Ou encore de la partition musicale du film, sélectionné par Cooper parmi les compositions de Bernstein, alors tirées de ses comédies musicales et opérettes, notamment réinterprétées par le London Symphony Orchestra et le London Symphony Chorus ? Rien, si ce n’est de l’excellente et du raffinement...