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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Thomas Cailley
Le Règne Animal
Sortie du film le 04 octobre 2023
Article mis en ligne le 10 octobre 2023

par Julien Brnl

Genre : fantastique, drame

Durée : 128’

Acteurs : Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier, Saadia Bentaïeb...

Synopsis :
Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d’un nouveau genre, il embarque Émile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.

La critique de Julien

"Quelle époque !", s’en ira ici l’un des personnages... Présenté en ouverture dans la section Un certain regard au Festival de Cannes 2023, "Le Règne Animal" est le second film du cinéaste Thomas Cailley, neuf ans après "Les Combattants". Figurant dans les 5 films pré-sélectionnés pour représenter la France aux Oscars 2024 (avant de finalement laisser sa place), ce film de genre est né d’un scénario d’une ancienne étudiante de la Fémis, Pauline Munier, que Thomas Cailley avait lu lorsqu’il avait participé à un jury de travaux des étudiants de l’école. Convaincu par le potentiel de cette histoire, ce dernier a dès lors proposé à la jeune scénariste d’écrire ensemble un long-métrage basé sur cette idée d’humains qui mutent à la suite d’une étrange maladie sur laquelle on ignore encore beaucoup, laquelle renvoie directement à la pandémie qui nous a touchés. Ambitieux film français, "Le Règne Animal", en plus d’être techniquement réjouissant, raconte une histoire aux multiples facettes, bouleversante, et portée par le duo formé par Romain Duris et Paul Kircher, dans le rôle d’un père et de son fils frappés par ce mystérieux phénomène...

Dès la séquence d’ouverture, le film nous met en condition, sans nous y avoir pourtant préparés. En effet, la mutation est déjà là, et la société tente ici de vivre avec, quitte à traquer et enfermer dans des centres les humains qui se transforment, plutôt que d’apprendre à vivre avec. C’est notamment le cas de l’épouse de François (Durtis), et donc de la mère d’Émile (Kircher), 16 ans. Cependant, ce père de famille croît encore dur comme fer à la guérison de Lana, ainsi qu’à son unité familiale, quitte à suivre le transfert de celle-ci, en Gironde, où il a d’ailleurs trouvé un job dans l’Horeca. Son fils, quant à lui, devra ainsi changer d’école, subissant déjà constamment les remarques de son père sur ses habitudes alimentaires, lui imposant de plus sa vision du monde, agrémentée de répliques philosophiques. Tandis qu’il s’émancipera de manière inattendue, son père, lui, perdra d’autant plus ses repères, face à la peur, l’impuissance, et la Nature...

Tourné notamment dans les Landes de Gascogne, entièrement entouré de décors sauvages, et non de fonds verts, "Le Règne Animal" brille par sa nature sauvage. Avec son frère et chef opérateur David Cailley, le cinéaste a, en effet, retourné les cartes, et découvert le décor idéal, fourmillant d’une forêt primaire grouillante d’arbres et de vie animale, d’une lagune, ou encore d’un arbre penché sur l’eau, jusqu’à ce que les terribles incendies de Gironde en 2022 détruisent les lieux, forçant l’arrêt du tournage, et la nécessité de trouver un décor de substitution, ce qui fut le cas dans une station balnéaire du côté de Biscarrosse. Cependant, la différence ne se voit aucunement à l’écran, mais appuie d’autant plus la part belle à cette densité verte, prolongeant le parcours des personnages. Visuellement, le film mettra également tout le monde d’accord d’un point de vue technique, ayant nécessité deux ans de tournage, et bien encore plus de travail en amont, alors que Thomas Cailley a travaillé pendant de nombreux mois avec le dessinateur Frederik Peeters pour imaginer un riche bestiaire, composé alors de mammifères, d’oiseaux ou encore d’arthropodes. À l’image, ceux-ci sont dès lors le fruit d’un intense travail réalisé à l’aide d’effets physiques, de maquillages, ainsi que d’animatronique, sans oublier évidemment quelques effets numériques en post-production. Le réalisateur et son équipe ont d’ailleurs hybridé toutes les techniques possibles et imaginables pour crédibiliser cette constante mutation à l’écran, à l’image du personnage de Tom Mercier (Fix), mutant en rapace. Sa transformation se déploie dès lors devant nos yeux par une multitude d’effets, différents à chaque plan, en fonction de plus des interactions avec le décor. On est ainsi subjugué par le réalisme visuel du "Règne Animal", d’autant plus que la sublime nature filmée aide à nous immerger dans cette histoire, de surcroît intime, et universelle.

S’il est bien évidemment question de double transmission, "Le Règne Animal" prône surtout ici la différence, et pointe la manière dont l’être humain la traite, c’est-à-dire dans l’indifférence, le rejet, et la peur (formelle, et de la maladie), en témoigne ici ce qu’il advient de ces créatures, pourtant - à la base - humaines. Si l’idée reste cependant inaboutie et que le contexte ne répond pas à toutes nos questions, le moyen d’aborder l’acceptation de la différence et du vivre-ensemble est ici des plus singulières, et fantastiques. De plus, tandis qu’il s’ouvre ainsi dans des embouteillages, et se referme en plein milieu de la forêt, le film nous parle aussi de reconnexion à nous-mêmes, au monde et à la nature qui nous entourent, quitte à laisser cette dernière prendre le dessus, elle qui aura, de toute manière, le dernier mot. Romain Duris et Paul Kircher (découvert en 2020 dans la comédie "T’as Pécho ?" d’Adeline Picault" mais révélé l’année dernière dans "Le Lycéen" de Christophe Honoré) s’avèrent quant à eux très touchants dans leurs rôles, alors qu’une émotion grandissante et très palpable se fait ressentir entre eux, notamment par la tournure organique et inéluctable des événements (l’être humain confronté à la solitude et à sa propre perte d’humanité), pourtant plein d’espoir, de liberté, d’inconnue... À cet égard, le travail sonore réalisé sur le film et la musique d’Andrea Laszlo De Simone appuient la sensation de respiration qu’il nous offre, en attestent les dernières notes du film, avant le générique. On ressort dès lors profondément convaincus par cette proposition de cinéma alléchante, à la fois émus et divertis.

Au regard des dernières tentatives infructueuses du cinéma français de s’attaquer au cinéma de genre ("Acide" de Just Philippot, pour ne citer que lui), "Le Règne Animal" mérite ainsi les louanges du public, lequel, on l’espère, aura le courage, tel le jeune personnage principal dudit film, de (se) désobéir à son tour, et de se laisser porter par la part sauvage qui sommeille en lui, la curiosité, le risque de découvrir de nouvelles choses, insoupçonnées. Car oui, ce film et drame fantastique mérite qu’on s’y intéresse, justement par sa différence et son audace.



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